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Que des syn10calistes dans ma team
Certains le qualifient de « terroriste », d’autres de « redoutable tacticien », mais Philippe Martinez, patron de la CGT, est avant tout un ancien numéro 10 de loisir, latéral droit de métier et milieu défensif de Renault.
Léa Salamé a la tête du réveil. Menton dans la paume de la main, elle a du mal à cacher sa fatigue. Normal, il est tôt, 7h50 exactement. Face à elle ce matin-là, elle reçoit un homme convaincu, mais parfois un peu renfermé. D’ailleurs, derrière ses gros poils et son écharpe, Philippe Martinez a du mal à soutenir le regard de l’intervieweuse de France Inter. Alors, elle le titille. Elle lui parle de son concurrent, cousin éloigné et homologue de la CFDT, Laurent Berger. Elle cherche à le faire réagir. Il botte en touche. Elle le relance en utilisant du vocabulaire footballistique : « Vous n’avez pas peur d’être mis sur la touche ? D’être un peu hors jeu ? » Et elle fait mouche : « Au foot, ça m’est arrivé d’être remplaçant, mais pas dans le syndicalisme. » Attention, punchline !
Car, volontairement ou non, elle a parlé au cœur du patron de la CGT. Oui, il aime ça ! Et comme tout amoureux de ballon rond, il ne peut s’empêcher de filer la métaphore footballistique. En toutes circonstances. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’il nous le démontre. À propos des différents blocages et manifestations, il explique au Parisien à la fin du mois de mai : « Le mouvement est là, on ne va pas empêcher les Français de manifester. J’espère que la France pourra gagner le match. » Sur RMC, il fait même une contre-Platini en avril dernier concernant la grève SNCF et l’Euro à venir : « J’aime le foot, mais les revendications d’abord. » Aucun doute là-dessus, c’est un mordu de foot. C’en est même la preuve ultime.
Physique de Maradona, fidélité de Totti
Dans les années 70, Philippe Martinez grandit à Rueil-Malmaison. Une banlieue huppée, sans pour autant briller de toutes parts. Avec son papa ouvrier et sa maman femme de ménage, il habite dans un appartement au quatrième étage d’une petite cité ouvrière. C’est là, avec « son pote de toujours » , Raynal Devalloir, qu’il pose ses premiers tacles et ses premiers pulls en guise de poteaux : « J’ai le souvenir d’une espèce de grand bac à sable, sur lequel on traçait les lignes avec nos talons. Il ne nous en fallait pas plus pour démarrer un match. » La bande de copains aime se retrouver là, taper dans le ballon entre les devoirs et le dîner. Raynal se souvient aussi qu’ils en profitaient pour s’échanger des vignettes Panini : « On aimait vraiment le foot de l’époque. Cruyff, Platini, c’étaient des mecs qui nous faisaient rêver. Avec nous d’ailleurs, Philippe, c’était celui qui menait le jeu. C’était un peu notre numéro 10. Il avait le physique de Maradona, petit, trapu, et des jambes vraiment puissantes. »
Mais alors que les autres se dirigent plutôt vers le judo, seul Philippe continue dans le foot. Direction le club de Suresnes pour lui. Il y fera l’intégralité de sa carrière. Pour ceux qui l’y ont côtoyé, difficile d’estimer le nombre d’années qu’il y restera, mais tous se souviennent d’un joueur bon esprit, très combatif et même « tenace, voire pugnace » selon Raynal Devalloir. Il n’aime pas les simulations : « Les mecs qui tombent pour une claque, ce n’est pas son truc. » Il n’est pas non plus trop fan de ce qu’est devenu le football d’aujourd’hui : « Il aime le foot pour être avec ses copains. Sur le terrain, c’est l’anti-Ibrahimović. Il ne veut pas qu’on parle de lui. Il est discret, dans l’action, il joue avec tout le monde et pour tout le monde. Bref, il joue avec son cœur et il tient sa place. »
Latéral droit et technicien de métier
À Suresnes, les rares à être à la fois encore au club et à avoir côtoyé le moustachu, qui n’avait d’ailleurs pas de pilosité sub-nasale à l’époque, se rappellent plutôt d’un latéral droit que d’un numéro 10 argentin. Laurent Schmitt, ancien coéquipier, raconte : « J’ai le souvenir d’un mec vraiment attachant, bonne ambiance, mais ce n’est pas une icône du club non plus. Et puis, il n’est jamais revenu après. Quand on était en PH, je me souviens qu’il était plutôt avec la réserve que titulaire. Mais il a toujours bien accepté ce rôle de numéro deux. »
Même cas de figure quand il quitte son club de toujours pour le monde du travail. À 21 ans, quand il entre chez Renault, il rejoint l’équipe de la boîte. Et là-bas, on parle encore de lui comme d’un « pilier » de l’équipe, mais « difficile de trouver un ancien qui ait joué avec lui » . Bref, il a plus marqué les esprits par sa camaraderie que par son jeu au pied. Et puis finalement, l’âge, le travail et le temps faisant, il raccroche peu à peu les crampons : « Avec le boulot qu’il a, il n’a plus vraiment le temps » , explique Raynal Devalloir. Et encore plus maintenant, en plein bras de fer avec le gouvernement. De numéro 10, à remplaçant, à réserviste, à retraité sportif anticipé, Léa Salamé ne pouvait avoir visé plus juste.
Par Ugo Bocchi