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Louza : « Quand tu vois ta mère porter les sacs de courses sur 13 étages... »
Qui a dit qu’une carrière de footballeur était un long fleuve tranquille ? Certainement pas Imrân Louza. À 25 ans, l’international marocain, formé au FC Nantes et actuellement à Watford (D2 anglaise), s’est forgé un mental et une carapace grâce à des événements de la vie loin d’être joyeux. Retour sur ces combats, en attendant d’autres.
Nantes et la lutte d’une mère
« Vivre dans un appartement avec des punaises de lit dans ma jeunesse, c’est un combat. Il y en a dans tout le bâtiment. Je vis avec ma mère, au Bout des Pavés, dans les quartiers nord de Nantes depuis ma naissance, pratiquement. Il y a deux chambres. Parfois, l’ascenseur ne marche pas. Derrière, il y a treize étages à monter. Quand c’est le moment d’aller aux courses, qu’il fait froid et qu’il faut marcher jusqu’au Leclerc à 20-30 minutes à pied… Tu rentres avec tes achats, tu vois ta mère qui porte les sacs sur treize étages. Enfant, parfois, tu ne réalises pas. Mais aujourd’hui, tu te dis encore : “Putain, elle est forte.” Forte de ne pas m’avoir fait ressentir son mal. J’ai très vite envie de la sortir de là. J’ai toujours été super proche de ma mère. C’est ce qui fait notre force à cette époque. Quand je grandis, je l’aide du mieux possible. Mais cet appartement… Si je le vois aujourd’hui, je me dis que ce n’est pas possible de vivre dedans. Impossible ! Je revois la cuisine… Pas propre… À un moment, ma mère en a marre, elle craque, elle lâche prise. C’est compréhensible. Personne n’est là pour l’aider. Il n’y a que moi. Je suis avec elle quoi qu’il arrive mais, jeune, je ne peux pas faire grand-chose. Je subis avec elle. L’amour qu’on pouvait se porter et la confiance nous aident à passer le temps. Comme je pars de là, comme je pars de rien, je me dis que j’ai tout à gagner plus tard.
J’aurais pu prendre la solution de facilité : aller au centre où les gens s’occupent de toi et lavent ton linge, avec une chambre propre. Moi, je décide de rester avec ma mère. Ce n’est pas l’idéal, mais rester auprès de ma mère, c’est mon pilier. Ma mère n’a pas de voiture. Des fois, certains parents de coéquipiers passent par la maison pour m’emmener au centre de formation. Mais, sinon, c’est tram, puis un bus qui s’arrête à un ou deux kilomètres du centre. Donc il faut marcher. Je fais du stop, des fois les grands du centre me prennent. Parfois, je mets une heure environ pour faire le trajet. Alors qu’en voiture, tu en as pour quinze minutes… Entre ma mère et moi, c’est dur. Elle ne veut pas quitter son cocon où elle a fait toute sa vie. Elle a un peu peur de “l’autre monde”. On se bagarre un peu. On se dispute. Mais dès qu’on déménage, pour elle, c’est une bouffée d’air. Je la vois plus souriante. On reçoit davantage de personnes à la maison, on peut faire plus de dîners. Alors qu’avant… »
Adieu l’école
« Sacrifier son temps pour le football et arrêter l’école, c’est aussi un combat. Ce n’est pas évident, il faut l’assumer. J’ai 15-16 ans. Je suis en première pro, avec des horaires aménagés. Je dis stop. Quand je vais en cours, je ne suis pas totalement concerné. Ma tête, elle n’est qu’au foot, à l’entraînement, aux matchs, à sacrifier sa vie pour ça. C’est inexplicable et c’est facile de dire ça aujourd’hui, mais, franchement, ça se fait naturellement. Quand je prends cette décision, il n’y a pas de doute chez ma mère ou mes proches. Ils ne se disent pas : “Imagine, tu n’y arrives pas ?” Ils sont tous convaincus que je vais réussir. Moi aussi. Je me suis dit : “Ça va être dur, il va y avoir des moments difficiles.” Je le sais. Mais je sais aussi que je peux tout surmonter, quoi qu’il arrive. J’ai vraiment la dalle de réussir. Je n’ai pas peur des obstacles, de personnes qui peuvent me mettre des bâtons dans les roues, de faire un mauvais match… Mais je n’ai pas la même confiance qu’aujourd’hui. Et ça, ça me fait dire qu’il faut que je sois à 100 % à chaque fois. Sinon, c’est impossible. J’ai toujours eu peur de mal faire, et je me battais contre ça. »
Une concurrence annuelle à Nantes
« À Nantes, il y a beaucoup de recrutement venant de l’extérieur. Dans chaque catégorie, on me ramène un joueur au milieu de terrain pour vraiment dire : “On a trouvé meilleur que lui.” Sauf qu’à chaque fois, je montre que non. On dit que je suis trop léger, que je n’ai pas les cannes. On me dit ça souvent. C’est le gros point noir sur mon profil. Je bataille, je travaille, j’essaie de compenser, de me rattraper sur l’intelligence de jeu et l’anticipation pour avancer. C’est vrai, peut-être que je n’ai pas les cannes, certains font trois têtes de plus que moi, mais finalement, ça marche. Ça a été chaque année comme ça jusqu’à la réserve. Mais je n’ai jamais laissé ma place à quelqu’un d’autre.
Je crois que je suis le dernier de ma génération à signer pro (en 2019). Pourquoi ? Je ne sais pas… J’avais décidé de rester à la maison. Les autres étaient au centre. Ça crée sûrement des affinités avec les entraîneurs, les directeurs… Ça se fait donc peut-être plus naturellement pour eux. Attention, je suis de la maison FC Nantes, mais comme je viens un peu de l’extérieur… Le sentiment d’appartenance peut être différent. Si quelqu’un me met des bâtons dans les roues ? Je n’ai pas envie de dire qui, mais oui, je pense qu’il y en a un qui ne m’aide pas en tout cas. Il essaie de retarder, mais je réponds toujours présent. Je ne suis pas le premier choix dans sa tête, ça, c’est sûr. C’est quelqu’un qui a un peu de poids par rapport au directeur sportif, etc. Donc ça ne m’a pas aidé. »
Le choc de l’Angleterre
« Laisse tomber… Le mal du pays… À ce moment, je ne raisonne que par Nantes. Je me dis : “Ma maison est à Nantes. Ma famille est à Nantes. Mon club, c’est Nantes. Mes supporters, c’est à Nantes.” Et que je veux faire ma vie à Nantes. Pendant trois mois, chaque week-end où je peux rentrer, je le fais. Et même quand je ne peux pas, je rentre quand même tellement je suis mal. Je subis ce transfert à Watford. Quand je rentre de Nantes à Londres, j’ai les larmes aux yeux. Plein de fois. C’est aller vers l’inconnu, avec le manque, les repères, les habitudes… Mes proches me disent de m’accrocher. Mais j’ai direct le mal du pays. Je me souviens jouer mon dernier match avec Nantes (contre Montpellier, le 5 mai 2021, NDLR). Les vacances se passent. Je fais une soirée avec mes proches avant d’aller en Angleterre. Lors de cette soirée, je me dis : “Je ne veux jamais que cela s’arrête. Je ne veux pas partir.” C’est trop bizarre. J’ai un contrecoup. Quand le taxi vient me chercher à l’aéroport de Londres, il fait nuit. Tout est sombre. Je ne suis pas du tout prêt à changer de vie. Je ne comprends pas la langue. En plus, je ne joue pas, alors que j’ai l’impression de bien m’entraîner. Le déclic arrive lors du match contre Manchester United (4-1, 20 novembre 2021, NDLR). Là, c’était parti. J’ai aussi commencé à m’ouvrir un peu plus sur l’extérieur, découvrir Londres, sortir davantage… Ça m’aide.
Moi, déjà, quand je ne joue pas, je ne suis pas content. Et je le montre, surtout quand ce n’est pas justifié. Comment dire pour être poli… Je n’ai jamais été là à être derrière un coach. J’ai beaucoup de respect pour les entraîneurs, ça en reste là. Je ne vais pas faire copain copain avec eux pour pouvoir jouer. Ce n’est pas dans mes valeurs, mes principes. Et c’est mon gros problème la saison dernière. Je suis à la cave. J’essaie de réagir, de travailler sur moi-même. Je suis patient. J’attends janvier 2024 et le mercato avec impatience. Je me dis qu’il n’y a que janvier qui peut me sauver. Je trouve cette belle opportunité de Lorient et ça me donne de l’oxygène. Quand j’arrive, ils sont derniers et le maintien est pratiquement mission impossible. J’y vais avec vraiment une volonté d’apporter un truc à l’équipe et de maintenir le club (1 but et 3 passes décisives, NDLR). Je ne veux pas penser qu’à moi. Et ça me permet d’être bon. On est 2-3 nouveaux à arriver. Il y a un nouvel élan. Malheureusement, ça se finit mal, mais on a pu redonner espoir là où il n’y en avait plus. »
Dans la cage aux Lions de l’Atlas
« On arrive en quarts de finale de la CAN avec le Maroc (2021). Collectivement, ce n’est pas assez, mais c’est bien. J’ai 22 ans, c’est ma première grande compétition internationale. Je fais deux premiers matchs assez moyens. Je suis sur la retenue dans des matchs assez fermés et physiques. En huitièmes de finale, contre le Malawi, je fais un super match, je suis dans l’équipe type. En quarts, le coach (Vahid Halilhodžić) décide de me mettre sur le banc. Je ne le comprends pas forcément, mais peu importe. Quand j’entre, il y a 1-1. On va en prolongation. 2-1 pour l’Égypte. 120e minute. Coup franc excentré pour nous. Dans cette CAN, Achraf Hakimi met deux superbes coups francs. Il fait une compétition de malade avec ses buts de fou ! Et là, le coach Vahid est derrière moi et me dit : “Mets le ballon à Achraf.” Je le fais. Malheureusement, il ne fait pas un très bon contrôle, la passe n’est pas dans le bon timing. Sur le moment, je ne me dis pas que j’ai mal fait. J’ai juste fait ce que le coach me demande. Je n’ai pas conscience que c’est la 120e minute, qu’il faut la mettre dans la boîte, etc. Je n’ai pas ce recul. C’est après, quand je reçois tous les messages. Je vois plein de critiques, des messages sur ma personne, sur ma famille, sur mes qualités… C’est dur.
En octobre 2022, je reviens super bien de ma blessure précédente. Le coach, Slaven Bilić, me surkiffe ! Et moi, je vole. Je suis en totale confiance. Je me sens libre. Je marque. Mais tout bascule sur une action. Je contre un centre. Je retombe avec ma fesse sur mon pied, resté accroché au terrain. La Coupe du monde au Qatar est quelques semaines après. Je sais que c’est mort. Je passe ma fin de journée en larmes. On m’amène à l’hôpital. Mon cousin arrive, je pleure. J’ai ma mère au téléphone, je pleure. Le coach Walid Regragui m’appelle le même jour ou le lendemain. Il me demande ce qu’il s’est passé. Il m’explique que ce sont les aléas du foot et qu’il faut que je sois fort. Je mets un an à le digérer. C’est le moment le plus dur de ma carrière, largement. »
Propos recueillis par Timothé Crépin