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Quand un club de Prague voulait être champion d’Allemagne
À la fin du XIXe siècle, l'un des meilleurs clubs de football germanophones n'est pas situé en Allemagne. Le DFC Prague, fondé par des juifs allemands de Bohème, jouera même la première finale du championnat, avant de disparaître dans les chamboulements politiques du XXe.
1903. Quartier d’Altona, à Hambourg. Pour la première fois dans l’histoire du football allemand, sur le terrain de l’Exercierweide, une finale de championnat va avoir lieu. Le ballon tarde à venir. Il a disparu. Mais ce n’est pas l’anecdote la plus étrange de cette grande première. Car dès cette première finale, le match affiche une légère incongruité. D’un côté se trouve le VfB Leipzig, équipe fondée dans la ville où la Fédération allemande a vu le jour. En face, il s’agit du club du président de la Fédé, le DFC. Un club basé… en dehors de l’Empire, à Prague, mais qui se veut germanophone et participe donc à cette première phase finale du championnat.
La triade de Prague
La finale est vite goupillée. Le VfB inflige une correction à son adversaire et s’inscrit comme premier vainqueur au palmarès. Leipzig devient véritablement la ville du football allemand, le cœur des débuts du sport-roi outre-Rhin, et non pas Prague. Ce ne sera jamais Prague qui dominera le football germanique. La diaspora germanophone doit se faire une raison. Dès 1904, le club n’a même plus le droit de jouer dans la même division que les autres. Pourtant, il y a une logique à retrouver le DFC batailler avec Leipzig, Hambourg et les autres. Avant la dissolution de l’Autriche-Hongrie, Prague est à part du double royaume. C’est une ville tout particulièrement cosmopolite. Si la majorité y parle le tchèque, la capitale de la Bohème est en même temps le cœur d’un bouillonnement artistique et culturel, né des mouvements protestataires qui suivent la révolution de 1848, avec une minorité germanophone très active. Des historiens évoquent plus exactement la formation d’une « triade de Prague » entre Allemands, Tchèques et juifs. Deux d’entre eux vont logiquement se réunir pour jouer au football avec une bannière commune : en 1896, le DFC, pour Deutsche Fussball-Club (aka « club de football allemand » ), est créé par un groupe de juifs allemands.
Un club allemand contrarié…
Trois ans plus tard, quelques non-juifs se réunissent sous le nom du DFC Germania Prag. Avec un autre club germanique né de la fusion de plusieurs sections sportives, ils parviennent à jouer un mini-championnat à la fois pragois et allemand. Le DFC Germania gagne la première édition en 1901 ; le DFC prend sa revanche en 1902 ; et le titre n’est pas attribué en 1903 pour cause d’égalité parfaite entre les clubs. Ce sera le dernier championnat du genre. La courte expérience du Germania prend déjà fin. À deux, la formule n’a plus de sens. Et le DFC a mieux à gagner de toute façon. Depuis 1900 et la réunion de Leipzig, le DFC est membre fondateur de la Fédération allemande, dont le président est… celui du DFC, Ferdinand Hueppe. Mais là encore, les plans sont contrariés rapidement. En 1904, la FIFA introduit dans son règlement le principe de devoir jouer dans le pays de résidence. Le DFC ne peut plus se présenter au titre de championnat d’Allemagne. À compter de 1908, il est officiellement intégré dans une Fédération autrichienne, avec la forte concurrence des clubs de Vienne, alors parmi les meilleurs du continent. Malgré la qualité des joueurs du DFC, ces coups de semonce commencent à peser dans la destinée du club. La Première Guerre mondiale va finir de mettre un terme aux belles années du DFC.
… supprimé, et ressuscité
À compter de la chute de l’Autriche-Hongrie, le DFC se retrouve dans le championnat tchécoslovaque et accuse de plus en plus de retard. Au niveau local, face au Slavia et au Sparta, le DFC doit petit à petit se faire une raison : la ville dépasse le cap du million d’habitants et les Allemands sont portion congrue dans le lot. Ils sont à peine 40 000, concentrés dans le centre historique. Le devenir du club s’assombrit. Le niveau s’affaiblit. Le DFC ne parvient à obtenir que quelques titres amateurs, pour l’honneur, avant un dernier coup de grâce géopolitique. Dans le viseur du Reich d’Hitler, la Bohème et la Moravie sont mises sous protectorat en 1939. Les prémices de la Seconde Guerre mondiale enterrent le club. Les lois contre les juifs passent la frontière. Le DFC est dans le viseur : il devient club interdit et disparaît plus concrètement encore. Pour la plupart, les anciens joueurs et membres du club sont emportés par l’Holocauste. Pendant 76 ans, le premier vice-champion d’Allemagne est oublié des mémoires, loin des palmarès… jusqu’à ce que l’idée de revivre la finale émerge à Leipzig. En 2015, le VfB bat à nouveau un DFC Prag sur le score de 7-2. Thomas Oellermann, du Collegium Bohemicum (une association universitaire sur l’histoire germano-tchèque en Bohème), participe à l’aventure et y prend goût. Avec des soutiens locaux et trois écoles allemandes de la capitale tchèque comme partenaires, le club est refondé en commençant par les sections de jeunes, avant d’envisager une équipe-fanion. Mais si l’objectif est de « continuer d’écrire un morceau d’histoire » , ce n’est probablement pas au XXIe siècle que Prague jouera la Bundesliga.
Par Côme Tessier