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« Quand Totti arrêtera, beaucoup de gens vont pleurer »
Sorti en barrage de l'Euro par l'Irlande avec sa Bosnie, Miralem Pjanić profite tant bien que mal de ses vacances forcées. L'occasion de parler tactique, Juventus et évidemment, Francesco Totti.
Miralem, quand on voit les équipes qualifiées pour les huitièmes de finale, on se dit qu’il y avait une petite place pour la Bosnie quand même…Les équipes qui sont là sont celles qui méritent le plus d’y aller, ce n’est pas plus compliqué. Nous avons vécu une période de transition, on a changé de coach, on a été en barrages et on a très, très mal joué contre l’Irlande. Après, oui : c’est dommage parce que quand on regarde comment la compétition se passe aujourd’hui, on se dit que notre équipe avait les qualités requises pour faire quelque chose d’intéressant. On a des joueurs de talent qui ont le niveau pour être là, donc on a des regrets. À nous d’essayer d’en être la prochaine fois.
Tu as bonne mine, ça veut dire que tu ne passes pas tes journées devant la télé ? Vacances ou pas, les matchs importants, je les regarde toujours. Tu sais, moi sans le foot, c’est difficile (rires). Je ne peux pas décrocher complètement, je garde toujours un œil sur le monde du ballon rond, surtout que dans ce cas précis, j’ai beaucoup d’amis qui jouent la compétition, donc je les supporte. Je suis pour mon pote Radja (Nainggolan, ndlr), j’aime bien la France aussi.
Tu fais partie des gens qui n’ont absolument pas été surpris par l’entrée en matière de l’Italie face à la Belgique… L’équipe d’Italie est une grande équipe, une équipe solide. Si une équipe comme la Belgique, qui a autant de talents offensifs, n’arrive pas à mettre un but à l’Italie ou à la mettre en difficulté, c’est que cette équipe est capable d’aller jusqu’au bout. C’est comme ça que tu gagnes ces compétitions-là. C’est très dur de les affronter, et Conte connaît très bien son équipe. Il sait ce qu’il fait, son bloc équipe laisse peu d’espaces à ses adversaires. Quand on jouait avec la Roma contre sa Juventus, c’était très dur. C’est un super coach.
Qu’est-ce qui rend cette équipe aussi difficile à jouer ? C’est difficile de les jouer parce qu’il y a peu d’espaces au milieu. Les créateurs ne peuvent pas percer les lignes, ils ne peuvent pas trouver la faille. Pour les milieux de terrain, affronter la Juventus ou cette Italie-là, c’est juste un cauchemar. Après, ce qui est encore plus dur, c’est que eux, quand ils ont une ou deux occasions, ils ne traînent pas pour la mettre au fond. Ça te brise mentalement.
Tactiquement, qu’est-ce qu’il faut faire pour les mettre en difficulté ? Ça va te paraître bête, mais le truc crucial qui n’est pas encore arrivé dans un match important, c’est de leur marquer le premier but, de marquer avant eux. Si tu arrives à faire ça, ça te facilite la tâche pour la suite de la rencontre lors de laquelle ils devront sortir et faire le jeu. Comme c’est difficile de le faire, il faut être patient. La patience est la qualité principale à avoir contre cette équipe-là. Prendre le temps de faire la bonne passe. Prendre le temps de voir ce qu’il se passe, comment les choses se déroulent.
Tu as vraiment senti la différence tactique quand tu es arrivé en Italie ? Oui, comme dans tous les clichés, il y a une grosse part de vrai. Ici, on bosse beaucoup le tableau noir. La notion de bloc-équipe, de positionnement. Même si ça dépend évidemment de ton entraîneur. Cela dit, en Serie A, même les équipes les plus faibles ont de bonnes notions d’organisation et de placement. Elles savent comment te mettre en difficulté, même si en matière de ballon, elles sont moins fortes. Tu n’as jamais d’espaces, le bloc est bas, les contre-attaques sont bien menées. Avec la Roma, on avait le ballon quasiment tout le temps cette année, mais si on ne trouvait pas la faille, on se retrouvait à prendre un contre et à perdre des points comme ça.
Ce n’est pas trop frustrant pour un joueur de ballon comme toi ? Ça dépend des joueurs avec qui tu joues. Quand tu as des joueurs de qualité avec toi, des mecs qui aiment jouer quand même, et que le coach veut jouer, même dans la difficulté, tu réussis à garder le ballon, à prendre du plaisir grâce à cette facilité technique. Quand tu as tout ça, tu peux trouver des failles. Mais c’est difficile d’avoir des équipes qui t’attendent en face…
À l’Euro, des joueurs ont brillé dans un domaine que tu maîtrises bien : les coups francs. Bale parlait de l’importance du ballon dans sa réussite, tu es d’accord avec lui ? Les ballons flottent tellement… Certains le font moins, mais celui-là, si tu le prends bien, tu peux lui donner une trajectoire folle. Après, tout dépend de la volonté du tireur et de la surface du pied que tu utilises pour ta frappe : coup du pied, intérieur du pied, plus avec la cheville… Selon la distance à laquelle tu te trouves, le gardien peut être mis plus en difficulté. Le seul bémol, c’est qu’on voit un peu moins de frappes enroulées. Bale a très bien compris comment ça marchait. Il a mis deux buts. Certes, parfois ce n’était pas parfait, mais il cadre de manière presque systématique et c’est le plus important. Après, avec les rebonds, l’effet, la pelouse qui fuse, ça met forcément l’équipe adverse en danger.
On entend souvent les tireurs insister sur le temps qu’ils passent à botter des coups francs à l’entraînement. Ça représente combien de temps pour toi ? Pour moi, le plus important, c’est l’habitude et la confiance. Connaître ton geste et avoir confiance en lui. Savoir la puissance que tu veux mettre dans le ballon, comment tu veux prendre le ballon. Évidemment, ça se travaille, il n’y a rien qui vient sans ça, mais c’est aussi du ressenti, de l’instinct.
On voit de plus en plus souvent des coéquipiers se prendre la tête pour savoir qui va tirer… Dans une équipe, tu as toujours un mec qui tire mieux que les autres. Après, parfois, il y a un collègue qui vient te voir et qui le sent, te dit : « S’il te plaît, s’il te plaît. » Alors tu le laisses. Et si c’est dedans, c’est tant mieux. Mais c’est important d’avoir un bon tireur de coups de pied arrêtés. Tu peux le voir pendant cet Euro, ça te débloque des matchs.
Et quand c’est Francesco Totti qui te demande ? Là, tu parles d’une légende du foot. Quand c’est un dieu du foot comme Francesco qui te demande ça, tu t’écartes et tu la boucles. On parle quand même de quelqu’un qui invente les beaux gestes. De quelqu’un pour qui les gens viennent au stade. C’est de loin le meilleur joueur avec qui j’ai joué et c’est clairement un honneur et un rêve d’avoir pu le côtoyer pendant cinq ans. C’est un génie…
Le meilleur en matière de charisme ou de niveau ? Niveau, charisme, personnalité, il a tout. C’est un joueur de classe mondiale. Il a des gestes extraordinaires. Quand il te dit : « Je vais la mettre là » , la balle arrive là et pas quelques centimètres à côté. Il a des pieds incroyables. Maintenant, il a 39 ans, mais les gestes, il les a toujours. Évidemment, il y a certains types qui courent plus vite, mais ça reste le dieu de Rome. Je te le répète : c’est une énorme fierté pour moi d’avoir pu jouer avec lui et d’avoir eu une bonne relation avec cet homme-là sur et en dehors du terrain. Ça restera un bon ami et je pourrai dire à mes enfants que j’ai joué avec lui. Quand il arrêtera, beaucoup de gens vont pleurer, tu sais. Il a donné tellement de joie aux gens que tu ne peux que lui tirer ton chapeau.
Tu comprends les gens qui pensent qu’il aurait dû partir pour un plus grand club pour vraiment entrer véritablement dans la légende ? Quand je parle avec lui, il est très serein à ce sujet. Il est très content de ce qu’il a fait. Il faut quand même se rendre compte qu’à Rome, ce n’est pas une idole, hein : c’est presque Dieu. C’est difficile de partir dans ces conditions. Déjà à mon échelle, Rome est une ville à laquelle tu t’attaches vite. Lui, il y est né, il a sa famille là-bas, ses enfants sont nés là-bas. Il a tout qui le retient à Rome et il n’a pas véritablement eu de raisons de partir. La Roma, c’est un grand club. Il a beaucoup donné à ce club et il a beaucoup de mérite.
Toi, en revanche, tu viens de tourner la page romaine… (Il coupe) J’ai passé les meilleures années de ma vie ici. Maintenant, j’ai signé dans un très grand club, même si la Roma est aussi une grande équipe, qui restera toujours dans mon cœur. Après, j’ai choisi de faire un nouveau pas dans ma carrière après avoir passé cinq ans ici. J’ai 26 ans et les années qui suivent vont être belles. J’espère vraiment gagner. J’ai envie de gagner.
Propos recueillis par Swann Borsellino