- Écosse
- Journée mondiale contre Alzheimer
Quand Sir Alex combat Alzheimer
La journée mondiale de l'Alzheimer est l'occasion de se pencher sur une initiative écossaise, soutenue par Alex Ferguson, qui s'appuie sur la mémoire du foot pour dompter les effets de la maladie.
La maladie d’Alzheimer, c’est plus de 800 000 personnes touchées en France. Parmi les symptômes de cette maladie, des troubles de la mémoire et du comportement, et pas de réel traitement pour l’instant. D’accord, mais qu’est-ce que le football vient faire là-dedans ? Il faut traverser la Manche et remonter le Royaume-Uni jusqu’au Sud de l’Écosse pour trouver la réponse. C’est là, à Glasgow, que se trouve le QG de Football Memories, un projet mis en place par l’organisation Alzheimer Scotland. Depuis six ans, ce projet vise à combattre les symptômes de la maladie chez des patients en s’appuyant sur leur passion pour le football. Et cela s’avère même plutôt efficace. Michael White, responsable et initiateur du projet, raconte l’origine, toujours avec le même émerveillement : « L’idée est venue par hasard. Je suis l’historien du club de football Falkirk [qui évolue en deuxième division écossaise], et on m’a demandé d’aller parler du club à des personnes atteintes d’Alzheimer. J’ai été totalement stupéfait de voir à quel point ils avaient conservé une bonne mémoire des matchs de football et des joueurs du passé. » Une initiative qui lui a aussi été inspirée par Bill Corbett, ancienne gloire du football écossais.
« Il faut le voir pour le croire »
Il décide alors de s’appuyer sur cette excellente mémoire à long terme pour raviver une mémoire plus récente, et met au point une méthode de travail entièrement basée sur l’univers du football. Les patients, des supporters pour la plupart, mais aussi d’anciens joueurs, sont réunis en groupes appelés « équipes » , qui choisissent une couleur et un nom. Ils se retrouvent pour des séances d’une heure à une heure trente – coupées par une « mi-temps » – au cours desquelles ils discutent autour d’images et de photos, avant de dériver parfois sur des sujets qui peuvent être tout autres, comme l’école ou la mode. Interrogés sur les photos (qui datent des années 1950-1960), certains d’entre eux sont même capables de se rappeler la manière dont les buts ont été marqués, ou la météo le jour du match. À la fin des séances, les patients sont invités à former leur dream team à l’aide de jeux de cartes, et à en débattre entre eux. Michael White lui-même ne s’explique pas l’efficacité de cette méthode : « C’est une bonne question. Si je savais pourquoi ça fonctionne, je serais célèbre !(rires) Cela ravive des souvenirs heureux. Le football était tellement important pour ces gens que d’y repenser, ça les met dans un climat de bonheur, où ils sont plus détendus et plus confiants. Cela capte leur attention plus efficacement que d’autres activités. » Et effectivement, des changements sont vraiment perceptibles chez les patients, comme si le simple fait de se souvenir de vieux matchs et de vieux joueurs les ramenait à la vie. Les proches des malades constatent de réelles améliorations dans le comportement de leur mari ou de leur père, qui deviennent plus bavards, plus animés. Une transformation impressionnante dont Michael White dit « qu’il faut le voir pour le croire » . La méthode porte donc ses fruits, et le projet, lui, peut compter sur le soutien d’une personnalité de premier plan du foot écossais : Sir Alex Ferguson.
Ferguson, un symbole fort
Ancien joueur de Falkirk, Ferguson a été contacté par Michael White, fervent supporter du club, qui lui a écrit une lettre en 2009, accompagnée de photos du temps où il était joueur, lui demandant s’il acceptait de devenir ambassadeur du projet. Une idée qui a enchanté Fergie, qui a lui-même d’anciens collègues touchés par la maladie. L’image de l’Écossais est l’une de celles qui créent le plus d’effet auprès des malades. Un impact qui tient pour partie à son âge (72 ans), les malades d’aujourd’hui étant ceux qui l’ont connu lorsqu’il était joueur. Entre 1957 et 1974, Ferguson a évolué dans six clubs différents, tous écossais, comme Falkirk donc, mais aussi Queens’s Park, les Rangers, ou Ayr United, où il a terminé sa carrière d’attaquant. Mais c’est surtout l’aura acquise en tant que coach de Manchester United, qui en a fait l’une des figures mythiques de la Premier League et du football britannique, qui explique la puissance de son image. Ferguson est un symbole marquant qui évoque d’autant mieux des souvenirs forts aux supporters.
Une anecdote, racontée par le responsable du projet, illustre parfaitement cette idée. Elle concerne Lily, ancienne secrétaire à East Stirlingshire, le premier club entraîné par Ferguson, et qui l’a donc connu : « Quand elle est venue à Hampden [le stade de Glasgow est le lieu où se déroulent les séances de groupe], nous avions organisé une visite spéciale, et il y avait une silhouette en carton géante de Sir Alex Ferguson dans leHall of Fame. Elle était tellement contente de pouvoir prendre une photo avec cette silhouette, elle n’arrêtait pas de répéter : « C’est mon garçon ! C’est mon garçon ! » Elle avait plus de 80 ans à ce moment-là. Du temps où elle était secrétaire, elle savait écrire en sténographie [un mode d’écriture formé de signes spéciaux pour prendre en note plus rapidement]. Alors, un jour, je lui ai demandé : « Pourquoi est-ce que tu ne lui écris pas une lettre en sténographie ? » Elle m’a répondu qu’elle ne s’en sentait pas capable, elle n’en avait pas fait depuis plus de vingt ans. Puis elle s’est assise, et elle l’a fait. Nous étions tous étonnés de voir que la mémoire de cette écriture lui était revenue, par la simple motivation d’écrire cette lettre. »
Un engagement aussi discret qu’important
Et des lettres, Ferguson en reçoit en nombre de la part de ces supporters qui se remémorent ce football qui a marqué leur jeunesse. Mais on ne le verra jamais en faire la publicité. L’engagement de l’ancien coach des Red Devils est aussi discret qu’il est important. Celui qui visite régulièrement ses anciens collègues atteints de la maladie ne cherche pas à s’en vanter auprès des journaux. C’est une affaire qu’il garde privée. Un engagement discret qui satisfait les dirigeants du projet : « Nous ne cherchons pas à exploiter son nom ou ses relations, mais c’est important pour nous de savoir qu’il soutient le travail que nous faisons. Nous lui sommes reconnaissants d’avoir accepté d’être ambassadeur du projet, et nous laissons les choses suivre leur cours » , confie Michael White. Cet engagement révèle pourtant une facette de la personnalité de Ferguson, celle d’un homme compatissant, qui contraste avec le caractère strict dont il a pu faire preuve en tant qu’entraîneur. Le fameux « Hairdryer » . Sir Alex soutient donc totalement le projet, en coulisses, et, bien qu’il soit le plus connu, il n’est pas le seul : l’ensemble du monde du football écossais approuve l’initiative. Devant le succès rencontré par le projet en Écosse, l’idée de Michael White est maintenant de l’étendre à l’échelle européenne. Et il a déjà sa petite idée sur les ambassadeurs français : « Nous avons beaucoup de discussions au sujet de Raymond Kopa et Just Fontaine. Leurs noms reviennent très souvent, et nous avons des gens qui, lors de leur service militaire, ont joué contre l’armée française, et ils se souviennent de ces joueurs qui étaient très connus lorsqu’ils étaient plus jeunes. »
Par Morgane Carlier / Propos recueillis par MC