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Quand Ronnie dansait la samba au Vélodrome

Par Romain Duchâteau
10 minutes
Quand Ronnie dansait la samba au Vélodrome

Le parfum exaltant des grands rendez-vous, la clameur de 55 000 spectateurs et l’expression d’un talent unique. En mars 2003, cet OM-PSG à la tension exacerbée accouche du récital d’un seul homme. D’un génie intermittent qui a éteint le Vélodrome. Ce soir-là, il y avait Ronaldinho et les autres.

Cette nuit lui appartenait entièrement. Du début à la fin. Même treize ans après, quand il s’agit d’évoquer ce match devenu si particulier, son nom sonne comme une évidence. C’était le 9 mars 2003 mais, au fond, c’est comme si c’était hier. Ce jour-là, au Vélodrome, il y avait lui et les autres. Ronaldinho et le commun des mortels. « Ça reste un souvenir douloureux, très douloureux même. Surtout quand tu es tatoué OM à vie, lâche en préambule Fabio Celestini, ancien milieu phocéen présent sur la pelouse lors de cette soirée, mais réduit au rang de simple spectateur. Pour moi, ce soir-là, c’était Ronaldinho. Juste lui. Rien d’autre. » Comment prétendre le contraire tant le Brésilien avait alors survolé les débats ? Intenable, virevoltant, déroutant, stupéfiant par moments.

Les superlatifs manquaient pour décrire la prestation de celui qui était alors considéré comme l’une des plus belles promesses du football mondial.

J’ai marqué durant la plupart de ces matchs, dont un au Vélodrome. C’était lors de la première victoire du PSG là-bas depuis un long moment. J’aime encore le PSG.

« C’est un match qui est resté dans les annales, ne serait-ce déjà que pour la prestation du joueur, confie Frédéric Déhu, défenseur parisien à l’époque. Ronnie a ébloui la rencontre de toute sa classe, de tout son talent. » Puisque les moments les plus exquis se savourent généralement avec du recul, le Ballon d’or 2005 est revenu l’année dernière sur ce fait d’armes qui a forgé sa légende, non sans une once de nostalgie : « Les derbys contre Marseille sont ceux dont je me rappelle le mieux, j’ai marqué durant la plupart de ces matchs, dont un au Vélodrome. C’était lors de la première victoire du PSG là-bas depuis un long moment. J’aime encore le PSG. » Tant d’amour étalé valait bien un petit retour dans le temps.

Champion du monde, banquette et grands rendez-vous

À l’aube de l’ouverture de l’exercice 2002-2003, le Paris Saint-Germain sort d’une saison encourageante avec une quatrième place synonyme de qualification pour la Coupe de l’UEFA. Ronaldinho, lui, est entré dans une nouvelle dimension. Dans la foulée d’une année d’acclimatation à la Ligue 1, le Brésilien s’est imposé comme l’un des acteurs majeurs de la Coupe du monde remportée par la Seleção. Une réussite symbolisée par son coup franc lunaire inscrit contre l’Angleterre en quarts de finale. À son retour à Paname, son statut change invariablement. « C’était déjà une star. Un jeune joueur en devenir avec un potentiel énorme, resitue Lionel Potillon, coéquipier du joueur auriverde pendant deux années. Ce statut, c’est lui qui le déclenchait quelque part. Par ses gestes, sa qualité technique et ce qu’il montrait quand il était en grande forme. » Frédéric Déhu, également partenaire du natif de Porto Alegre dans la capitale, ne dit pas autre chose : « On était conscients que, dans un bon jour, il était capable de renverser un match à lui tout seul et à n’importe quel moment. On s’est d’ailleurs parfois un peu trop reposés sur lui. » C’est d’ailleurs là que le bât blesse. À l’image de Ronnie, le PSG, pourtant alléchant sur le papier (Pochettino, Heinze, Leroy, Pédron), brille par son irrégularité.

Convenable d’août à octobre, l’escouade de Luis Fernandez sombre en fin d’année 2002 (cinq défaites et deux nuls en huit matchs de L1) avant d’alterner victoires et revers jusqu’au déplacement à Marseille, en mars. Le début d’année 2016, Ronaldo de Assis Moreira, dont l’hygiène de vie en dehors des prés pose question, le passe sur le banc ou dans les tribunes en raison d’un retard de quelques jours à l’entraînement après des vacances hivernales passées au Brésil. « Vous, les Français, vous avez une culture différente des Brésiliens ! Moi, je vis comme je vis, se défendait-il quelques jours avant le Classico. Ce n’est pas pour ça que je ne suis pas pro à 100%. Je donne toujours le maximum à mon club.(…)L’entraîneur choisit qui va jouer. Moi, si je ne joue pas, je le répète, c’est difficile de revenir à 100%. Quand j’étais sur le banc, je me disais : « Pourquoi je suis là ? » Mais c’est du passé. » Fin février, le magicien intermittent est remis en selle par son coach et retrouve une place de titulaire à Guingamp, où il inscrit un but d’anthologie. Deux semaines plus tard, c’est le Classico qui se profile. Un rendez-vous de gala que le joueur de vingt-deux ans attend avec une brûlante impatience : « C’est beau de voir que toute la France s’arrête pour regarder un PSG-OM. Un stade plein, une ambiance fantastique : il y a une motivation supplémentaire à jouer contre Marseille. Ce genre de matchs, tu y penses à fond les jours précédents. Tu penses aux dribbles, aux passes, aux buts que tu peux mettre. Moi, depuis le début de ma carrière, à chaque fois qu’il y a un choc à disputer, je joue bien. Je ne sais pas pourquoi ! Le bon Dieu m’aide dans ces matchs ! »

Tension palpable, « le bossu est un pédé » et magie brésilienne

Outre l’aspect symbolique qui escorte le Classico, la rencontre revêt une importance singulière à bien des égards. D’une part, Paname, alors à la traîne pour les places européennes, a l’occasion de mettre un terme à quinze ans sans succès au Vélodrome. L’OM, lui, peut s’emparer de la place de leader devant Monaco et, surtout, laver l’affront des deux confrontations perdues contre son rival au cours de la saison (3-0 avec un doublé de Ronnie, en octobre et 2-1 en 16es de finale de Coupe de France, en janvier).

Je me souviens que Luis Fernandez était accompagné toute la journée par des policiers en civil qui avaient des mallettes qu’on lâche et qui servent de boucliers pare-balles.

D’autre part, le match aller au Parc des Princes avait accouché d’une polémique sans précédent, due au déhanché mémorable du coach parisien. « On était très attendus pour ce match, car Luis Fernandez avait dansé la samba devant les supporters marseillais, rappelle Déhu. Il y avait eu une certaine polémique par rapport à ça. C’était donc relativement tendu lors de notre venue au Vélodrome. » Une tension exacerbée, palpable même. « Il y avait même des menaces à l’encontre de l’homme qu’était Luis, pas seulement contre l’entraîneur. Je me souviens qu’il était accompagné toute la journée par des policiers en civil qui avaient des mallettes qu’on lâche et qui servent de boucliers pare-balles, précise Potillon. On avait été escortés par je ne sais combien de véhicules avec des policiers en civil qui ouvraient les portières à tous les coins de rue avec des flashballs. » À son arrivée dans l’écrin olympien, le virage nord accueille Fernandez en chantant « le bossu est un pédé » , tandis que le virage déploie une banderole sur laquelle est inscrite « Luis : ta place est à l’asile » . Comble de cette hostilité ambiante, le technicien passera tout le match sur le banc entouré de quatre policiers de la BAC chargés de sa protection rapprochée.

Une partie qui, finalement, tourne assez rapidement en faveur du PSG. Aligné en 3-6-1, le club de la capitale va profiter de la fébrilité et de la timidité phocéennes afin de prendre les devants. Parti côté droit, Jérôme Leroy assomme le Vélodrome peu avant la demi-heure de jeu en trompant Runje d’une frappe du droit après avoir fait mine de centrer. Déjà plombé par la sortie précoce sur blessure de Fernandão, l’OM sombre progressivement. Ogbeche, titulaire surprise à la place de Fiorèse, manque le coche à deux reprises, tandis que Lebœuf, Johansen, Celestini et Ecker s’escriment successivement.

Sur le troisième but, il peut frapper de suite, mais préfère mettre un crochet à Hemdani qui s’en va je ne sais où.

En vain. Il faut attendre l’approche de l’heure de jeu pour voir le génie s’éveiller. « Je me souviens que lorsque Ronnie intercepte la transversale de Frank Lebœuf et qu’il part tout seul au but, il est inarrêtable, souffle Déhu. Balle au pied, il allait deux fois plus vite que ceux qui étaient derrière lui. » Le score est de 2-0 au tableau d’affichage, mais le chef-d’œuvre auriverde n’est pas encore achevé. À sept minutes du terme, la défense olympienne, qui restait sur cinq matchs sans prendre de but, vole un peu plus en éclats. Sur l’un de ses derniers rushs, Ronaldinho sublime sa performance. Johnny Ecker, victime du soir, s’en souvient encore : « Sur le troisième but, il peut frapper de suite, mais préfère mettre un crochet à Hemdani qui s’en va je ne sais où. Un autre joueur aurait sans doute tapé directement et Brahim aurait pu le contrer, mais lui, non. Il nous avait fait très mal. » L’action est toutefois conclue par Leroy qui se jette dans le but afin d’assurer le coup.

Leroy, le héros oublié

Le génial mais trop souvent incompris Jérôme Leroy, auteur d’un doublé ce soir-là, est d’ailleurs le grand oublié de cette rencontre. « À chaque fois que je parle de match-là, tout le monde retient principalement la prestation de Ronnie. Mais je me souviens également d’un match exceptionnel de Leroy, tient à rappeler Déhu. Il avait notamment failli marquer un but exceptionnel avec un enchaînement sombrero-reprise de volée pied gauche qui a atterri sur la barre transversale. » « C’était Jérôme dans toute sa splendeur. Il était techniquement très au-dessus de la moyenne et capable de gestes de très grande classe » , ajoute aussi Potillon.

Mais cette nuit de mars, malgré la prestation majuscule de l’ex-Marseillais, n’avait de place que pour un seul homme. Un futur très grand. « Ce soir-là, quand Ronaldinho avait le ballon dans les pieds, même en étant très agressif ou en lui donnant des coups, ce n’était pas possible de le stopper, explique Fabio Celestini, les souvenirs encore intacts. On pouvait lui rentrer dedans, il ne tombait pas. C’était un taureau, Ronaldinho, à cette époque. Son dynamisme, sa puissance sur les trois-quatre premiers mètres… » Même constat d’impuissance mâtiné d’éblouissement dans la bouche de Johnny Ecker : « On disait souvent qu’il choisissait ses matchs. Malheureusement, c’était toujours contre nous. On ne faisait pas de marquage individuel sur lui parce que ce n’était pas possible. Contre un joueur de cette puissance, de cette qualité technique, ce n’était pas la peine. C’était un extraterrestre, il était monstrueux, insolent. »

Au sortir du match, Luis Fernandez qualifiera Ronnie de « génie qui éclaire le jeu » . Alain Perrin, sans doute sonné par cette gifle dominicale, préférera, lui, parler d’un « bon joueur » . Et le principal intéressé dans tout ça ?

On n’a pas fait une saison exceptionnelle. On avait de bonnes individualités, mais on n’a pas réussi à trouver la bonne formule collective.

Transporté par cette performance hors du temps, il regardera vers l’avant avec la volonté de progresser encore et encore, puis de hisser le PSG dans les hauteurs du classement. « Si je continue à travailler, je peux encore mieux faire que ce qu’on a vu à Marseille ! assurait-il quelques semaines plus tard. Je veux bien travailler à l’entraînement pour progresser dans tous les aspects du jeu. Je veux notamment pouvoir donner plus de bons ballons à mes coéquipiers. » Mais l’irrégularité les rattrapera, lui et son club. Le génie intermittent ne marque qu’une seule fois jusqu’à la fin de saison (2-1 face à Monaco, mai). Le club de la capitale enchaîne nuls (Sochaux, Nantes, Rennes) et défaites (Lens, OL, Auxerre), terminant ainsi à la 11e place de L1 et à onze longueurs de l’OM (3e). « On n’a pas fait une saison exceptionnelle. On avait de bonnes individualités, mais on n’a pas réussi à trouver la bonne formule collective » , résume Déhu en guise de conclusion. Qu’importent les regrets et les promesses non tenues. Ronaldinho a offert un moment unique, parcelle d’un talent immense. Si Fernandez n’a pu esquisser quelques pas de samba ce soir-là au moment de célébrer, Ronnie s’en est chargé à sa place au Vélodrome. Et le public olympien, à la fois impuissant et ébahi, n’a, cette fois, rien trouvé à y redire.

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Par Romain Duchâteau

Propos de Frédéric Déhu, Lionel Potillon, Fabio Celestini et Johnny Ecker recueillis par RD, ceux de Ronaldinho extraits de L’Équipe et France Football

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