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Quand Recoba faisait danser Venise
Parfois, le mercato d'hiver a du bon. En janvier 1999, Álvaro Recoba, en manque de temps de jeu à l'Inter, part s'aguerrir en prêt à Venise, alors bon dernier du classement. El Chino va littéralement changer la saison et le destin des Veneti. Cinq mois fous, où l'on croise Maurizio Zamparini, Giuseppe Marotta, Ronaldo, Gabriel Batistuta, et bien sûr l'inoubliable Pippo Maniero.
Qu’il était difficile de s’imposer dans une équipe de Serie A dans les années 1990… Álvaro Recoba peut en témoigner. Arrivé tout jeune à l’Inter, à l’été 1997, l’Uruguayen de 21 ans trouve face à lui une toute petite concurrence de rien du tout : Ronaldo, Zamorano, Djorkaeff et Kanu. Auteur de quelques pépites lors de sa première saison italienne (ce doublé dingue face à Brescia lors de son premier match à San Siro ou son lob du milieu de terrain face à Empoli), Recoba pense qu’il va avoir une carte à jouer lors de sa deuxième saison milanaise. Sauf que pendant l’été, le président Moratti sort le portefeuille, et renforce encore un peu plus son secteur offensif, avec les arrivées de Roberto Baggio et du jeune Nicola Ventola. Mais que l’on ne se fie pas à l’effectif : cette saison 1998-1999 sera catastrophique pour l’Inter, avec quatre entraîneurs différents (Simoni, Lucescu, Castellini, Hodgson) et une huitième place à l’arrivée. À la mi-saison, voyant ses statistiques faméliques (une seule apparition, zéro but), Recoba demande à sa direction un bon de sortie de six mois, en prêt, ailleurs en Italie. Car il veut jouer. Le 10 janvier 1999, alors que l’Inter flanque une rouste à la lanterne rouge Venise (6-2), le président du club veneto, un certain Maurizio Zamparini, accompagné de son directeur sportif Giuseppe Marotta (!), profite du déplacement à San Siro pour venir demander à Moratti le prêt de Recoba. Les mains se serrent, le deal est conclu.
Un impact immédiat
Au moment où il met les pieds dans le Veneto, la situation du promu Venise est donc extrêmement compliquée. Le club alors entraîné par Walter Novellino est dernier, avec 11 points en 15 matchs joués et affiche surtout la pire attaque de Serie A avec seulement 7 misérables buts inscrits. Les tifosi espèrent que l’arrivée de Recoba va donner un coup de boost à cette attaque en berne, d’autant que le héros de la montée, Stefan Schwoch, se tire au même moment au Napoli. Qu’ils se rassurent : ils ne vont pas être déçus. Le 20 janvier, Venise doit disputer un match en retard face à Empoli, qui aurait dû se jouer le 6 janvier (avant l’arrivée de Recoba, donc), mais qui avait été interrompu à 0-0 à cause d’un fort brouillard. Le match reprend du début, et tourne vite au cauchemar pour Venise, mené 2-0 après 38 minutes et réduit à 10. Novellino passe une soufflante pendant la pause, et les Veneti reviennent avec de nouvelles intentions. Virevoltant sur son côté gauche, Recoba donne le tournis aux défenseurs d’Empoli. Et Venise réussit l’exploit fondateur de sa saison : Valtolina réduit l’écart, Maniero égalise. Dans les derniers instants, Recoba trouve d’abord le poteau, puis dépose un coup franc sur le talon de Pippo Maniero, qui inscrit le but vainqueur en talonnade aérienne. 3-2, la machine est lancée.
Dès lors, Recoba devient le fer de lance de cette équipe, qui va petit à petit remonter la pente. La controversée victoire 2-1 contre Bari* la semaine suivante permet à Venise de sortir pour la première fois de la zone de relégation. Recoba, lui, n’a pas encore débloqué son compteur. Ce sera chose faite le 7 février, lors de la réception de l’AS Roma de Francesco Totti, en plein carnaval de Venise. Un carnaval qui se poursuit sur la pelouse du Penzo, où Venise torpille la Roma (3-1), Recoba s’offrant son premier but vénitien après seulement une minute de jeu. À la fin de la rencontre, Walter Novellino est aussi lucide que taquin : « La situation est bien meilleure qu’il y a quelques semaines, l’arrivée de Recoba a évidemment apporté ce petit quelque chose en plus. D’ailleurs, je remercie le président Moratti de nous l’avoir envoyé, c’est un joueur formidable. »
Le triplé contre la Fiorentina
Encore en difficulté loin de ses bases, Venise devient tout simplement imprenable à domicile. Après Empoli, Bari et la Roma, les hommes de Novellino se paient le scalp de Perugia (2-1, Recoba-Maniero), de l’Udinese (1-0, Recoba), et surtout, de la Fiorentina. Le match qui raconte à lui seul la saison des Lagunari. La Fiorentina n’est pas n’importe quelle équipe cette saison-là. De septembre à février, les Florentins de Gabriel Batistuta (auteur de 17 buts lors des 17 premiers matchs) caracolent en tête. Mais la blessure de Batigol le 7 février face à Milan leur fait perdre du terrain, et la Lazio leur passe devant. Le 14 mars, c’est donc en tant que dauphin que la Fiorentina se déplace à Venise. Batistuta fait son retour. Sa blessure n’est pas complètement guérie, mais il veut impérativement revenir et entretenir le rêve de Scudetto. Mais ce jour-là, Batigol et ses copains vont tomber face à un extraterrestre : Álvaro Recoba.
À la 18e minute, El Chino aiguise son pied gauche et envoie un coup franc diabolique dans la lucarne de Francesco Toldo. Juste avant la pause, ce même pied gauche dépose le ballon sur la tête de Miceli, qui double la mise. Mais ce n’est pas fini… Alors que la Fiorentina a déjà la tête au vestiaire, Recoba envoie un nouveau coup franc au fond des filets de Toldo. Les Florentins réduisent l’écart à la 88e minute, mais le dernier mot revient à Recoba. Pendant les arrêts de jeu, il profite de la passivité de la défense florentine pour jouer un tour de passe-passe à son défenseur, dribbler le gardien et déposer le ballon dans le but vide. 4-1, et un premier triplé en carrière pour celui qui est désormais l’idole incontestée de Venise.
Frappe de poney, maintien et coupe au bol
Désormais en milieu de tableau, les Veneti peuvent vivre leur fin de saison plus sereinement. La série de cinq victoires consécutives à domicile est interrompue par un triste 0-0 contre la Salernitana. Mais la victoire 1-0 (Recoba, again) le 18 avril face à Cagliari remet l’équipe de Novellino sur les rails d’un maintien tranquille. L’Uruguayen est à nouveau le héros le 9 mai, sur la pelouse d’Empoli, l’équipe contre qui tout avait commencé. Mené 2-0, comme au match aller, Venise s’en remet encore une fois à Recoba. Qui réduit d’abord l’écart sur penalty, avant d’offrir un final épique. À la 95e minute, il envoie une frappe de poney sur coup franc, à 30 mètres, qui permet à Venise d’arracher le nul, 2-2. À deux tours de la fin, Venise compte désormais cinq points d’avance sur la zone rouge, et n’a donc plus qu’un petit pas à faire pour valider son maintien.
Et comme l’histoire adore être coquine, ce maintien, c’est évidemment face à l’Inter que Recoba et ses potes vont l’obtenir, le 16 mai. Les Interisti n’ont à ce moment-là que quatre points de plus que Venise, et Recoba va se faire un malin plaisir de martyriser ses anciens coéquipiers. C’est simple : après quatre minutes de jeu, le score est déjà de 2-0, grâce à Volpi et… un coup franc pleine lunette de Recoba. La suite du match est presque anecdotique. Maniero inscrit le troisième pion, et Ronaldo réduit l’écart sur penalty. 3-1, tout le stade peut enfin laisser exploser sa joie pour un maintien inespéré. Et Recoba de savourer : « Nous avons fait l’impossible pour nous sauver, mais nous avons réussi, alors maintenant on profite ! » Une fête magnifique, mais triste à la fois : c’est la dernière fois que les tifosi veneziani voient leur petit Álvaro, qui rentrera à Milan quelques jours plus tard, pour y écrire l’incroyable suite de sa carrière. Resteront gravés, indélébiles, ces cinq mois où tout un peuple s’est remis à vibrer et à croire que l’impossible ne l’était pas. Tout ça grâce à un petit bonhomme de 22 ans avec une coupe au bol.
Par Éric Maggiori
* Le Brésilien Tuta inscrit le but vainqueur à la 90e, s’attirant les foudres de ses adversaires et même de certains de ses coéquipiers, comme s’il y avait eu un accord sur le score de 1-1, mais que lui n’était pas au courant.