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Quand Ranieri nous racontait sa Roma
Claudio Ranieri est de retour à la Roma, un peu plus de huit ans après l'avoir quittée. Lorsqu'il entraînait l'AS Monaco, le Mister nous avait accordé un entretien fleuve, dans lequel il parlait longuement et avec amour de sa relation avec le club giallorosso. Extraits.
Claudio, vous êtes né à Rome et très vite, vous êtes tombé amoureux de la Roma. Oui. J’étais un vrai supporter de la Roma. Un tifoso normal, assez tranquille. Il m’est arrivé de suivre quelques fois l’équipe en déplacement. À l’époque (dans les années 1960, N.D.L.R.), la Roma était souvent en milieu de tableau, il y avait toujours mille problèmes. Ce n’était pas la Roma que nous avons ensuite pu admirer.
Logiquement, vous avez commencé votre carrière chez les jeunes de la Roma, en 1971. Néanmoins, vous n’avez disputé que six matchs chez les pros avec le maillot giallorosso. Un regret ?
Non, pas du tout. C’est moi-même qui, à l’époque, ai demandé à Niels Liedholm (entraîneur de la Roma de 1973 à 1977, 1979 à 1984 et 1987 à 1989, N.D.L.R.) de pouvoir aller jouer ailleurs. Je lui ai dit : « Je veux comprendre si je peux être dans ce monde-là ou non » , car en ce temps-là, sur le banc de touche, il y avait uniquement le gardien remplaçant et deux autres joueurs. Il n’y avait pas de profondeur de banc de touche. Or, je ne voulais pas rester à la Roma et ne pas jouer. Moi, je voulais jouer. Et c’est pour cela que je suis parti à Catanzaro.
Lorsque vous avez commencé à accumuler de l’expérience à Catanzaro, vous n’avez pas eu envie de revenir à la Roma ? Sincèrement, je ne me suis jamais posé la question. Je suis quelqu’un de très pragmatique. Mon credo, c’est : « Je suis ici, alors je dois bien travailler ici. » Je ne me suis jamais posé le problème du retour, ou du « pourquoi ils ne me rappellent pas » … Non, ce n’est pas mon truc. Surtout qu’ensuite, j’ai rencontré ma femme là-bas et j’y suis resté huit années. De belles années, où nous étions en Serie B. Puis nous avons gagné les play-offs et nous avons fait cinq ans en Serie A. Je n’avais donc pas à me plaindre, j’étais bien là-bas.
Ce n’est qu’en 2009, après 35 années loin de votre belle, que vous ré-embrassez la Roma, cette fois-ci en tant que coach.Oui. Rome, c’est chez moi. J’en suis tifoso, tout ça, tout ça. Revenir là-bas, c’était… (Silence.) Moi, j’ai été joueur, mais là, c’était autre chose. Je devenais entraîneur de cette équipe dont je suis supporter depuis toujours.
Quand vous débarquez sur le banc, à la 3e journée, la Roma est dernière avec 0 point. Oui. Il y a eu les deux défaites initiales contre le Genoa et la Juve je crois, puis le départ de Spalletti, et je suis arrivé…
Tu sais, quand tu pars de la dernière place du classement, et que tu arrives finalement à un point du Scudetto, tu ne peux pas être déçu. Tout le monde me parle toujours du match perdu contre la Sampdoria (1-2, à quatre journées de la fin, alors que la Roma était leader, N.D.L.R.). Je ne suis pas d’accord avec ça. Nous, nous avions fait plus de 20 matchs sans perdre. À un moment donné, tu peux rater un match, cela arrive. La Sampdoria se battait à ce moment-là pour se qualifier pour la Ligue des champions, ce n’était donc pas n’importe qui. En première mi-temps, nous aurions dû inscrire au moins trois ou quatre buts. En deuxième période, Cassano et Pazzini ont inventé deux buts. Bon, c’est comme ça, c’est comme ça. Moi, ce que je déplore, c’est que face à une équipe comme Livourne, qui a été reléguée à la fin de la saison, nous n’avons pris qu’un point sur six. Défaite 1-0 au match aller à Rome, et match nul 3-3 à Livourne, avec un penalty raté, le genre de match absurde. Et l’autre chose qui m’a laissé énormément d’amertume, c’est que la Lazio a perdu contre l’Inter, et tout le monde a vu de quelle manière (les tifosi de la Lazio avaient incité leur équipe à se laisser battre par l’Inter, qui comptait un point d’avance sur la Roma, N.D.L.R.). Ça, ça m’a blessé. Mais dans sa globalité, cette première année a été belle, folle, vibrante, enthousiasmante. Il y avait la Curva Sud pleine, avec tous ses tifosi…
Puisque vous évoquez la Lazio, lors de cette saison 2009-2010, vous remportez un derby en faisant sortir Totti et De Rossi à la mi-temps. Fallait oser ! Heureusement que l’on a gagné, sinon imagine ! (Il se marre.) On m’aurait fait enfermer au Colisée ! Plus sérieusement, j’avais vu qu’ils n’étaient pas dans leur match, ils étaient trop impliqués et trop nerveux. C’est pour cela que j’ai décidé de les faire sortir. Ils l’ont tout à fait accepté, puisqu’en seconde période, ils étaient sur le banc et ont encouragé l’équipe pendant 45 minutes.
En règle générale, vous pensez que les joueurs originaires de Rome ont trop de pression pour le derby ? Vous faites référence à l’expulsion de De Rossi lors du dernier derby ? (Le 11 novembre 2012, De Rossi est expulsé face à la Lazio après avoir mis une manchette dans le visage de Stefano Mauri, N.D.L.R.) Avoir de la pression pour le derby, c’est normal. Après, il y a ceux qui arrivent à faire abstraction une fois sur la pelouse, et ceux qui n’y arrivent pas, qui se laissent un peu trop transporter par l’évènement. Moi, je ressens la pression, mais j’arrive à rester de glace.
Vraiment ? Émotionnellement parlant, vous avez toujours réussi à gérer ?C’est difficile… (Rires.) C’est difficile parce que peut-être qu’ailleurs, je n’aurais pas démissionné ainsi.
Mais là, c’était impossible. En tant que supporter, je souffrais des mauvais résultats du club la deuxième année. Pour moi, cette équipe-là devait donner beaucoup plus sachant que l’année précédente, nous sommes arrivés à un point, ou plutôt à un quart d’heure du Scudetto. L’année suivante, nous aurions donc dû faire mieux, faire un point de plus et j’aurais été satisfait. C’est comme ça que je fonctionne. La première année, ce sont les bases, et l’année qui suit, l’équipe doit compter au minimum un point de plus. C’est ma façon de travailler et de concevoir le football. Je ne suis jamais vraiment satisfait, et je voudrais transmettre cette volonté à mes joueurs. Or, à la Roma, dès l’été 2010, j’ai senti qu’il n’y avait pas la motivation nécessaire. J’en parlais aux joueurs, je tentais de leur expliquer qu’ils étaient attendus. Finalement, ce que je pressentais s’est réalisé. Alors, après une défaite 4-3 contre le Genoa (alors que la Roma menait 3-0, N.D.L.R.), je suis parti. Pourquoi ? Parce que je souffrais plus que les joueurs qui allaient sur la pelouse. Et ça, ce n’était pas possible.
C’est comment, d’entraîner Francesco Totti ? C’est… très bien. C’est un garçon en or. Il nous suffisait d’un regard pour nous comprendre. C’est quelqu’un qui parle peu, aussi bien dans le vestiaire qu’à l’entraînement. Mais lorsqu’il prend la parole, tout le monde l’écoute. Encore aujourd’hui, lorsque nous nous croisons, nous nous serrons dans les bras. Comme avec Del Piero, d’ailleurs.
Vous êtes le seul entraîneur de club, avec Fabio Capello, à avoir entraîné Totti et Del Piero. C’est vrai. Je ne m’en étais jamais rendu compte.
Ils se ressemblent ? Non, ils sont très différents, caractériellement parlant. Ce sont deux champions magnifiques. Ils donnent des joies à ceux qui aiment le football. Pas seulement à leurs supporters… Lorsque l’on aime vraiment le football, on ne regarde pas la couleur de maillot du sportif qui a du talent.
Ce sont les deux plus grands joueurs que vous ayez entraînés ? Je ne peux pas dire quel est le joueur le plus fort que j’ai entraîné. Car je ferais du tort à tous les autres. (Rires.)
Propos recueillis par Éric Maggiori