- 17 avril 1996
- Le jour où...
Quand Nantes malmenait la Juve
Il y a 21 ans jour pour jour, les Canaris recevaient Turin en demi-finale retour de la Ligue des champions. Mais alors que personne ne les attend après leur défaite 2-0 en Italie, les Français sortent le plus grand match de l’histoire du club. Malgré l’élimination.
Il est des matchs où le résultat final n’a pas vraiment d’intérêt. Où les calculs ne sont pas de mise. Où seul le plaisir de jouer au football importe. Le Nantes-Juventus du 17 avril 1996 fait partie de cette catégorie. Lorsque la patte de Japhet N’Doram catapulte le ballon au fond des filets d’Angelo Peruzzi pour égaliser à la 69e minute, il n’est absolument pas question de qualification en finale de Ligue des champions. Mêmes s’ils se dépêchent à récupérer le cuir, les Canaris savent qu’ils vont s’arrêter au stade des demies. Mais hors de question pour eux de lâcher la rencontre. Pour l’amour du jeu. Pour le kif du ballon. Pour la fierté, aussi.
À l’époque, le FC Nantes, champion de France en titre, galère un peu sur la scène nationale. Plus de coupes nationales, éloigné de la place de leader en première division… En revanche, la Maison jaune convainc sur le plan européen. Deuxième de sa poule avec une seule défaite, elle éjecte le Spartak Moscou en quarts (2-0, 2-2). « On formait une super bande, avec des jeunes très prometteurs, rembobine Serge Le Dizet, joueur du FCNA entre 1992 et 1998. C’est d’ailleurs comme ça que les dirigeants nantais m’ont convaincu de venir. Ils me disaient : « Tu verras, tu vas t’éclater à encadrer Pedros, Makelele et Nicolas Ouedec. » Et on était en plein dans ce qu’on appelle encore aujourd’hui le jeu à la nantaise. C’était le collectif avant tout. La notion « prendre du plaisir » n’était pas une vaine expression. »
L’homme en noir et le rire jaune
Problème : ses jeunes pousses et lui tombent sur la grande Juve, reine d’Italie, au tour suivant. Une Juve habituée au haut niveau et rompue à ce genre de rendez-vous. À tel point que pour les Français, la défaite encaissée dans le Piémont (2-0) le 3 avril a des relents d’injustice. « On a été un peu volé, quand même, estime carrément Le Dizet, titulaire à l’aller et suspendu au retour. Jean-Claude Suaudeau avait d’ailleurs ragé à propos de l’arbitre anglais : « Il nous a fait payer la vache folle ! » Et effectivement, l’arbitrage n’a pas été très clair, là-bas. »
Au menu : un coup de coude non sanctionné signé Gianluca Vialli sur Éric Decroix, Suaudeau qui insulte ce même Vialli de « pitre » , six cartons à zéro en faveur des outsiders, dont un rouge pour Bruno Carotti. Qui n’a jamais vraiment digéré : « Avec mon expulsion juste avant la mi-temps, le match a été tronqué. C’est plus que sévère. Je cours derrière Padovano, il tombe tout seul. Que voulez-vous faire ? En tout, on a pris je ne sais combien de cartons et Éric Decroix s’est même fait casser le nez. Bizarre… On n’était pas des bouchers à l’époque.(…)On avait eu droit à un arbitrage à la maison, c’est clair. D’après ce qu’on a su, la délégation arbitrale a été très bien reçue, notamment à l’hôtel. De toute façon, ces grands clubs ont une gestion très pointue de tous les paramètres, alors… »
La force de la vengeance
Bref, en plus d’un arbitrage considéré comme malhonnête, les deux pions de Vialli et de Vladimir Jugović rendent la tâche des Canaris quasi impossible. « C’était la Juve, donc on savait que ce serait très compliqué de mettre trois buts à cette équipe sans en prendre au retour » , reconnaît Le Dizet. Reste que deux semaines plus tard, un esprit de vengeance règne sur la Beaujoire. Les Nantais ont une revanche à prendre et veulent prouver qu’ils en ont dans le froc. Sauf que l’aventure commence mal, avec un nouveau caramel de Vialli au quart d’heure de jeu. « À partir du moment où ils ont ouvert le score, la qualification relevait de l’irréel. On manquait de maturité et d’expérience par rapport à la Juve, qui a fini par gagner la compétition quand même, tient à préciser Le Dizet. Mais on a tenu à ne pas sortir par la petite porte. Et on s’est donné le droit de le gagner. »
Sans rechigner, Nantes continue de jouer à la balle et parvient à égaliser juste avant la pause par Eddy Capron sur corner. Toujours redoutables, les Italiens reprennent néanmoins l’avantage au retour des vestiaires grâce à Paulo Sousa. Peu importe, rétorquent les hommes de Suaudeau, déterminés à mourir les armes à la main. À vingt minutes du terme, N’Doram égalise avant de voir Franck Renou offrir la victoire aux siens. L’honneur est sauf, les regrets balayés. « Pour se qualifier, il fallait quand même marquer deux buts et il restait très peu de temps. De toute façon, sur les deux matchs, la Juve était au-dessus, assure Le Dizet. Mais l’équipe était très fière d’avoir mené la vie dure et d’avoir battu cette équipe. Ce n’était pas véritablement un triomphe ni un exploit, mais une satisfaction. » Et de conclure : « Ce fut une expérience formidable pour tous les joueurs du groupe. Vraiment un grand moment. Pour tout footballeur, ce genre de demi-finale reste extraordinaire à jouer. »
Par Florian Cadu
Propos recueillis par FC, sauf ceux de BC (20 Minutes)