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Quand Manchester City était géré par un propriétaire fugitif

Par Grégory Sokol
5 minutes
Quand Manchester City était géré par un propriétaire fugitif

Désormais membre du gratin européen, Manchester City passait sous pavillon émirati en septembre 2008, au terme d’une saison chaotique sous l’égide d’un ex-Premier ministre thaïlandais fantoche.

La saison 2006-2007 s’achève enfin pour des fans des Citizens ne sachant plus ni à quel saint se vouer ni quel médicament ingurgiter. Il faut dire que l’équipe mancunienne fait alors peine à voir : elle n’a pas été capable de marquer le moindre but à domicile depuis le 1er janvier et un succès 2-1 contre Everton. Soit une jolie série de huit matchs (738 minutes) sans pouvoir exulter. Thaksin Shinawatra, ancien flic devenu magnat de la télécommunication, saisit le moment opportun pour racheter le club, bien déterminé à le hisser parmi les ténors de Premier League. Les supporters rêvent d’un Roman Abramovitch sauce thaïlandaise, et sont très excités à l’idée de voir évoluer les nouvelles recrues sous les ordres de Sven-Göran Eriksson, jamais loin d’un beau cachet. Les rabat-joie, à l’instar de Human Rights Watch, pointent du doigt le sauveur pour certaines méthodes jugées « expéditives » du temps où il siégeait comme Premier ministre au pays. D’autres déterrent des clichés de lui aux côtés de Sir Alex alors qu’il brandit fièrement un maillot des Red Devils. Qu’importe, les couleuvres sont avalées et l’idylle peut démarrer.

Le Sinatra de Chiang Mai

Emmené par l’emblématique capitaine irlandais Richard Dunne, Elano et un Martin Petrov en feu, City remporte sept de ses dix premières rencontres de championnat 2007-2008. Derby de Manchester inclus. Shinawatra amadoue son monde en organisant un buffet thaïlandais gratuit en face de la mairie. Environ 9 000 fans viennent se goinfrer et le voir sur scène s’essayer à une interprétation de Blue Moon, l’hymne du club. Quatrième au sortir des fêtes de Noël, Man City saborde en février le triste cinquantième anniversaire du crash de Munich en s’imposant à Old Trafford. Une première depuis trente-quatre ans et un but de Denis Law, légende de United expédiant alors son ex en D2. Les fans des Citizens, ivres entre autres de bonheur, massés en secteur visiteurs, chantent à tue-tête « there’s only one Frank Sinatra » , en hommage à leur taulier, en extase dans les loges du stade vidé.

Malheureusement pour les Sky Blues, la guigne s’invite également à la fête, à l’image de ce but grotesque encaissé en FA Cup lorsque Lee Martin, ailier de Sheffield United, voit son centre dévié d’abord par un défenseur de Man City, puis par deux ballons de baudruche récalcitrant, avant de terminer au fond des filets non sans avoir flirté avec les pinceaux emmêlés de Michael Ball. Le derby gagné chez l’ennemi restera la seule raison de sourire dans une seconde partie de saison aussi morose que la précédente. Les joueurs paraissent un peu plus démobilisés au fil des matchs. À l’image de cette défaite à domicile face à Fulham lors de la 36e journée. City mène 2-0 à la mi-temps et Shinawatra, présent pour ce dernier match à domicile de la saison, avait organisé une tombola avec une voiture à gagner à la fin. Sauf que Fulham plante trois buts en seconde période et le stade s’est entièrement vidé au coup de sifflet final.

Sinatra en cavale

City termine la saison en apothéose, encaissant un cinglant 8-1 du côté de Middlesbrough. Plus que la faillite collective, c’est celle du club qui inquiète. Car depuis le début, Shinawatra ne dispose pas de sa fortune comme il l’entend, ses ressources étant gelées par le gouvernement thaïlandais à hauteur de 900 millions de livres pour cause de corruption. Condamné par contumace à deux ans de mitard au pays, il vadrouille entre le Moyen-Orient, la Chine et les Bahamas. Les supporters de City ouvrent les yeux et les boîtes de Xanax rangées depuis à peine un an. Le masque de Frank Sinatra tombe et laisse deviner Frank Michael. La confiance avec eux est irrémédiablement rompue à l’annonce du licenciement d’Eriksson, très apprécié. Garry Cook, ancien chef de projet chez Nike, dépêché en urgence par le fugitif pour occuper le rôle de président exécutif du club, se remémorait sur les ondes de la BBC un club « quasiment en faillite. Nous ne pouvions même plus payer les salaires des joueurs et du staff. Il fallait que quelqu’un reprenne le club à 100% » . Selon la légende urbaine, le club ne pouvait même plus s’offrir de quoi peindre les lignes du terrain. Cook fignole un PowerPoint à faire pâlir de jalousie Jacques-Henri Eyraud sur le pourquoi Man City constitue une aubaine pour tout repreneur ambitieux, avant de le proposer à unsugar daddy hésitant encore sur l’identité du club à gâter. La présentation fait mouche. Ce sera City plutôt qu’Everton ou Newcastle. Le nouveau propriétaire, Abu Dhabi United Group (ADUG), se fend immédiatement d’un communiqué où il se présente comme un investisseur privé à long terme afin de rassurer des supporters traumatisés. Ces derniers ont à peine le temps de se demander à quelle sauce ils vont encore être dévorés que Robinho, promis à Chelsea, rejoint les Citizens pour la modique somme de 41 millions d’euros. Plus qu’une réussite sportive, ADUG frappe un grand coup médiatique.

Promesses enfin tenues

Cela fait désormais dix ans qu’ADUG a débarqué. Pendant ces dix années, le club s’est construit un centre d’entraînement spectaculaire flambant neuf, en insistant sur l’embauche de gens du coin pour le bâtir, ont également bâti un lycée et un centre de loisirs à disposition de la communauté à deux pas de l’Academy, et possède un partenariat avec la ville pour régénérer une partie de l’est de Manchester, en déliquescence depuis une quarantaine d’années. Couronné de succès en Angleterre et en attendant la tant convoitée Ligue des champions, Manchester City est devenu un peu plus que le voisin vaguement bruyant si cher à Sir Alex Ferguson. Au plus grand désarroi des clubs historiques européens, des fans des Red Devils et… de Human Rights Watch, peu friand de certaines pratiques du côté d’Abu Dhabi.

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Par Grégory Sokol

Merci à Simon Mullock, responsable de la rubrique foot au Sunday Mirror et suiveur assidu de Manchester City.

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