- Espagne
Quand Luis Rubiales était footballeur
Avant de devenir président de la fédération espagnole de football et de s’empêtrer dans un scandale sexiste, Luis Rubiales était un latéral rugueux, parfois même coéquipier de Peguy Luyindula et Olivier Kapo. Souvenirs.
Le recul frein activé, les fesses bombées en arrière et les appuis pas vraiment solides. Cette position défensive visible chaque dimanche matin, l’Espagne a pu la déguster 90 minutes durant, un après-midi du 29 avril 2007 au Camp Nou. L’artiste se nomme alors Luis Rubiales, 30 ans et vétéran de Levante, mis au supplice par les rotules encore fraîches de Lionel Messi, 19 ans et auteur de son slalom légendaire une semaine auparavant face à Getafe. Baladé dans tous les sens par La Pulga, Rubiales, déjà chauve, achève alors une carrière de joueur écrite dans un relatif anonymat.
🤤La tarde en la que Lionel Messi PASEÓ a Luis Rubiales, el polémico presidente de la Federación Española de fútbol.
🔙En 2007, el mandatario era lateral izquierdo de Levante y fue humillado por el argentino durante todo el encuentro, que finalizó con victoria para Barça 1-0. pic.twitter.com/3rfTp4C0uw
— El Gráfico (@elgraficoweb) August 29, 2023
Latéral gauche, genou en bois
Les souvenirs du désormais ex-président de la fédération espagnole sur les pelouses ne sont évidemment pas légion. Et à vrai dire, seule une poignée de suiveurs aguerris du fútbol ibérique doivent avoir sa fiche Wikipédia en tête. Car le parcours de Luis Rubiales est relativement banal. « Luis, c’était le latéral pur et dur, balance Olivier Kapo, qui a côtoyé l’intéressé à Levante entre 2006 et 2007. Il était ultra-défensif et ne dépassait jamais la ligne médiane. Mais c’était un excellent défenseur ! Techniquement pas fou, mais il ne faisait jamais de fautes. » Préformé à Valence et modelé à l’Atlético au milieu des années 1990, le Canarien doit redescendre au niveau amateur pour voir son CV décoller. Victime d’une fracture du fémur avec la réserve des Colchoneros, il s’envole pour Guadix, en périphérie de Grenade et pensionnaire de quatrième division, où un test concluant lui offre son premier contrat semi-professionnel. Suffisant pour taper dans l’œil de Juan Ramón López Caro, futur pompier du Real Madrid version Galactiques, mais à l’époque coach de la réserve de Majorque.
Rubiales, 22 ans, accepte évidemment de faire le sparring-partner pour des petits jeunes prometteurs comme Samuel Eto’o ou Diego Tristán. La chance en A, sous les ordres de Luis Aragonés, arrive finalement à l’été 2000, en tour préliminaire de Coupe Intertoto, pour défier les Roumains du Ceahlăul Piatra. Le coach fait ainsi appel aux seconds couteaux, dont un certain Daniel Güiza, permettant aux Bermellones de gagner la manche aller (2-1), avant de sortir par la petite porte au retour (3-1). Dans la foulée, Luis Rubiales débarque à Lleida, solide pensionnaire de deuxième division. Mais si individuellement, tout se passe pour le mieux (35 matchs disputés sur 44 possibles), celui qui vient de basculer en latéral gauche voit son équipe terminer dernière du classement. Refusant catégoriquement de retrouver les affres de la D3, Rubiales se la joue magouilleur : il affirme que sa femme a reçu plusieurs menaces de mort à la suite de la relégation, et demande à être immédiatement libéré de son contrat. Prenant l’affaire au sérieux, les dirigeants catalans s’exécutent. En parallèle, l’intéressé, lui, trouve un accord avec Xerez, nouvellement promu en D2, et mène les négociations avec le grand Bernd Schuster, entraîneur du club.
Syndicaliste professionnel
Coup de bluff réussi pour le défenseur, qui parvient à maintenir son écurie en Segunda División, lors de ses deux années passées là-bas – et avec qui il manquera d’ailleurs la montée en Liga pour trois petits points lors de sa première campagne. Mais le fémur brisé est redevenu douloureux, et un départ à la retraite est déjà envisagé. Pas avant que la chance ne vienne l’effleurer une dernière fois. Signé par un Levante encore en D2 en 2003, celui qui est nommé capitaine accroche la montée en fin de saison. La Liga découvre alors un aboyeur convaincu, qui ne laisse absolument personne indifférent. « Quand je signe, l’une des premières personnes que l’on me présente, c’est lui, rembobine Kapo. Il m’a tout de suite impliqué dans les affaires internes du club, en m’assurant qu’il protégerait les joueurs coûte que coûte. » Cette âme de syndicaliste, Rubiales la met en œuvre en intégrant le syndicat des footballeurs espagnols, tandis que ses coéquipiers se mettent en grève fin 2007 pour salaires impayés. « Avec l’Italien Damiano Tommasi, il se battait vraiment pour nous, pour que nos salaires soient versés à temps », pose Peguy Luyindula, autre Francés de Levante (avec Mathieu Berson, Frédéric Déhu, Laurent Courtois et Laurent Robert). L’ancien Lyonnais se souvient d’ailleurs d’un Rubiales présent sur tous les fronts : « Une fois, j’étais tombé très malade, au point d’être transporté à l’hôpital. Eh bien l’un des seuls à m’avoir rendu visite, c’était Rubi. C’est quelque chose qui m’a marqué. »
Luis Rubiales aura surtout marqué son environnement par sa disponibilité. « Il était destiné à faire de la politique », soutient Olivier Kapo. Une politique dont il se servira pour rendre un dernier service à un autre coéquipier : Félix Ettien. Arnaqué par un agent véreux, l’Ivoirien s’est en effet retrouvé en faillite à la fin de sa carrière. Au fait de la situation, Rubiales lui offrira une aide financière, avant de l’embaucher comme chauffeur privé une fois devenu président de la fédération. Pour Kapo et Luyindula, la stupéfaction a donc été similaire, au moment de voir leur ancien chef de file s’embourber dans un scandale sexiste. « Ça fait vraiment chier… C’est toujours difficile de réagir quand l’un de vos potes fait une connerie, entame le premier. Mais sur ce coup, Luis a quand même déconné. Ce qui est dommage, c’est que ce titre de championnes du monde récompensait son travail de président. » Luyindula enchaîne : « En allumant ma télé, je me suis dit : “Mais non Luis, pas toi !” Le geste est vraiment intolérable… » Après Levante, Luis Rubiales s’offrira deux piges fugaces à Alicante et Hamilton, en Écosse, afin de conclure ce parcours relativement honorable. En tout cas beaucoup plus honorable que cette fin d’année 2023.
Par Adel Bentaha