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- Mais qui es-tu le pok-ta-pok ?
Quand les Mayas mythifiaient le football
Les Mayas avaient tendance à mettre toute une série de symboles religieux dans la pratique de leur jeu de balle, le pok-ta-pok. Les conquistadores sont passés par là et il n'en reste qu'une pratique folklorique. Dommage, l'empire avait tout compris avant tout le monde. S'il avait eu la télé, il n'aurait pas manqué un OM-PSG.
Deux équipes se font face ; elles se disputent la maîtrise d’une balle sans avoir le droit d’utiliser les mains ; gagne celle qui parvient à la mettre en un point précis. Voilà grossièrement résumé le football actuel. Pourtant, le jeu ici décrit est incomparablement plus ancien que le pied-ballon. On n’avait d’ailleurs pas le droit d’utiliser les pieds non plus dans le pok-ta-pok des Mayas. Reste qu’au-delà de la technique, la mythologie associée au jeu de balle des fils de Quetzalcoatl peut préfigurer bien des aspects du foot, religion moderne. Jusqu’au sacrifice humain.
Élévation de l’astre et perpétuation de la vie
Décrire un jeu pratiqué sur plusieurs millénaires par différentes civilisations n’est pas chose aisée tant les variantes sont nombreuses. Du deuxième millénaire avant Jésus Christ à Christophe Colomb, des milliers de parties se sont déroulées sur les centaines de terrains répartis sur toute la Mésoamérique. On dénombre plus de 600 vestiges de zones de jeu du Nord du Mexique au Costa Rica, couvrant principalement les territoires de la civilisation aztèque et, surtout, de l’empire maya. Les terrains ont généralement une forme allongée, délimitée par de hauts murs ou des plans inclinés. Les équipes peuvent compter de deux à plus de dix joueurs, alors que le ballon en caoutchouc, matière sacrée, pèse jusqu’à trois kilos. Pour maîtriser la bête, rien de plus que les hanches, les fesses, les genoux, parfois les coudes. Comme au volley, une équipe engrange des points dès lors que le ballon touche le sol du camp adverse. Comme au basket, passer la balle dans un anneau, souvent disposé sur les parois latérales, rapporte gros. Comme au football, malheur au vaincu.
Le jeu de balle tient avant tout du rite cosmique. Le Popol-Vuh, texte sacré des Mayas Quiché, relate les deux parties originelles. Dans la première, les jumeaux Hunhunahpú et Vucub Hunahpú se font balayer par les seigneurs du monde inférieur, donc décapiter. Hunhunahpú parvient tout de même à mettre enceinte Xquic, fille d’un des seigneurs, en lui crachant dans la main. Elle met au monde deux autres jumeaux, Hunahpú et Xbalanqué. À nouveau conviés à une partie par les seigneurs Xibalbá, les jumeaux parviennent à remporter le match et tuent leurs adversaires. Non content de leur victoire, ils ressuscitent le père et l’oncle avant de monter au ciel pour devenir Soleil et Lune. C’est cela que représente le jeu de balle en Mésoamérique : le mythe de la fécondation, la lutte entre des forces opposées, la perpétuation des cycles de vie. Le terrain est la séparation entre le monde supérieur et l’inframonde, alors que la balle est l’astre solaire, voyageant entre le levant et le ponant (les anneaux, à l’est et à l’ouest). Il s’agit d’élever le soleil, l’empêcher de toucher le sol et les ténèbres. Ce n’est pas le ciel qui tombe sur la tête des perdants à ce jeu, mais la lame : l’équipe défaite est généralement décapitée, offerte en sacrifice aux dieux, une pratique relativement courante à l’époque sur ce coin du globe.
Zidane, Newton et Vénus
Jérôme Boateng ou toute l’équipe du Brésil en savent quelque chose : il ne fait pas bon mordre la poussière dans le football. Ridiculisé, achevé, le perdant peut connaître les pires difficultés à relever la tête. Même si, progrès aidant, il en a au moins la possibilité. Le terrain devient un purgatoire duquel on ne sort qu’encensé ou enterré. Le ballon, objet sacré, est lui plus que jamais un astre. Ou, pour Glenn Hoddle, un diamant. On loue l’équipe qui saura le faire vivre, on porte aux nues un jeu virevoltant, éblouissant. Brillant. Le temps terrestre se suspend lorsque la sphère s’élève dans le ciel, redescend, puis, par la grâce d’un pied gauche venu de Kabylie, se transforme en étoile filant dans le but. Dans la lutte entre les forces contraires, mystique du football 1, Newton et sa science 0.
Ce que n’avaient pas prévu les Mayas, c’est que le football en viendrait à dépasser les astres. Les puissants projecteurs des stades ont vaincu les ténèbres, leurs feux promettent moments bénis ou maudits aux petits mortels sans avoir à en passer par les implorations hasardeuses et sanguinaires des grands prêtres. Plus encore, le programme des compétitions nationales et internationales a supplanté le calendrier astronomique. La trêve estivale est un hiver sans fin pour le footeux moderne, l’enchaînement menant de la Ligue 2 du lundi au grand match du dimanche en passant par la Ligue des champions et la Ligue Europa est bien mieux maîtrisé que la succession des phases lunaires. D’ailleurs, qui sait que le 8 août verra Vénus être à son aphélie ? En revanche, personne n’a oublié que, ce week-end-là, son équipe jouera. Vite, la Ligue 1.
Par Éric Carpentier