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Quand les joueurs de la Lazio et de la Roma jouaient sous le même maillot
Rivales, ennemies, la Lazio et la Roma s’affrontent ce dimanche, en fin d’après-midi, pour le célèbre derby de la capitale. Or, il fut un temps où les deux équipes ne se haïssaient pas à ce point. La preuve : elles ont uni leurs forces à l’occasion de quelques matchs amicaux, dans les années 1930, 1940 et 1970.
Il y a plus d’un siècle, les derbys romains étaient quelque chose de banal. Et pour cause, à Rome, il y avait de nombreuses équipes, parmi lesquelles la Lazio, la Fortitudo, l’Alba Audace ou encore la Roman. Mais au milieu des années 1920, le gouvernement fasciste de l’époque souhaite que la ville de Rome, historiquement symbole de puissance, ait une équipe dominante capable de représenter dignement l’Italie. Elle propose donc une fusion entre tous les clubs de la capitale. Tous acceptent, sauf un : la Lazio. Cette dernière conserve donc son indépendance, tandis que tous les autres fusionnent et créent, en 1927, l’AS Roma. De cette fusion manquée naîtra la rivalité entre les deux équipes, qui perdure encore aujourd’hui. Néanmoins, le gouvernement italien n’avait pas dit son dernier mot.
Un maillot blanc, une louve bleue
En décembre 1928, un peu plus d’un an après la naissance de l’AS Roma, un match amical doit être organisé à Rome entre l’une des deux équipes romaines et les champions de Tchécoslovaquie, le Viktoria Žižkov. Nous sommes à quelques mois de la toute première Serie A (1929-1930), et les deux équipes romaines sont encore à des années-lumière des grandes équipes du Nord. La Lazio aurait dû être reléguée en Prima Divisione (l’équivalent à l’époque de la Serie B) au terme de la saison 1927-1928, mais a été repêchée en vue de la création de la toute nouvelle Serie A. La Roma, quant à elle, a terminé sa première saison à un petit point de la zone de relégation. Autant dire : aucune des deux n’est prête à assumer le rôle de porte-étendard de l’Italie, tant souhaité par le régime fasciste. Vient alors une idée pour ce match face aux Tchécoslovaques : pourquoi ne pas unir les forces des deux équipes ? Sitôt dit, sitôt fait. Les deux équipes sélectionnent leurs meilleurs joueurs, et composent la Rappresentativa Romana. Beñatti, Fasanelli, Barzan, D’Aquino, Degni et le buteur Volk pour la Roma ; Caimmi, Pardini, Sclavi, Griggio, Bottacini pour la Lazio. Il faut également trouver un compromis pour le maillot. Il est décidé de n’utiliser ni un maillot bleu ciel, ni un maillot jaune et rouge : la tunique sera blanche, ornée d’une énorme louve bleue, le short et les chaussettes de couleur noire.
Le 26 décembre 1928, la sélection romaine affronte donc le Viktoria Žižkov, au Stadio del Partito Nazionale Fascista (!) de Rome, devant un public forcément tout acquis à sa cause. Le succès est au rendez-vous : les Romains s’imposent 4-2, grâce à un doublé de Volk et des buts de Pardini et Fasanelli. Et forcément, quand on gagne, on y prend goût. Et on a envie de remettre ça. Alors, quelques jours plus tard, le 1er janvier 1929, c’est au tour de la sélection hongroise de débarquer à Rome. Neuf mois plus tôt, les Magyars étaient déjà venus dans la capitale, mais pour y affronter l’équipe nationale italienne. Ils étaient repartis avec une défaite 4-3 dans les valises. Ils souhaitaient une revanche, ils auront finalement une confrontation avec la toute nouvelle Rappresentativa Romana. Qui, ce coup-ci, ne va pas faire le poids. La Hongrie domine largement la partie, mène 4-1, et seuls deux buts en fin de rencontre des Romanisti Fulvio Bernardini (ex-Laziale) et Arturo Chini (futur Laziale) rendent la défaite des Romains moins lourde (3-4).
Deux écussons cousus ensemble
Il faudra attendre pratiquement deux ans pour que la Rappresentativa Romana dispute un troisième match. Pendant la période des fêtes de Noël 1930, de nombreuses équipes étrangères viennent disputer une tournée de matchs amicaux en Italie. Les dirigeants de la Lazio et de la Roma se mettent d’accord pour monter à nouveau une équipe composée de joueurs des deux camps. Le 26 décembre 1930, cette équipe romaine est opposée aux Hongrois de Sabaria. Mais ce coup-ci, la cohésion n’est plus aussi évidente. Le maillot choisi n’est plus blanc, mais bien giallorosso, comme celui de la Roma, ce qui déplaît fortement aux joueurs et aux supporters de la Lazio. Pire : le match a lieu à Campo Testaccio, le stade de l’AS Roma. Le journal La Stampa du 27 décembre 1930 raconte : « L’hétérogénéité de ce onze et la faible entente entre les joueurs ont rendu ce match mou et sans intérêt. Chez les Hongrois, l’ailier gauche a été très bon, alors que chez les Romains, personne n’a été au-dessus du lot. » Bon, personne n’a été bon, mais les Romains se sont tout de même imposés 3-2, grâce à un doublé de Preti et un but de Fasanelli. Mais la rivalité grandissante entre les deux clubs pousse les dirigeants à stopper ces coopérations épisodiques.
La Rappresentativa Romana ne reverra le jour qu’à quelques très rares occasions. Deux fois pendant la Seconde Guerre mondiale (pour un match opposant les meilleurs joueurs des équipes romaines et les meilleurs jeunes romains, puis pour un amical face à des militaires de l’armée britannique), puis deux fois dans les années 1970. La dernière fois que des joueurs de l’AS Roma et de la Lazio ont évolué sous le même maillot, c’était le 18 novembre 1979, quelques semaines après la mort de Vincenzo Paparelli, ce supporter de la Lazio tué au stade par une fusée de détresse lancée par un tifoso de la Roma. Un « derby de l’amitié » avait ainsi été organisé, pour apaiser les tensions et récolter des fonds pour la famille de la victime. Et pour la seule et unique fois dans l’histoire, les blasons des deux clubs ennemis avaient été cousus ensemble sur la tunique. Un véritable Graal pour les collectionneurs.
Par Éric Maggiori