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Quand les Gunners d’Arsenal sont devenus les Invincibles
Il y a presque douze ans, Arsenal signait sans doute la plus belle saison de son histoire. Au terme d’un exercice 2003-2004 majuscule, les Gunners remportent la Premier League. Surtout, après un dernier match de championnat face à Leicester en mai, ils terminent invaincus. Ce jour-là, l’histoire s’est écrite. Et les Invincibles sont nés.
Derrière son phrasé laconique, son flegme inébranlable, il y a toujours cette idée qui a germé dans son esprit. Une ambition presque insensée, un rêve même qui a longtemps animé Arsène Wenger. Celui de parvenir, un jour, à réaliser la saison parfaite. Finir champion sans perdre un seul match. Cette douce chimère, le manager français l’a assouvie au terme d’un exercice 2003-2004 majestueux, passé depuis à la postérité comme l’un des moments les plus mémorables dans l’histoire de la Premier League. « Je savais que j’avais une équipe spéciale en 2003-2004 à Arsenal. Mon rêve a toujours été d’arriver à finir une saison sans perdre un match, bien que ce ne soit pas une ambition normale, expliquait avec conviction l’actuel coach des Gunners en 2014. Ce qui fait que c’était une aspiration si spéciale, c’est parce que je m’efforçais d’atteindre la perfection. La saison précédant les « Invincibles », j’avais dit à mes joueurs que l’objectif idéal était de terminer une saison en étant invaincus. »
« Durant la pré-saison de 2003-2004, j’ai eu une réunion avec les joueurs et je leur ai dit : « Essayons d’analyser pourquoi nous avons perdu le championnat (Manchester United venait de le remporter, ndlr) », poursuivait-il. Parmi eux, comme Martin Keown, certains m’ont dit : « C’est votre faute. »J’ai répondu : « Oui. Je suis prêt à en prendre la responsabilité, mais pourquoi ? » Il m’a dit : « Vous avez mis trop de pression sur nous. L’idée de gagner le championnat sans perdre un match représentait trop de pression à assumer. C’est impossible. » Je lui ai rétorqué : « J’ai dit ça, car je pense que vous pouvez le faire. Mais vous devez réellement le vouloir. Ce serait un accomplissement incroyable d’être la première équipe à faire ça. » » Le 15 mai 2004, après un après-midi ensoleillé et radieux dans l’écrin d’Highbury, le rêve devient réalité. 38 419 spectateurs exultent, transportés par le moment d’histoire qui s’écrit devant eux. Arsenal s’impose chez lui face à Leicester (2-1) et devient officiellement champion du Royaume sans s’être incliné une seule fois. L’émotion si souvent voilée ne peut être contenue, le sourire parfois contrarié par le poids incommensurable d’une perpétuelle exigence devient ostensible, Arsène Wenger savoure cet exploit. Son moment. Sa quête enfin accomplie.
Battle of Old Trafford, point de bascule de l’histoire
À l’aube de cette saison depuis devenue historique, le manager français ne bouleverse pas en profondeur son effectif. Limité financièrement par le projet de construction du nouveau stade, Arsenal ne procède qu’à quelques retouches. Lehmann, Reyes, puis les jeunes Clichy et Fàbregas débarquent à Londres, tandis que Vieira et Pirès prolongent leur contrat. En face, la concurrence fourbit ses armes. Chelsea claque 120 millions d’euros lors du mercato estival (Makelele, Verón, Duff, Crespo, Joe Cole ou encore Mutu), Manchester United peaufine son groupe avec l’intégration de jeunes (Ronaldo, Saha, Howard). Les débuts de l’exercice 2003-2004 se révèlent sans fausse note (4 victoires, 1 nul). Avant le match charnière. Le point de bascule de l’histoire pour les Gunners avec le déplacement à United, en septembre. Un match rebaptisé « Battle of Old Trafford » en raison de la tension exacerbée qui a régné sur la pelouse. Malmené par les Red Devils, Arsenal marche sur un fil toute la rencontre. Et le captain Vieira, excédé par l’attitude de Van Nistelrooy, explose à dix minutes de la fin en écopant d’un carton rouge pour un coup de pied asséné à son adversaire au sol. Dans le temps additionnel, le vicelard néerlandais obtient un penalty après une faute plutôt généreuse. Mais RvN envoie une praline sur la barre transversale. Dans un climat délétère, la troupe de Wenger obtient alors un match nul (0-0) bien plus significatif qu’il n’y paraît.
« Peut-être qu’on ne se doutait pas qu’après ce match nul, on allait être lancé sur une dynamique extraordinaire, mais arriver à faire match nul à United qui était notre rival numéro un dans la course au titre et alors qu’on avait été malmenés, ça a forcément eu de l’impact, assure Pascal Cygan, défenseur central des Canonniers à l’époque. C’est ce qui a permis d’entrer dans cette folle aventure par la suite. » La machine est lancée. Pour ne plus s’arrêter. À partir de janvier 2004 et un succès face à Middlesbrough (4-1), Arsenal ne quitte plus sa place de leader. « Cette dynamique nous a fait prendre confiance au fil des matchs et on avait le sentiment que plus rien ne pouvait nous arriver, poursuit Cygan. On ne pouvait pas perdre, on faisait au pire match nul. Tout tournait en notre faveur cette saison-là. On avait un groupe de très grande qualité avec des internationaux en poste. » Au XI type aligné la plupart du temps (Lehmann-Cole,Campbell, Touré, Lauren-Vieira, Gilberto-Pirès, Ljungberg- Bergkamp, Henry) s’ajoute un banc mêlant expérience et insouciance (Edu, Parlour, Cygan, Reyes, Wiltord, Clichy, Keown, Aliadière, Kanu). Contre United (1-1, mars) ou Liverpool (4-2, avril), les Gunners vacillent. Sans jamais rompre. Et le 25 avril 2004, à quatre journées de la fin et sur la pelouse du rival honni Tottenham, ils sont d’ores et déjà assurés de finir champions malgré le nul concédé (2-2). « C’était intense, se souvenait avec joie Lauren, il y a deux ans. C’était un bonheur de gagner le championnat contre votre plus grand rival, on était sur un petit nuage. »
« Écoutez, nous avons gagné le championnat, je veux désormais que vous deveniez immortels »
Éliminée de toutes autres compétitions domestiques (demi-finales de FA Cup et de League Cup) et de Ligue des champions en quarts de finale par le Chelsea de Claudio Ranieri, l’escouade londonienne est désormais tournée vers un seul objectif : terminer championne sans perdre un match. Une prouesse jamais accomplie depuis Preston North End en 1889. « C’était l’un des défis les plus compliqués, expliquait Wenger. Généralement, quand vous êtes champion, la concentration s’en va, tout le monde se relâche et vous perdez le prochain match. Après le titre gagné, j’étais plus stressé lors des derniers matchs. » Logiquement moins fringant, Arsenal enchaîne deux nuls contre Birmingham et Portsmouth avant de disposer de Fulham. Vient ensuite le jour fatidique, le 15 mai 2004, où les Gunners reçoivent Leicester pour le compte de la dernière journée de Premier League.
Déjà condamnée à la relégation, la formation de Micky Adams a tout du faire-valoir idéal pour clore une saison mirifique. « On était déjà en train de préparer la saison suivante. Certains joueurs n’allaient pas être conservés et n’avaient donc pas fait le voyage, raconte Lilian Nalis, milieu des Foxes présent sur la pelouse ce jour-là. La restructuration de l’effectif était déjà actée. Pour avoir discuté avec certains joueurs d’Arsenal avant la rencontre, on sentait chez eux une volonté d’écrire une page de l’histoire. Ils n’étaient pas habités d’un gros stress, car le match était largement à leur portée. »
Pourtant, les Gunners apparaissent méconnaissables dès l’entame. Léthargiques, presque tétanisés, alors que l’histoire leur tend les bras, ils sont surpris peu avant la demi-heure de jeu sur un coup de tête de Paul Dickov. Highbury a le souffle coupé, la peur s’invitant dans les esprits. « C’était un match assez étrange, se remémorait Gilberto Silva en 2014. C’était comme si chacun dans l’équipe avait perdu de sa force. On n’avait pas d’énergie. » À la mi-temps, Arsène Wenger refuse de voir le destin lui échapper et prend la parole : « Je leur ai dit : « Écoutez, nous avons gagné le championnat, je veux désormais que vous deveniez immortels. » Ils ont dû penser : « Ce mec est complètement fou. Qu’est-ce qu’il veut de nous ? De quoi est-il en train de parler ? » Mais quelque part, ils ont commencé à y croire. »
Au retour des vestiaires, Arsenal est transfiguré. Remobilisé. Plein d’allant. « Il y avait une telle différence entre leur effectif composé de joueurs internationaux et le nôtre que, lorsqu’ils ont décidé d’enclencher la vitesse supérieure, ils n’ont eu aucun mal à s’y mettre, confesse Nalis. À force de subir des banderilles et des banderilles, ça a fini au fond. » À la 47e, Ashley Cole obtient un penalty après avoir été déséquilibré par Sinclair. Henry se charge d’exécuter la sentence et claque son trentième but en championnat (premier joueur d’Arsenal à atteindre ce chiffre depuis les 33 pions de Ronnie Rooke en 1947-1948). Vingt minutes plus tard, c’est Vieira qui, trouvé dans la surface après un service divin de Bergkamp, parachève le succès des siens.
Au coup de sifflet final, Highbury exulte. Vibre comme jamais. « Je me souviens surtout d’un stade en fête. C’était un beau Highbury, avec beaucoup de monde » , confie d’ailleurs Nalis. Avec un total de 90 points pour 26 victoires et 12 nuls, les « Invincibles » viennent de naître. « On a marqué l’histoire, conclut Pascal Cygan, encore fier de ce record. Parce qu’on se rend compte que plus de dix ans plus tard, on continue d’en parler. C’est le but de chaque footballeur professionnel, graver son nom dans la pierre et se construire un palmarès. » Quid d’Arsène Wenger, le grand chef d’orchestre de cette symphonie parfaite ? « C’est douloureux pour moi de regarder en arrière, car je suis toujours énormément focalisé sur le fait d’aller vers l’avant, s’épanchait-il, mélancolique, il y a deux ans. C’était l’un de mes rêves, finir champion en étant invaincu. Et je veux encore le faire. » Mais rares sont les hommes qui parviennent à réaliser deux fois leur rêve.
Par Romain Duchâteau
Propos de Pascal Cygan et Lilian Nalis recueillis par RD, ceux d’Arsène Wenger, Lauren et Gilberto Silva extraits du livre Invincible d’Amy Lawrence