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Quand les footballeurs ont la trouille de l’avion

Par Aymeric Le Gall
11 minutes
Quand les footballeurs ont la trouille de l’avion

Parce qu'il n'y a aucune raison qu'ils soient épargnés, les footballeurs sont aussi touchés par la peur de l'avion. Une phobie qui peut poser problème quand, comme eux, on est amené à se déplacer dans les airs plusieurs fois par mois...

« Ne t’inquiète pas, tu sais que l’avion est le moyen de transport le plus sûr au monde ? » Voilà le genre de phrases bateaux et totalement inutile que l’on balance à son pote qui, le visage pâle et l’estomac noué, se décompose à l’idée de voyager en transport aérien. La phobie de l’avion, très répandue à travers le globe, touche selon les études entre 10 et 40% de la population mondiale. Mais cette gêne sociale n’influe pas de la même manière que l’on soit exploitant agricole ou businessman international. Si pour certains, qui n’auront pas à prendre l’avion plus de 10 fois dans leur vie, cette phobie n’a qu’un impact limité sur leur existence, d’autres en revanche sont beaucoup plus handicapés par cette peur des temps modernes. Parmi eux, les footballeurs. Dans un métier où les déplacements aériens sont la norme (un footballeur prend l’avion au moins quatre fois par mois en moyenne), difficile voire impossible de souffrir d’une telle phobie. Face à cette terreur incontrôlable, chacun réagit à sa manière. L’exemple le plus célèbre reste évidemment celui de Dennis Bergkamp, l’international hollandais aux 79 sélections. Surnommé « The non-flying Dutchman » , l’ancien attaquant mythique des Gunners avait une peur bleu des paquebots des airs et ne se déplaçait qu’en voiture ou en train pour disputer les matchs à l’extérieur. Au vue de son palmarès, il semble que ce symptôme ne l’a pas empêché de faire une immense carrière. Il n’en reste pas moins vrai que vivre la vie d’un footballeur pro en ayant une frousse puissance 1000 de l’avion ne doit pas être de tout repos. Avaler des milliers de kilomètres sur route ou sur rail pour disputer un simple match de foot relève de l’exploit. Ou de la folie. Si le Batave est parvenu à s’accommoder de ce problème, tous n’ont pas réussi à concilier carrière professionnelle et trouille aérienne.

Mensonge à Guy Roux et acupuncteur miracle

C’est le cas d’Alain Ollier, footballeur dans les années 70-80, formé à l’AS Saint-Étienne et passé notamment par l’AJ Auxerre et Louhans-Cuiseaux. Flippé de l’avion, celui-ci a accepté de faire bosser sa mémoire pour conter son histoire : « Je me suis véritablement rendu compte que j’avais cette phobie à l’âge de 18 ans. J’étais en junior à Saint-Étienne, je venais faire la Gambardella, et Robert Philippe qui était l’entraîneur de la CFA à l’époque m’avait demandé de rester. J’ai immédiatement dit non et je savais pourquoi. Il m’a dit de réfléchir et en quittant le stade je me suis dis « Bon, si je reste c’est pour essayer d’être pro, si je suis pro je dois prendre l’avion, donc je m’en vais. » Je suis revenu le voir une semaine plus tard pour lui annoncer ma décision en disant que je privilégiais mes études. Je ne lui ai pas dit la vérité… À cet âge-là, c’est une chose qu’on ne veut peut-être pas avouer. » Il faut une sacrée dose de courage pour tirer un trait sur ses rêves quand on a 18 ans et qu’une carrière de footballeur vous tend les bras. De retour dans son Auvergne natale, Ollier redevient un simple étudiant clermontois qui tape dans la balle le week-end avec son petit club de Cournon, en DH à l’époque. Mais l’histoire n’est pas terminée, loin de là. En effet, Cournon accède finalement en CFA et lors d’un match face à la B de l’AJA, le garçon de 21 ans tape dans l’œil d’un certain Guy Roux.

Persuasif en diable, l’entraîneur au bonnet parvient à le convaincre de signer et voilà donc notre ami sur les routes de l’Yonne avec, au fond de lui, la certitude de jouer en B. « Mais je me retrouve très vite en équipe A à jouer en Ligue 2. On joue contre Thionville en septembre, on gagne 3-0 et le week-end suivant, j’étais prévu pour jouer titulaire à Arles. Là, je savais qu’il allait falloir prendre l’avion, chose que je n’avais encore jamais faite jusqu’ici et qui me filait une peur effroyable. Donc, et ça, je ne l’ai jamais dit à M. Guy Roux pour qui j’ai pourtant un respect immense, je lui ai menti et j’ai fait semblant d’être blessé. La pression et la peur étaient telles que j’ai simulé une tendinite. Mon père m’a vu arriver chez lui le dimanche alors que, dansL’Équipe, j’étais annoncé comme titulaire sur la feuille de match ! Pour l’anecdote, Guy Roux m’envoie voir un acupuncteur à Dijon et, par miracle, je me suis très vite remis (rires)! Il a dû se dire que l’acupuncteur était extraordinaire. »

Et ça continue encore et encore

Après un bref passage en CFA, fausse convalescence oblige, voilà que Guy Roux refait appel à lui pour intégrer le groupe pro qui se déplace cette fois-ci à Ajaccio. Malgré une « grosse panique, explique Ollier, je ne me suis pas senti la capacité de lui mentir deux fois. Je n’ai rien dit et je suis parti avec eux à Ajaccio. Seulement une fois là-bas, le terrain était inondé, on a repris l’avion et on est rentrés (rires)! » Foutu destin. Certain de ne pas pouvoir encaisser ce niveau de stress sur le long terme, l’Auvergnat décide finalement de quitter l’AJA pour rejoindre Louhans-Cuiseaux qui évoluait alors en troisième division. « Je pensais enfin être débarrassé de tout ça, mais là encore, on est montés en deuxième division, rigole-t-il. Une fois, on fait un déplacement à Ajaccio et, la nuit précédant le vol, j’étais assis sur mon lit et j’étouffais, j’avais des crises d’angoisse énormes. Ça a été mon dernier déplacement en avion. Le 18 octobre 1981, je m’en souviendrais toujours ! » Fin de l’histoire ? Toujours pas. Le meilleur est même à venir. Fort de prestations intéressantes avec Cuiseaux, l’ex-Auxerrois est convoqué en équipe de France universitaire qui disputait le championnat du monde 1982 au Mexique. Qu’importe la phobie, une telle excursion ne se refuse pas. Ou presque. « La nuit avant de partir, on est logés dans un hôtel à côté de Roissy et je voyais ces avions énormes qui décollaient. Ça m’effrayait. Je n’arrivais pas à m’endormir, je me levais, je me recouchais, j’appelais ma femme toutes les heures. Le matin, je décide finalement d’aller voir l’entraîneur et je lui explique que je ne vais pas bien du tout, que j’ai peur de prendre l’avion. Sur le coup, il n’a pas pris la mesure de ce que je disais, il a mal évalué mon degré de panique et il me dit : « Oui, mais tu vas voir, ça va bien se passer, les gros avions ne bougent pas, il y a plus de risque en voiture. » Bref, toutes les banalités habituelles qui ne changent strictement rien au stress que vous pouvez ressentir. Un bus nous emmène donc jusqu’au lieu d’embarquement. Et là, comme par hasard, je me retrouve dernier de la file pour embarquer. À 10 mètres derrière moi, je vois un taxi et, à 10 mètres devant, je vois la porte d’embarquement. Je portais un costume blanc de la délégation, je n’avais que ça sur moi, mais j’ai quand même fait demi-tour et j’ai sauté dans le taxi. Et hop, je m’en vais comme ça sans même me retourner. Tout le monde a embarqué et mes affaires se sont retrouvées au Mexique. Derrière, ils font la finale contre le Mexique devant 100 000 personnes au stade Azteca… »

« Le moyen de transport le plus sûr ? C’est n’importe quoi ! »

Autre lieu, autre époque, même phobie. Noui Laïfa est lui aussi un flippé des airs. Pour ce joueur passé par Créteil, le Gazélec ou encore le Paris FC, cette angoisse remonte à son enfance et un vol vers l’Algérie avec sa maman. « Il a dû y avoir des turbulences et ça m’a profondément marqué » , admet-il volontiers. Depuis, chaque nouvelle catastrophe aérienne est l’occasion pour lui de renforcer ses craintes et ses certitudes vis-à-vis de ce moyen de transport que tout le monde dit sûr. D’ailleurs, mieux vaut éviter de lui asséner cette vérité au visage : « Pfffff, franchement, le moyen le plus sûr ? Il faut m’expliquer en quoi… S’il arrive un accident en vol, le moyen le plus sûr, il n’existe plus, hein ! Faut arrêter avec ça. Quand les gens me disent que c’est prouvé scientifiquement, je ne les écoute plus. C’est n’importe quoi ! » Eh oui, face aux peurs les plus solidement ancrées, les statistiques et les études scientifiques ne font pas le poids. « Quand on est dans la phobie, on perd tout sens du raisonnement » , soutient Alain Ollier. Pourtant, aussi bizarre que cela puisse paraître pour quelqu’un qui est atteint d’une telle peur viscérale, Laïfa a fait le choix de surmonter cela pour réaliser son rêve de jouer en pro : « Je me suis dit que je n’avais pas le choix. Mais j’évitais le plus souvent d’avoir à prendre l’avion. Avec Créteil par exemple, quand l’équipe le prenait, moi, j’y allais en TGV. » Un système D contraignant certes, mais faisable. En revanche, quand Noui décide de signer au Gazélec d’Ajaccio, les alternatives se restreignent quelque peu. Impossible en effet de se farcir régulièrement les allers-retours en bateau entre Ajaccio et Toulon. Mais pour l’actuel pensionnaire de Fleury-Merogis (le club, pas la prison), la carrière passe avant tout. « Malgré les contacts que j’avais avec les autres clubs, j’ai préféré signer au Gazélec. Je n’ai pas pensé à ma phobie au moment de faire mon choix, je ne pensais qu’au projet du club qui m’intéressait beaucoup. Et puis vu qu’on prenait des jets privés pour les déplacements, ça me faisait moins peur. Dans ma tête, je me programmais pour faire deux, trois heures de vol maximum. J’essayais de m’endormir et de ne penser à rien même si c’était très dur. Parfois, je mettais mon manteau sur ma tête. » Une technique qui s’avère être utile quand son voisin de rangée est pénible, un peu moins en cas de crash… S’il peut supporter les vols courts, ce n’est pas la même mayonnaise avec les long-courriers. Alors, quand son équipe du Paris FC est tirée au sort pour aller disputer le 7e tour de Coupe de France face l’US Sainte-Marienne sur l’île de La Réunion, pas question de transiger : « Tous mes coéquipiers étaient contents, marmonne-t-il, alors que moi, franchement, j’étais dégoûté. Je n’ai pas réfléchi un seul instant, je savais direct que je n’allais pas faire le voyage avec eux. Limite, je préférais encore prendre une amende plutôt que d’y aller. Le lendemain, je suis allé voir le coach pour lui dire que c’était impossible que je passe 11 heures dans un avion. Impossible. » Évoluant aujourd’hui en CFA, c’en est fini de cette torture pour Noui. Dans le cadre professionnel en tout cas, sauf gros coup de « poisse » . « Mes potes (dont Bilel Mohsni qui joue à Angers) sont en train de me tanner pour qu’on parte en vacances cet été aux États-Unis. Je suis en pleine réflexion, mais honnêtement, je ne pense pas que je vais y aller. Déjà que deux heures de vol, c’est dur, alors huit ou neuf, c’est mort. Après, peut-être que si je prends des cachets… Je ne sais pas et, en plus, l’été, c’est loin, je ne pense pas à ça ! » Et pourquoi ne pas se payer un stage pour tenter de mettre K.O. cette maudite phobie ? « Même si le stage coûte 1000 euros et qu’on me le paye, je n’y vais pas. Je suis bien sur terre (rires)! »

Pour en finir avec le cocktail whisky-Lexomil

Ces stages ne coûtent pas 1000 euros, mais moitié moins, au bas mot. C’est en tout cas le tarif que propose le CTPA (Centre du traitement de la peur en avion), cette entreprise créée en 2008 et qui possède aujourd’hui de nombreux bureaux en France et en Belgique. Pour Xavier Tytelman, son fondateur et ancien aviateur militaire, cette thérapie est le moyen le plus efficace pour en finir avec cette peur : « Ce n’est pas une phobie comme les autres, car contrairement à la claustrophobie où là, c’est avant tout de la gestion de l’anxiété, dans la peur de l’avion se cachent de vraies questions techniques. Vous pouvez être le champion du monde de relaxation, si vous êtes face à une situation dangereuse, ça n’y changera rien. Les pensées ne sont pas modifiées par la prise de médicaments et c’est pour ça qu’ils ne fonctionnent pas. Le cerveau, qui se considère réellement en danger, est en lutte pour ne pas s’endormir parce qu’il veut que vous restiez éveillé, au cas où. » Depuis 2008, le CTPA a vu passer de nombreux sportifs, mais pas encore de footballeurs professionnels. « Le seul footeux dont j’ai souvenir, creuse Xavier Tytelman, c’était un gamin du PSG d’environ dix ans qui ne pouvait pas se déplacer avec son équipe quand les circonstances l’exigeaient. » Selon lui, la phobie des transports aériens est particulièrement gênante quand l’aspect professionnel est en jeu. Pour les sportifs par exemple, « le vrai problème, c’est qu’une fois arrivé à destination le joueur ne réussit pas à penser à son match puisqu’il est totalement focalisé sur le vol du retour. » Alain Ollier confirme : « Je faisais toujours de mauvais matchs quand il fallait prendre l’avion pour se déplacer, car je pensais déjà au vol suivant. Je ne pensais qu’à ça et plus du tout à la rencontre, j’étais mal, mais mal. » Un sentiment que ne partageait pas Noui Laïfa. « Je savais que si je pensais à ça, je n’allais pas réussir à être au niveau, explique le futur vacancier des States. En revanche, dès le coup de sifflet final, ça revenait direct… » À l’heure actuelle, peu de joueurs professionnels sont officiellement étiquetés « avionophobes » (Paolo Guerrero et Loïc Rémy en souffrent officiellement, ndlr). Un fait que pense pouvoir expliquer Tytelman : « C’est une phobie pour laquelle les hommes se révèlent moins. Quand on demande aux gens de mettre une note sur 10 à leur peur, les femmes mettent en général 9,5 tandis que les hommes ne mettent « que » 8,5 en moyenne. On sait qu’il y a un regard social sur les hommes qui est dur, et évidemment, je pense que ce doit être pire chez les sportifs de haut niveau. Le sportif est un super-héros, il n’a pas de défaut ni de faiblesse. C’est aussi pour cela que les gens exposés médiatiquement (sportifs, chanteurs, acteurs, etc) demandent souvent à faire des séances individuelles. » Pour enfin voler de leurs propres ailes.

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