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Quand les Crocos croquent les pronos

Par Aymeric Le Gall
Quand les Crocos croquent les pronos

Parti avec un handicap de huit points dès le début de la saison, le Nîmes Olympique est en passe de réaliser un exploit sans nom et de faire vaciller toutes les certitudes préétablies. Tout le monde les avait enterrés d'entrée et pourtant ils sont encore bien vivants. Récit d'une métamorphose qui fera date, sans aucun doute.

À Nîmes, dans le Gard, le crocodile ressemble de plus en plus à s’y méprendre au célèbre animal mythologique qu’est le phénix. Avec les huit points de pénalité infligés en début de saison, les Nîmois étaient, aux dires de tous, condamnés de facto à une saison galère en Ligue 2 avec, au bout du compte, un aller simple pour l’enfer. Aujourd’hui, pourtant, les Crocos sont en passe de renaître de leurs cendres. Après un été bouleversé par l’affaire des matchs présumés truqués et une première moitié de saison très compliquée qu’ils ont terminée bons derniers, les Nîmois sont repartis en 2016 comme s’ils devaient mourir demain. Sans calcul, sans peur et avec la bave aux lèvres.

Ne pas brûler la peau du croco avant de l’avoir vendue

Pourtant, tout n’a pas été rose pour les Sudistes. « Après les vacances, ça a été assez compliqué, confirme Sébastien Giménez, l’entraîneur des gardiens des Crocodiles. Au-delà des huit points de pénalité, on nous a collé une étiquette qui a donné de nous une image très négative aussi bien auprès des médias que des adversaires. On a tout de suite été catalogué comme l’équipe qui allait descendre en fin de saison. C’est difficile de lutter contre ça. » Il est vrai que commencer la course avec un sac de briques sur le dos quand les autres équipes gambadent les épaules au vent, ça a de quoi miner le moral. Et à force de se voir enterrés d’avance, ils ont fini par le croire. « Le problème réside toujours dans la manière dont on se perçoit nous-même, analyse Giménez. Si on se perçoit négativement et que tout nous pousse autour à nous voir comme tel, il est difficile d’avoir une autre opinion de soi et d’avoir de la confiance pour emmagasiner des résultats. » Le scandale des matchs bidonnés a, en effet, laissé des traces dans les esprits. « Pendant l’été, on a été très focalisés sur cette affaire-là, les joueurs en parlaient entre eux, nous, on en parlait aussi, mais c’était toujours à demi-mots, presque tabou. »

De son côté, Mathieu Michel, l’actuel gardien des cages gardoises, évoque « un certain sentiment d’injustice sachant qu’aucun match n’a été arrangé. C’étaient des agissements hors terrain, faits par des personnes qui ont tenté de nuire au foot et au club. Elles ont été sanctionnées, mais nous aussi… » Un sentiment d’autant plus fort que les Nîmois sont allés chercher leur maintien au courage, et non au billet. « On a été sous le feu des projecteurs malgré nous, et pas en bien. C’est dur, car on ne méritait pas ça. On avait un super groupe, on a mérité notre maintien » , lâche le jeune gardien, amer. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le staff des Crocos, José Pasqualetti en tête, a bien essayé d’activer ce levier, mais c’était peine perdue. « Le coach a tenté d’axer le discours sur la lutte contre l’injustice, mais malheureusement, cette motivation-là s’est vite essoufflée. Jouer contre quelque chose, ce n’est pas une source de motivation positive. On a peut-être pris le problème par le mauvais bout » , admet avec le recul Sébastien Giménez. Au niveau comptable, rien n’y fait. Les résultats tardent à venir et le club végète toujours dans les tréfonds du classement de L2, avec quatre pauvres points et dix de retard sur le premier non-relégable. À la mi-novembre, fatigué, ne se sentant plus la force d’en transmettre à son groupe, Pasqualetti démissionne et c’est Bernard Blaquart, entraîneur des U17, qui est choisi pour prendre la relève. Et s’il ne fait pas immédiatement de miracle, au moins apporte-t-il « un nouveau souffle » , dixit Mathieu Michel. « On n’avait aucun problème avec Pasqualetti, tient-il cependant à préciser. Mais on ne peut pas cacher que l’arrivée du nouveau coach a changé la donne. »

Du passé faisons table rase

Dans un tel contexte de morosité, c’est peu dire que la trêve arrive à point nommé. Le portier gardois confirme : « La coupure nous a fait beaucoup de bien parce qu’on avait terminé l’année 2015 sur une vraie spirale négative, on avait tous besoin de couper, de se ressourcer en famille. Et après la trêve, on a senti que quelque chose avait changé, on voulait repartir sur un élan positif et prouver aux gens qu’on n’était pas mort. » Au retour de vacances, Sébastien Giménez sent que la métamorphose est en marche. « Les joueurs ont compris que s’ils ne transgressaient pas les règles établies, s’ils n’arrivaient pas à bousculer les préjugés qui nous condamnaient, alors on n’y serait pas arrivé. Ils ont fait de l’adversité un atout. » Dès la reprise, forts de ce douloureux apprentissage, les Crocos croquent tout sur leur passage. En quatre matchs et autant de victoires (contre Brest, Clermont, Nancy et Auxerre), Nîmes a complètement refait son retard sur ses concurrents directs, se payant même le luxe de sortir de la zone de relégation.

En l’espace de quelques jours, le mental a changé, et le rapport de force a basculé. « L’imaginaire vous fait toujours voir dans ces cas-là l’adversaire plus grand que vous, philosophe Giménez. Si on prend l’exemple de la boxe, un combat se gagne quand ? À la pesée ou en conférence de presse avec le trash-talking. On a vraiment travaillé sur notre image et la manière dont on se percevait, et le vrai détonateur, c’est la victoire à Nancy. Elle a été formidable et nous a permis de mettre des mots et une prise de conscience sur un vrai résultat, un vrai exploit. Et cet exploit-là a été le catalyseur de tout ce qu’il s’est passé derrière. » En effet, ce soir-là au stade Marcel-Picot, chez le leader nancéien, les Gardois sortent vainqueurs d’un duel titanesque, au terme d’un match « complètement fou-fou » (4-3) selon Michel. Depuis ce jour, les Crocos ne sont plus jamais retournés claquer la bise à la zone rouge. Et le dernier succès à Dijon ne fait que confirmer cette tendance : oui, le Nîmes Olympique est bel et bien en passe de réussir son pari fou. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » , disait Mark Twain. Il y a un peu de ça.

« L’heure n’est pas au calcul, elle est au chaos »

Comme tout va très vite dans le foot, les pestiférés d’hier sont devenus les héros d’aujourd’hui. Les supporters nîmois sont d’ailleurs de retour en masse dans un stade des Costières qu’ils avaient fini par déserter. De 3 000 spectateurs en moyenne en début de saison, la mare des Crocos affichent désormais un taux de remplissage flatteur, tournant autour de 10 000 supporters par match. « C’est vrai qu’il y a eu une petite désertion, note Giménez. Mais il y a une chose qui est constante à Nîmes, c’est que le public aime son équipe. Alors oui, des fois, il la malmène, mais bon… C’est comme les maris qui aiment leurs femmes, mais les tuent parce qu’elles ont décidé de les quitter. Là, c’est un petit peu pareil : le public nous a tués un moment, pas parce qu’il nous détestait, mais parce qu’il nous aimait. Et après notre victoire à Nancy, ils se sont de nouveau retrouvés dans ces valeurs de combat, d’abnégation. On a été accueillis à la gare de manière incroyable, on aurait dit qu’on avait gagné une finale de Coupe de France alors qu’on était 19es de L2 ! On a regagné le respect du public, et c’est bien, car même si nous ne sommes pas les meilleurs, je pense qu’avec eux, on peut être les plus forts. »

Le constat est semblable dans la bouche de Mathieu Michel : « Je pense qu’ils ont vu en nous un groupe de guerriers, et du coup, ils ont retrouvé l’étincelle. Aujourd’hui, les Costières sont redevenues une terre hostile pour ceux qui viennent y jouer, c’est impressionnant, et nous, ça nous booste à fond. » Mais il n’y a pas que le regard du public qui a changé. Les adversaires aussi ont pris conscience que la machine nîmoise n’était plus à prendre à la légère. « Aujourd’hui, on est craint » , se félicite l’ex-portier du NO. Mais l’histoire ne pourra être belle qu’en cas de maintien. Et s’il est encore trop tôt pour les Crocodiles pour s’enflammer, Giménez avoue d’ores et déjà qu’une descente serait « une énorme déception » . « En attendant, poursuit-il, sortir les calculatrices à huit journées de la fin serait la pire chose à faire. L’heure n’est pas aux calculs, elle est au chaos. » Encore marqué par les nombreuses critiques subies il y a de ça quelques mois, mais gonflé à bloc par la dynamique de son équipe, l’adjoint de Blaquart en profite pour régler quelques comptes : « Les personnes, les adversaires, qui nous tapaient sur l’épaule en début de saison pour nous soutenir ont plus contribué à faire croire que nous étions atteint d’une maladie incurable. Aujourd’hui, nous puisons notre force dans les yeux de ceux qui pensaient mettre Bourg-Péronnas et nous dans la charrette et qui se retrouvent aujourd’hui à traverser un océan de merde sans tuba. » Difficile de faire plus clair.

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