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Quand les Bleus jouent en direct à la TV pour la première fois

Par Nicolas Kssis-Martov
7 minutes
Quand les Bleus jouent en direct à la TV pour la première fois

France-Allemagne ne sera jamais un match comme un autre. Toutefois, si certaines rencontres ont laissé une trace indélébile, au point d'être constamment revécues et réécrites, quitte à réveiller les vieux démons un peu inutilement, d'autres semblent avoir étrangement disparues de la mémoire collective. Il en va ainsi de cette rencontre liminaire de 1952, un choc « amical » qui fit alors couler beaucoup d'encre et inaugura la présence des Bleus en direct à la télé.

5 octobre 1952. La France se remet lentement et péniblement de la Seconde Guerre mondiale. Le pays se redresse des ruines laissées par les combats et les bombardements, un effort national réalisé entre deux crises ministérielles d’une quatrième République soumise au « règne des partis » (dixit un général de Gaulle qui ronge son frein). En Indochine, le conflit colonial s’enlise et ralentit un redressement économique pourtant dopé par le plan Marshall. Toutefois ce soir-là, un peu frisquet, Yves-du-Manoir à Colombes se présente plein comme un œuf. 56 021 spectateurs, à en croire le guichet, se sont entassés dans les gradins. La légende évoque même une hypothèse de 60 000 téméraires qui se pressent en rang de sardines pour assister à l’événement, que les actualités cinématographiques de l’époque caractérisent volontiers à l’aide d’un redondant « grave » .

L’affiche possède à coup sûr de quoi attirer le chaland. Il s’agit des retrouvailles, sur une pelouse, de la France et de l’Allemagne, un face-à-face attendu depuis la capitulation du troisième Reich. Techniquement d’ailleurs, en matière diplomatique un peu stricte, nous sommes devant une première tout court, puisque le 23 mai 1949, un nouvel État a été créé côté « ouest » , dans ce monde désormais divisé par le rideau de fer : la République fédérale d’Allemagne. (Le 7 octobre 1949, une République démocratique allemande voit également le jour sous « protection » soviétique, et comme disait François Mauriac : « J’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux. » )

« Même les oiseaux ont chanté la Marseillaise »

Ces subtilités de protocole échappent sûrement aux spectateurs qui entonnent à plein poumon l’hymne national. « Même les oiseaux ont chanté la Marseillaise » , a confié au journaliste Bernard Molinari le défenseur Antoine Bonifaci, solide arrière niçois, qui a la périlleuse mission de coller Fritz Walter, le futur héros du Miracle de Berne. Car c’est bel et bien l’ennemi vaincu, l’ancien occupant qui revient fouler le sol national, qu’il faut stopper encore et auquel il faut signifier à tout hasard le verdict des armes. Le contexte mérite néanmoins un petit détour, ne serait-ce que pour resituer les enjeux. À ce moment, celle qui ne s’appelle pas encore chez nous la Mannschaft (une invention française), n’effraie pas vraiment grand monde. Si des confrontations ont déjà eu lieu avant-guerre à partir de 1931, les dimensions politiques et extérieures ont à chaque fois pris largement le pas sur les inquiétudes sportives. Ainsi, le 17 mars 1935, la presse retient d’abord que les joueurs allemands provoquent et narguent la foule, et « font le salut hitlérien pendant l’exécution des deux hymnes » , comme le raconte par exemple Le Populaire, quotidien socialiste, le lendemain du match. Deux ans plus tard, au stade Aldo Hitler de Stuttgart, les 90 minutes s’effectuent dans des conditions limites, et Raoul Diagne, joueur noir de la sélection tricolore, goûte aux mêmes effluves nauséabonds que Jesse Owens lors des JO de Berlin. Le score de 4-0 illustre surtout la nature de l’accueil réservé aux Bleus.

Après guerre, personne ne sent poindre un frémissement outre-Rhin dans le domaine du football, rien qui puisse annoncer 1954 et le retour d’une fierté allemande. En ce début des années 50, si ce sport s’invite dans les débuts de relations entre les deux pays, c’est d’abord comme un point de conflit supplémentaire. Les autorités françaises manifestent alors plus ou moins ouvertement leur volonté « d’arracher » la Sarre à sa voisine, afin d’entamer sa potentielle puissance, dont personne ne sait encore comment elle va se refonder sur le plan administratif. Le ballon rond notamment occupe un rôle central dans cette bataille des frontières, très napoléonienne dans l’âme, avec la volonté en particulier d’intégrer le FC Sarrebruck et la ligue locale à la FFF. Cette stratégie donne lieu par exemple à quelques rencontres entre équipes amateurs de part et d’autre de la frontière, et les joueurs français y découvrent l’extraordinaire condition physique de leurs adversaires allemands, malgré les privations, que certains imputeront à des « capsules magiques » récupérées des stocks de la Wehrmacht lors de sa vadrouille sur le front de l’Est. L’opération fait malgré tout long feu. La France n’est pas le partenaire qui pèse de la façon la plus décisive dans le camp des vainqueurs, et les Alliés ont d’autres projets en ce début de guerre froide. La création de la RFA, puis la fin du statut d’occupation ferment la parenthèse. En février 1951, le gouvernement autorise à nouveau à croiser le fer avec les voisins rhénans, dont la Fédération refondée vient de réintégrer la FIFA.

La télé, pire que les Allemands

Le match amical de 1952 ne recouvre pas franchement un immense enjeu sportif. La victoire française semble même couler de source. Un 3-1 conquis par des Bleus combatifs, face à des adversaires dont le comportement sur le terrain laisse penser qu’ils ont peut-être préféré ne pas trop s’investir, et dont l’ossature repose sur le Stade de Reims. Parmi les nouvelles têtes qui rejoignent l’effectif de Gaston Barreau, un certain Raymond Kopa fête sa première cape de manière exceptionnelle en inscrivant un but. Autre figure essentielle, le portier du LOSC, César Ruminski, dont se souvenait Guy Roux avec émotion : « Je savais que ce gardien de but dégageait superbement bien sans l’avoir jamais eu de visu. Je l’avais entendu dire à la radio, par les commentateurs, notamment à l’occasion de son premier match en équipe de France, en 1952, contre l’Allemagne. » Le poste TSF demeure en effet encore l’outil principal pour suivre une rencontre quand on n’a pas la chance de pouvoir se rendre dans les tribunes, d’autant plus lorsqu’il s’agit de vibrer avec les Bleus. Pourtant, ce France-Allemagne inaugure une nouvelle ère. Pour la première fois, il est retransmis en direct à la télévision. Cette annonce aurait été si importante qu’elle aurait provoqué une ruée sur les précieux – et hors de prix – postes. Imaginez bien qu’on enregistra la vente d’un millier de récepteurs la veille, et près de 5000 la semaine précédente. Précisons que le pays ne compte alors un parc estimé qu’à 40 000 « meubles » (contre 1 500 000 en Angleterre. La Cup de 1953 opposant Blackpool et Bolton comblera 10 millions de téléspectateurs qui rentabilisent à cette occasion leur achat exceptionnel pour le couronnement de la reine Elisabeth II).

La démarche est loin d’être évidente. Le foot se méfie viscéralement de cette innovation technologique, dont il craint qu’elle lui fasse concurrence, principalement concernant l’une de ses sources de revenus essentielles, la billetterie. De l’autre côté du Channel, emmenés par Sunderland, les clubs refusent donc catégoriquement les caméras et seule la FA Cup échappe à l’embargo. La même problématique apparaît dans l’Hexagone. Peu de temps avant ce fameux France-Allemagne, pour la première fois, une rencontre avait bénéficié du direct. Le 4 mai 1952, la finale de la Coupe de France entre l’OGC Nice et les Girondins de Bordeaux, remportée 5-3 par les Nissarts qui s’offraient au passage le doublé, posait la première pierre du futur médiatique de ce sport. La suite de l’histoire sera celle d’un conflit larvé, dont on connaît trop bien l’issue. Entre 1954 et 1956, la Fédération française de football s’isole derrière les murailles de ses stades. La télévision réplique en refusant de communiquer les résultats à l’antenne. Un accord est heureusement signé et une compensation financière concédée aux clubs. En 1958, la France se retrouve en demi-finales de la Coupe du monde contre le Brésil de Pelé. Huit millions de Français peuvent maintenant se mordre les lèvres devant le défilement saccadé des images en noir et blanc, et Jonquet se tordant de douleur après la double fracture du péroné causée par un tacle « appuyé » de Vavá. Tout est déjà prêt pour Séville 82…

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