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Quand les Bleus fêtent la victoire à l’Euro 84
Encore traumatisés par leur défaite contre l'Allemagne en demi-finale du Mondial 82 à Séville, les joueurs de l'équipe de France tiennent leur revanche, deux ans plus tard, en remportant l'Euro 84, chez eux à Paris, au Parc des Princes. Un succès historique qui débouchera vite sur une fiesta bien méritée. Voici leur histoire.
27 juin 1984. Presque deux ans jour pour jour après le drame de Séville, l’équipe de France vient de conjurer le sort. Lancé en profondeur par Jean Tigana, Bruno Bellone file seul au but et, d’un subtil ballon piqué, trompe Arconada et scelle, à la 91e minute de jeu, la victoire des tricolores contre la Roja, en finale du Championnat d’Europe des nations. Le Parc des Princes rugit, les Bleus exultent. Pour la première fois de son histoire, l’équipe de France monte sur la plus haute marche du podium. Et tandis que la bande à Platini brandit le trophée vers le ciel, à quelques kilomètres de là, avenue d’Iéna, dans les sous-sols de la Fédération française de football, des petites mains s’affairent à dresser la table qui accueillera bientôt les héros tricolores. Mais il faudra patienter encore un peu avant de passer au dîner, car, pour l’heure, les vainqueurs ne pensent qu’à savourer leur succès avec le public. « On a essayé de faire durer le plaisir au maximum sur la pelouse. On a couru autour du terrain avec la coupe, on a fait des photos, c’était un moment magique » , se souvient Bruno Bellone. « Il y avait une communion parfaite entre nous et le public, embraye Alain Giresse. On en a pris plein les yeux, plein les poumons et plein la tête. »
La Coupe d’Europe fourrée dans le sac de sport
Pourtant, malgré l’exploit historique, la joie reste mesurée dans les vestiaires du Parc, et la célébration ne tourne pas à la folie furieuse. « C’était plus un sentiment de délivrance qui nous animait qu’une liesse véritable, confirme Maxime Bossis. On avait débuté la compétition en étant favori de l’épreuve, on jouait chez nous, et on venait d’être demi-finalistes de la Coupe du monde deux ans avant. Donc on avait le sentiment que si on ne gagnait pas cette compétition, ce serait un échec. Il régnait surtout le sentiment du devoir accompli. » En fin tacticien, Michel Hidalgo avance une explication. Pour celui qui tirera sa révérence du poste de sélectionneur ce même soir, le souvenir de Séville était encore bien présent dans la tête des joueurs : « En 82, on avait été éliminés en demi-finales et ça nous avait profondément marqués. Et comme on ne savait pas si on allait gagner ce truc-là (sic), on n’a pas fait les marioles, on ne s’est pas pavanés en disant « C’est nous les cracks », pas du tout. »
« C’était quand même un peu l’euphorie, corrige « Lucky Luke ». Il y avait des joueurs dans la piscine en train de boire du champagne dans la coupe, d’autres chantaient, il y avait du monde partout, c’était pas si calme que ça ! » Si les ressentis diffèrent selon les témoins, Alain Giresse met tout le monde d’accord : « Dans l’air ne flotte que du bonheur. » Un bonheur qui tourne aussi à l’étourderie quand, au moment de rejoindre le bus censé emmener les Bleus jusqu’au siège de la Fédé, personne ne pense à embarquer la coupe. « Gigi » rembobine : « Je me suis retrouvé seul dans les vestiaires avec Bernard Lacombe et Patrick Battiston. Tout le monde était déjà parti et personne ne s’était préoccupé de récupérer le trophée ! C’était assez drôle de se retrouver tous les trois comme ça, entre Girondins, seuls face à la Coupe d’Europe. L’objet tant convoité n’intéressait déjà plus personne !(rires) » C’est finalement Bernard Lacombe qui se chargera de glisser le précieux dans son sac de sport, enfoui entre les chaussettes sales et les godasses boueuses.
« Jean Tigana a balancé sa cravate dans la foule »
Aussi bizarre que cela puisse paraître, sur le trajet qui les mène au siège de la 3F, les tricolores n’ont pas eu de mal à se faufiler à travers la circulation. « Il y avait quelques voitures qui nous suivaient en klaxonnant, mais c’est tout » , se remémore Hidalgo. Loin du tumulte provoqué dans Paris quatorze ans plus tard, après la victoire en finale de Coupe du monde contre le Brésil, ce succès n’a pas vraiment poussé les Parisiens hors de chez eux. « Il y avait du monde dans les rues, note Bossis, mais ce n’était rien comparé à ce qu’on a connu en 1998. » « On n’était pas dans la même dimension, explique pour sa part Luis Fernandez. Et puis à cette époque-là, en France, il n’y avait pas une vraie culture foot comme on pouvait le voir en Angleterre, en Italie ou en Espagne. » Cela n’a pourtant pas empêché quelques irréductibles de se masser aux portes de la Fédération pour saluer dignement leurs idoles en culottes courtes. Bruno Bellone n’a pas oublié. « C’était fabuleux de voir tous ces gens venus nous accueillir. Je me souviens que Jean Tigana a balancé sa cravate dans la foule ! Tout le monde était fou, c’était génial. »
Le repas organisé dans les sous-sols de la FFF s’est quant à lui déroulé dans une ambiance bon enfant, mais sans excès. Ici, point d’orgie romaine ; seulement de la joie et de la fraternité. « On a fêté ça en petit comité, en famille. On devait être une quarantaine autour de la table environ, estime « le grand Max ». C’était sympa de partager un repas entre nous, avec nos proches et les gens de la Fédé, mais en définitive, c’était relativement calme. Bon, il y avait quand même un côté festif, mais personne n’est monté sur les tables pour chanter. Ce n’était pas trop notre genre à l’époque. » Alain Giresse, lui, se souvient d’une ripaille « sobre, certes, mais très forte en émotions » . Si les souvenirs sont toujours bien présents dans les esprits, les joueurs sont incapables de dire ce qu’ils ont mangé ce soir-là. « Le repas ? Franchement, c’était le dernier de mes soucis, se marre Bellone. En revanche, je sais qu’on a pas mal bu !(rires) » Giresse balaye lui aussi la question d’un revers de la main : « On aurait pu manger de l’éléphant, ça aurait été pareil ! » Au terme de ce gueuleton mystère, chacun avait le choix d’occuper sa soirée comme bon lui semblait. Certains, comme Bossis ou Giresse, sont tranquillement rentrés à leur hôtel, quand d’autres, les oiseaux de nuit, ont choisi de poursuivre les festivités.
Boîte de nuit, Pelé et gros déhanché
Ce fut notamment le cas du duo Bellone-Fernandez. Fatigués mais heureux, les deux compères ont su puiser dans leurs ressources pour aller se déhancher sur le dancefloor. « Luis a voulu prendre sa voiture pour conduire jusqu’à la boîte de nuit, confie l’ancien attaquant monégasque, mais on est restés coincés sur les Champs-Élysées parce que les gens nous avait reconnus. Il a fallu qu’il accélère un peu pour ne pas qu’on reste bloqués pendant trois plombes ! » Tout ça sans craindre un contrôle de la maréchaussée ? « On était plutôt sobres à ce moment-là, se défend Bellone. Et puis si on s’était fait prendre, je pense que la police nous aurait pardonné ! » Arrivés à bon port dans l’un des clubs branchés de la capitale, le joyeux duo tombe nez à nez avec un certain Pelé. Fernandez ouvre la boîte à souvenirs : « Je m’en souviens comme si c’était hier. Pour moi, Pelé c’était le monstre sacré du foot, alors avoir un mot de félicitation venant de lui, c’était quelque chose de fort. Il était assis tranquille, pépère, en train de boire un verre. Nous, en revanche, on a pas mal dansé ! » En même temps, on n’est pas champions d’Europe tous les jours.
Par Aymeric Le Gall