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Quand les Bleus arrivent en ville
Après France-Portugal en 84 et France-Afrique du Sud en 98, les Bleus aimeraient sortir un nouveau match référence contre l'Albanie ce mercredi, dans un stade Vélodrome avec lequel ils entretiennent une relation ambigüe. Alors que Didier Deschamps et Blaise Matuidi s'attendent à un soutien sans faille, la ville de l'OM n'offrira pas son amour à la sélection (et à son joueur parisien) aussi facilement.
Les chiens aboient, la caravane passe. Le molosse des deux agents de sécurité qui gardent l’entrée de l’aire logistique du stade Vélodrome a beau se casser la voix, cela n’arrête pas le car de l’équipe de France, qui longe la tribune Ganay en cette fin d’après-midi ensoleillée. Alors qu’ils s’entraînaient encore sous de tristes trombes d’eau, dimanche à Clairefontaine, les Bleus au complet sont entrés sur la pelouse marseillaise sous les applaudissements d’une cinquantaine de volontaires en short et manches courtes, pour leur dernière séance avant le deuxième match de poule face à l’Albanie. La faible intensité des petits exercices de jeu court effectués par les Bleus laisse entrevoir la vraie utilité de ce travail de représentation rendu obligatoire par l’UEFA à la veille de chaque rencontre : prendre ses repères, humer l’atmosphère de l’enceinte. À Marseille plus qu’ailleurs, ce détail a son importance.
L’équipe de France a une relation sucrée-salée avec la cité phocéenne. Celle-ci lui a offert deux de ses plus belles émotions en compétition. La victoire inaugurale contre l’Afrique du Sud en 98 (3-0), la langue de Dugarry, le CSC d’Issa, le premier d’une longue série de buts de Thierry Henry en bleu. Et, évidemment, l’incroyable demi-finale du championnat d’Europe 84 face au Portugal (3-2), peut-être le plus grand des mythes tricolores. Et qu’a donné la France en échange ? Rien, ou pas grand-chose. En tout cas aucun match officiel depuis 1998. Avant la petite victoire contre la Suède (1-0) un mois après l’inauguration du Vélodrome, en novembre 2014, ils n’avaient eu pour offrande que le mépris de Maradona (2-0 pour l’Argentine en février 2009), un match de gala estival contre une « sélection FIFA » en août 2000, et un but de raccroc de Djorkaeff face au Maroc en janvier 1999. Maigre.
Matuidi : « Ce stade va être mon stade »
Est-ce parce que la Fédération sait que les Marseillais préfèrent leur club à leur sélection qu’elle boude une aussi grande ville de foot ? Lundi, dans l’auditorium de Clairefontaine, Blaise Matuidi assurait que son statut de joueur du PSG, qui plus est déjà buteur en club au Vélodrome, ne lui poserait pas de problème : « Je suis content de jouer dans ce stade, il est super, il est beau, je sais qu’il y a une belle ambiance et qu’ils vont être derrière nous. C’est le stade de l’équipe de France et je joue pour l’équipe de France, donc ce stade va être mon stade aussi. »
En face du Golden Tulip Villa Massalia, où les joueurs de l’équipe de France est arrivée vers 13h ce mardi, tout le monde n’est pas de cet avis. « Matuidi, va te faire enculer, lancent deux poètes en survêtement de l’OM nichés sur un muret. On va pas le supporter, lui. » Gabriel, abonné chez les South Winners, développe leur « pensée » : « Je n’aime pas la mentalité de Matuidi. Non, le stade ne sera pas à lui. Je ne vais pas au stade, mais si j’avais dû y aller, j’aurais été le premier à le siffler. Les supporters lambda, les familles, peut-être qu’ils soutiendront les Parisiens, mais pas les ultras. La haine qu’on a envers les Parisiens… » Gabriel secoue sa crête blonde et préfère ne pas finir sa phrase. « J’attends surtout Mandanda, moi. Si Deschamps me lit, qu’il le mette sur le terrain juste pour ce match. Je suis venu pour lui et aussi un peu pour Payet, Gignac, et même Deschamps. »
« Ici, c’est spécial »
Entre la peur de voir certains de ses joueurs sifflés et l’espoir d’être porté par la ferveur marseillaise, le sélectionneur français a opté pour la pensée positive. « Même s’il y aura des gens qui sont supporters de l’OM avant tout, ce sera le public de l’équipe de France, croit savoir DD. Il y a toujours eu un bon accueil. Le public est chaud donc forcément, quand il y a des scénarios particuliers, la folie s’en mêle. Le Vélodrome a toujours été synonyme de vraie ambiance de foot. » Comprendre : à la différence du Stade de France. « Ici, c’est spécial, l’OM est un club particulier, mais la ville sera à fond derrière l’équipe de France, promet Michel, 52 ans et maillot de la Juve sur les épaules. Encore plus après la saison controversée du club, ça fait du bien d’avoir les Bleus. » À ses côtés, l’irritant Clément d’Antibes se réjouit de voir les Bleus « à deux heures de chez [lui] » . « Ça me fait une sortie » , ajoute-t-il.
Alors, Marseille se serait-il « footixisé » ? Un supporter, carnet à la main, tente d’interpeller les joueurs à leur arrivée à l’hôtel : « Oh, venez saluer ! Ça fait 2 heures qu’on attend, con de tes morts ! » Un policier en faction risque une vanne : « Je peux vous en signer un, moi. » Le supporter : « Mais je m’en bats les couilles de votre autographe, allez les chercher ! » En descendant du bus, les joueurs se contenteront finalement d’un petit signe de la main avant de s’engouffrer dans le palace. Si le soleil brillait aujourd’hui à Marseille, le mistral était aussi de la partie. Et si l’équipe de France n’y prend pas garde, il pourrait vite retourner quelques vestes, ce mercredi au Vélodrome.
Par Arthur Jeanne et Ugo Bocchi, à Marseille, et Thomas Pitrel, en 307 entre Clairefontaine et Marseille