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Quand le Stade helvétique était le premier club de Marseille
Au début du XXe siècle, l'Olympique de Marseille n'était pas encore le géant du football français qu'il est aujourd'hui. En fait, il n'était même pas le meilleur club de la cité phocéenne. Le Stade helvétique de Marseille, fondé par la communauté suisse de la ville, était alors une des meilleures équipes de l'Hexagone. Un comble.
Le 13 novembre 1910, 1 000 supporters ont fait le déplacement au stade de l’Huveaune. Un record. Sur le terrain, le Stade helvétique assume son statut de premier club de Marseille, en infligeant une énième défaite à l’Olympique de Marseille (3-1). Cela fait maintenant deux ans que le SH règne en maître sur la cité phocéenne. Deux ans qu’il remporte le championnat du Littoral USFSA (compétition entre les clubs de la ville). Et surtout, deux ans qu’il est devenu le premier club marseillais à remporter le championnat de France, brisant ainsi l’hégémonie des clubs parisiens. D’ailleurs, la saison 1910-1911 sera encore couronnée de succès, puisque le stade helvétique remporte la finale du Trophée de France face au Racing club de France. « Les Parisiens ne voulaient même pas se déplacer à Marseille, parce que le trajet était« trop fatiguant ». Ils ont été sanctionnés par une défaite 3-2 » , explique Alain Pécheral, auteur de La Grande Histoire de l’OM.
Un succès qui agace
Depuis le XVIe siècle, Marseille fait office de passage obligé pour la diaspora suisse. Mais c’est surtout au début du XIXe que des milliers de Suisses débarquent à Marseille pour travailler dans l’hôtellerie, la restauration, le négoce ou la banque, jusqu’à devenir la deuxième plus grande communauté derrière les Italiens. C’est ainsi que cinq ans après la création de l’OM, en 1904, le club de football de La Suisse est fondé, puis renommé en Stade helvétique de Marseille trois ans plus tard. « Il y avait énormément de riches industriels à Marseille à l’époque. Ils faisaient venir les meilleurs joueurs suisses et leur fournissaient un travail plus ou moins réel ou fictif. Et comme le football était encore très amateur, ça suffisait pour devenir l’une des meilleures équipes de l’Hexagone » , détaille Alain Pécheral. Et en effet, le club devient rapidement un géant du foot marseillais et français. En dix ans d’existence, les Jaune et Noir raflent trois titres de champion de France et six titres consécutifs de champion du Littoral. En 1909, dix Suisses et un Britannique sont ainsi sacrés champions de France.
L’hégémonie naissante du SH est loin de plaire à tout le monde. À tous les niveaux. « Les Marseillais parlaient tout le temps de la rivalité entre le SH et l’OM. Tous les titres de champion du Littoral se jouaient lors des confrontations directes entre les deux clubs. Mais la concurrence était assez saine. En revanche, au niveau national, ça rendait fous les organisateurs que des Suisses soient champions de France. Une année, il a été décrété que c’était anormal qu’autant d’étrangers composent une équipe et le SH a été interdit de participer au Trophée de France » , expose Alain Pécheral.
Une disparition en deux temps
En 1914, les performances du Stade helvétique sont arrêtées net, à cause du début de la Première Guerre mondiale. Malgré le statut neutre de la Suisse, le club est obligé de fermer ses portes et cesse toute activité en 1916, faute d’adversaires, tous mobilisés sur le front. L’OM en profite pour devenir le premier club de la ville. « S’il n’y avait pas eu la guerre de 14-18, soit il y aurait deux grands clubs à Marseille, soit le Stade helvétique aurait complètement pris le pas sur l’OM. » Plusieurs joueurs, comme Marcel Vanco, le gardien britannique McQueen ou encore les frères Scheibenstock, partent à l’OM. Et surtout, Marseille a été contaminé par la passion du foot. « Le SH comme premier club marseillais champion de France, ça avait d’abord rendu jaloux l’OM, mais ça l’a surtout rendu plus ambitieux. »
Après près de dix ans de sommeil, le SH renaît de ses cendres en 1927, et revient avec un tout nouveau maillot aux couleurs de la Suisse. Rouge avec une croix blanche. Et même si l’OM domine largement le football local, le club commence tout doucement à redevenir une équipe compétitive. Sauf qu’entre-temps, son stade, le stade des Patronages sur l’avenue du Prado, a été réattribué. Las de devoir vagabonder entre le stade de l’Huveaune et le stade Montfuron, le club décide d’organiser une énorme tombola pour construire sa propre enceinte sur les ruines des anciennes usines automobiles Turcat-Méry, entre le quartier de Saint-Giniez et le quartier Sainte-Marguerite. « Après des mois et des mois de récolte de fonds, le SH avait amassé pas mal d’argent. Mais un des dirigeants est parti avec la caisse. Comme quoi, tous les Suisses ne sont pas honnêtes » , s’amuse Alain Pécheral. Finalement, le 28 avril 1935, le maire de Marseille, Georges Ribot, pose la première pierre d’une toute nouvelle enceinte sportive au même endroit. Il s’agit du stade Vélodrome.
Par Kevin Charnay