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Quand le Napoli réconcilie le Nord et le Sud de l’Italie
Une vraie fracture sépare la nation italienne depuis des décennies. Les mangeurs de polenta au Nord contre les culs-terreux au Sud pour faire dans le bon gros cliché. Mais depuis quelques années, le Napoli réussit à réconcilier les deux factions.
Le rouge et le blanc sont les couleurs qui figurent sur le blason de la ville de Dimaro, petite commune du Trentin coincée entre les splendides Dolomites. Mais c’est bien le bleu ciel qui domine lorsqu’on se balade dans les rues de ce petit village montagnard de 1200 âmes. En effet, des dizaines de drapeaux à l’effigie du Napoli sont suspendus au balcon ou accrochés aux réverbères. Pourtant, l’ancienne capitale du royaume des deux Siciles se trouve à près de 700 km à vol d’oiseau, mais les Partenopei ont choisi de s’implanter aux pieds de Madonna di Campiglio depuis plusieurs étés afin d’y effectuer leur préparation estivale. C’est donc toute une vallée qui se transforme en un « rione » l’espace de quelques semaines, au plus grand bonheur des autochtones.
Dimaro, commune de la province de Naples
Les travées du stade Carciato sont bien remplies. Au dernier rang, journalistes de sites internet ou télévisions locales suivent le Napoli au jour le jour et s’activent pour combler le programme quotidien. Un peu plus bas, les supporters azzurri sont venus assister à l’entraînement de leurs protégés. Federico fait partie de ces nombreux immigrés qui profitent de l’occasion : « J’habite du côté de Rovigo, pour moi et d’autres, c’est une belle opportunité de voir notre équipe de cœur. Certains viennent aussi d’Allemagne de Suisse. » Tous en profitent pour allier l’utile à l’agréable, vacances à la montagne tout en suivant leur passion. « On a nos habitudes, on a fait des rencontres au cours des années et on se retrouve chaque été » , révèle Arturo qui a convaincu femme, sœurs et beaux-frères de le suivre.
Les balades ne manquent pas dans le Val di Sole, les cascades de Saent sont par exemple un rendez-vous immanquable, tandis que le club pense à tout avec des activités pour occuper les plus petits dans un mini-parc adjacent. Ainsi, c’est tout le village qui se met au diapason de ses invités. Autre habitué, Achille arbore le maillot mimétique du club et la soixantaine : « J’organise des soirées Pino Daniele dans un des bars, tandis que toute l’équipe de l’émission de Rai 2 Made In Sud anime chaque soir la place du village au rythme des chansons napolitaines. Je pense que ça a permis de mettre fin à certains préjugés sur nous. » Arturo conclut joliment : « La colline de Vomero est le point culminant de Naples. Mais au-dessus, il y a Dimaro. » Voir Dimaro, et mourir.
Naples vs Rome
Un peu plus loin, Francesco suit la séance avec sa femme et ses deux enfants : « J’habite à Monza, à côté de Milan. Chaque été, je pose une semaine de vacances pour venir ici. Là, ça va, c’est encore calme, mais durant les amicaux, vous avez des mecs qui grimpent aux arbres pour voir le match ! » La discussion s’interrompt pour applaudir un joli but d’Insigne lors d’un exercice d’habileté : « On pourrait penser que les gens du coin ont une mentalité de montagnards, et donc plutôt fermée, mais j’ai eu plus de problèmes à Monza qu’ici. J’ai rencontré des personnes disponibles et très courtoises. Il n’y a jamais eu aucun problème. » Le duo Achille-Federico a même été intronisé citoyens d’honneur de la ville par le maire Romedio Menghini. Et s’il y a eu incident, c’est avec d’autres supporters, comme le confie la mascotte du groupe : « La Roma était à Pinzolo, de l’autre côté de la montagne. Les joueurs sont descendus dans la vallée faire du rafting, ils étaient évidemment suivis par des centaines de tifosi, mais pas des ultras, des familles. Ils ont vu mon maillot et m’ont insulté. J’en avais les larmes aux yeux… »
Monica et Rosa observaient la scène de loin, les deux associées tiennent un magasin de souvenirs au sein du village : « D’autres équipes étaient venues comme Sienne ou Bologne, mais il n’y avait pas tous ces supporters invétérés. C’est vrai qu’au début, on avait un peu de crainte et quelques clichés. Le Napolitain est réputé pour être bordélique et bruyant, mais finalement, rien de tout ça. » La première année, la commune a briefé tous les commerces et hôtels et leur a offert des drapeaux à accrocher à leur devanture. « En fait, il y a un genre de jumelage qui est né. Certains nous invitent à passer un week-end chez eux. Quand la commune a renouvelé l’accord avec le club pour trois ans, nous étions tous ravis. »
Trentin vs Haut-Adige
À 100 mètres de l’hôtel Rosatti où résident le staff et les joueurs, Gianni tient son Bed & Breakfeast : « Ça fait tourner la ville pendant deux ou trois semaines, mais aussi les autres villages voisins. Ça a sauvé un peu le tourisme estival ici, sinon il n’y a que des petits vieux qui viennent chercher la fraîcheur. » Même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde, puisque la commune allonge le chéquier pour faire venir le Napoli : « Oui, l’assesseur à l’élevage a gueulé, parce que c’est un budget qu’on lui retire. L’an dernier, la ville a même eu du mal à payer, on parle d’environ un million d’euros par an tout de même. » Les chiffres varient selon les sources, mais les sommes sont effectivement élevées, même si la région en finance une bonne partie.
Toutefois, le retour sur investissement est assuré. « Certains Napolitains reviennent aussi à d’autres périodes de l’année, poursuit notre aubergiste, le bouche-à-oreille fonctionne. » Sans oublier l’aspect ludique : « Il n’y a plus d’équipe de foot à Dimaro, elle a fait faillite. C’est l’occasion de voir des joueurs, mais ça manque de proximité. Les joueurs de Bologne étaient accessibles, se baladaient en vélo dans le village. Eux, en revanche, sont transportés en mini-bus. » Quant aux rapports avec les supporters, Gianni est formel : « Vous savez, on a plus de problèmes avec nos voisins germanophones du Tyrol italien. Ils haïssent tellement lesTrentiniqu’ils ont fait enlever les inscriptions de leurs sentiers en langue italienne. Comme si on allait se promener chez eux ! On a ce qu’il faut ici, sauf qu’ils ne pensent pas aux touristes italiens qui viennent d’autres régions… » Et là, ça risque d’être plus compliqué de les réconcilier.
Par Valentin Pauluzzi