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  • 12 octobre 1996
  • Mort de René Lacoste

Quand le foot était mordu du survêtement Lacoste

Par Alexandre Doskov
Quand le foot était mordu du survêtement Lacoste

Il y a vingt ans très exactement, René Lacoste nous quittait. Qu'a-t-il laissé comme trace ? Trois Roland Garros, deux Wimbledon, deux Coupe Davis. Pas mal, mais l'un de ses plus beaux succès reste le jogging de la marque qui porte son nom, véritable institution à laquelle les footballeurs ont longtemps été très attachés.

Qu’il semble loin, le temps où seuls les joueurs de tennis se permettaient d’arborer un petit crocodile sur leur tenue. Après un pari qui impliquait comme lot une valise en crocodile, René Lacoste hérite de ce surnom, et se présente sur le court avec un reptile à bouche ouverte dessiné sur sa veste. Nous sommes en 1926, et René Lacoste vient de lancer une aventure bientôt centenaire. Mais dans les années 90, les ensembles Lacoste ont quitté les clubs de tennis pour envahir MTV, les clips des rappeurs, puis les terrains de football de toute la France.

Quand on était adolescents, tout le monde en voulait un, c’était le cadeau qu’on demandait tous ! Il fallait avoir la couleur que les autres n’avaient pas.

Habib Bellaïd, l’une des vedettes du documentaire À la Clairefontaine, actuellement défenseur à Amiens, se souvient de ses années passées en survêtement serré aux chevilles, avec un crocodile sur la cuisse : « Quand on était adolescents, tout le monde en voulait un, c’était le cadeau qu’on demandait tous ! Il fallait avoir la couleur que les autres n’avaient pas. Moi, j’en avais un bordeaux… Et mon meilleur ami, Ricardo Faty, il en avait deux-trois, je lui taxais tout le temps ! Même la banane, on avait du Lacoste des pieds à la tête, à part les Reebok Classics. »

Mohammed Larbi, du Gazélec, est d’une autre école : « Le Lacoste plus les requins, et là c’était le top du top ! » Une certaine conception de la classe que quelques pensionnaires de l’INF poussaient assez loin, comme l’affirme Bellaïd, toujours plongé dans ses cartons à souvenirs : « À Clairefontaine, on n’avait pas le droit d’aller à l’école en survêtement. On se cachait dans le bus pour se changer. On allait à l’école en jean, puis dans le car, on remettait nos Lacoste. » Mais comment une marque habituellement réservée aux tennismen a-t-elle pu imposer à ce point un de ses vêtements dans le monde du football ?

Le vêtement du peuple

Larbi, lui, ne se posait pas vraiment la question, « c’était la mode au quartier, et j’étais un suiveur ! » Dans une boutique d’un quartier populaire du nord de Paris, un vendeur tente une explication : « Le football est un sport populaire, je pense que ce sont les jeunes de quartiers qui se sont appropriés cet objet. Et ils l’ont associé au football, vu que dans les quartiers, on joue beaucoup au football. » En outre, son prix élevé – 90 euros en moyenne aujourd’hui – confère au pantalon Lacoste un certain standing. Et en devenant presque un produit de luxe, il en devient encore plus attrayant. Pourtant, à son apogée vers la fin des années 90, aucun gosse de cité ne s’imaginait lâcher 600 francs pour le fameux bas de survêtement, et son prix n’a fait qu’augmenter ces dernières années. « Lacoste explique ça par l’inflation du coton » , avance le vendeur, même si certains accusent le Crocodile de faire grimper les tarifs pour se débarrasser d’une clientèle qui ne lui plaît que moyennement.

Habib Bellaïd, lui, jure que si le jogging Lacoste est devenu associé au football à ce point, c’est avant tout parce qu’il est un bon équipement :

T’étais dégoûté quand tu le déchirais, ce qui arrivait souvent avec la matière de l’époque.

« Ce sont des survêtes qui taillaient très bien, et qui étaient pas mal pour jouer au foot. T’étais dégoûté quand tu le déchirais, ce qui arrivait souvent avec la matière de l’époque. Mais pour jouer, c’était vachement agréable. C’est pour ça que ça s’est imposé au foot. Jouer au tennis en jogging, c’est pas super ! » Et s’il y a un joueur sur le terrain peut dire qu’il a besoin d’avoir les jambes couvertes, c’est le gardien de buts. Pourtant, à l’image du Hongrois Kiràly, les goals en jogging sont moqués, et même ceux en pantalon ont presque disparu au profit des porteurs de shorts.

De Ärsenik à Khalid Boutaïb

Patrick Regnault, légende de Sedan et grand amoureux du pantalon, revient sur la question : « Je jouais souvent en pantalon, effectivement, mais en pantalon de gardien, donc pas trop en Lacoste ! Et en dehors, je suis plutôt jean baskets ! » Autre argument phare pour expliquer la place du Lacoste dans le cœur des footballeurs depuis les années 90, l’influence du hip hop et de ses codes. « Le groupe Ärsenik était toujours habillé en Lacoste » rembobine Bellaïd, « maintenant, les jeunes veulent ressembler aux rappeurs qui mettent des jeans, qui sont plus fashion. Nous, on était plus underground, plus street ! » Ce qui expliquerait aussi pourquoi Regnault a loupé le wagon : « Moi, je suis très variété française ! »

Pourtant, le vendeur de chez Lacoste jure qu’il en vend encore de grosses quantités, plus de 200 rien qu’au mois de septembre.

Le Parisien hype, il ne va jamais s’acheter un jogging Lacoste pour aller se balader.

« Mais c’est le quartier qui veut ça. Je ne suis pas sûr qu’à la boutique d’Opéra ou des Champs, ils en vendent autant que nous ! On a une clientèle qui est très sport, et qui va se diriger vers ce produit. Le Parisien hype, il ne va jamais s’acheter un jogging Lacoste pour aller se balader. » Aujourd’hui, le jogging Lacoste est presque en voie d’extinction. Ringard, démodé, les amateurs de bas de survêtement l’ont progressivement remplacé par d’autres modèles, comme ceux avec les écussons de clubs (Bayern, Real, Chelsea, Juventus), très en vogue en ce moment. Mais le Lacoste a encore ses défenseurs, et Mohammed Larbi balance : « On jouait à Troyes. Khalid Boutaïb était suspendu, mais il a fait le déplacement. Là-bas, il est sorti, et il a acheté un survêtement Lacoste bleu. Toute la saison, il l’a souvent porté pour venir à l’entraînement. Il se faisait chambrer, mais il assumait ! » Les nostalgiques existent donc toujours, et pleurent apparemment le déclin de leur pantalon fétiche. Et sans larmes de crocodile, bien entendu.

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Par Alexandre Doskov

Tous propos recueillis par AD

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