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Quand l’Atlético lançait la domination du Bayern
En 1974, Madrilènes et Bavarois se rencontrent pour la première fois. Pas n'importe où, en finale de la Ligue des champions. Alors que l'Atlético mène 1-0 dans la prolongation, la victoire leur échappe. Puis le trophée.
C’est l’histoire d’un triomphe qui aurait pu ne jamais exister. Le mythe fondateur d’un Bayern souverain et dominant. Nous sommes en 1974, la Coupe d’Europe n’a que 19 ans, ne concerne encore que les clubs champions, et cette finale 1974 fleure bon la nouveauté. Les favoris n’ont pas résisté : Juventus, Liverpool, Benfica et surtout l’Ajax, tenant du titre. Difficile alors de dégager un favori entre néophyte à ce niveau. D’un côté, l’Atlético, champion deux fois entre 1970 et 1973, sans oublier la Copa del Generalisimo en 1972, a défait en chemin Galatasaray, le Dinamo Bucarest et l’Étoile rouge de Belgrade, avant de faire tomber le Celtic en demies. L’aller en Écosse fut d’ailleurs des plus volcaniques, avec expulsions et avertissements en masse, pour finir en bagarre générale. De l’autre, le Bayern, celui de Sepp Maier, Franz Beckenbauer, Hans-Georg Schwarzenbeck, Paul Breitner, Uli Hoeness et Gerd Müller, tous champions d’Europe avec l’Allemagne. Si le parcours des Bavarois a été plus tranquille (Åtvidaberg, Dynamo Dresden, CSKA Sofia, Újpesti Dózsa), ils ont le mérite d’être champion depuis une semaine, pour la troisième fois d’affilée, là où les Madrilènes ont fini loin du Barça. Toujours est-il que la confiance est grande côté allemand. Hoeness déclare ainsi : « Nous sommes dans la meilleure position. Nous sommes champions et on jouera encore la Coupe d’Europe, quoi qu’il arrive en finale. Mais l’Atlético doit gagner. » Kicker titre « C’est maintenant ou jamais » . Bizarrement, seul Beckenbauer se méfie : « La raison pour laquelle les gens dans ce pays pensent que l’on va gagner la Coupe d’Europe presque en marchant est un mystère pour moi. Si l’Atlético devait marquer le premier but, cela serait presque impossible pour nous de refaire notre retard. Les Espagnols sont les maîtres dans l’art de sortir l’adversaire de son match avec toutes sortes d’actions théâtrales. »
Sélectionneur contre Nettoyeur
Le jour fatidique arrive. 15 mai 1974. Scène : théâtre du Heysel, 48 722 spectateurs. La représentation n’est pas à la hauteur de l’événement. La pression sans doute. Si les Bavarois commencent plutôt bien, il semble impossible de marquer un but à Miguel Reina, père de, et portier infranchissable encore jamais trompé dans la compétition. La rencontre s’équilibre au fur et à mesure, avant que les Colchoneros, pourtant bien plus vieux que leurs adversaires, ne commencent à dominer, sans non plus trouver la faille. Prolongation. Évidemment, un coup franc change le cours des choses. 114e minute, Luis Aragonés, futur sélectionneur, enroule sa frappe au-dessus du mur et trompe Maier. Les fans espagnols, venus en grand nombre, deviennent fous de joie. La victoire est proche.
Et puis, à vingt secondes du coup de sifflet final, Hans-Georg « Katsche » Schwarzenbeck, défenseur central rugueux au possible, surnommé le « Nettoyeur du Kaiser » , hérite du ballon des pieds de Beckenbauer. « La situation était en quelque sorte irréelle, a expliqué récemment à Kicker Javier Irureta, entraîneur du Grand Depor et à l’époque joueur des Rojiblancos. Parce que tout d’un coup, ce Schwarzenbeck est apparu de si loin sur le terrain. On aurait dû aller au duel. Mais on était surpris de le voir là. Et aussi qu’il tire. » Tout le monde l’est. « Ne tire pas s’il te plaît » , pense Paul Breitner, alors que Müller s’apprête à lever les bras pour demander une passe. Katsche lui-même ne sait pas trop : « Personne ne m’a attaqué, alors j’ai juste tenté ma chance, d’environ 30 mètres. Je n’ai pas vraiment pensé à ce que je faisais à ce moment-là, Dieu merci. Je ne comprends toujours pas pourquoi j’ai frappé. Même avec du recul. C’était sans doute une question d’instinct, car ce n’était pas une décision réfléchie. » Miguel Reina, comme les autres, ne s’y attend pas. La légende raconte qu’il était en train de donner ses gants en souvenir à un journaliste de Marca, ce qu’il a toujours nié. « C’était un moment horrible dans ma carrière » , s’est-il confié à Marca justement. « Je me suis senti vraiment mal pendant un sacré bout de temps. Je ne sais toujours pas comment j’ai laissé rentrer ce tir. » « C’était un but absurde, un coup de poker d’un joueur qui n’était pas vraiment bon » , pour Ignacio Salcedo. Son coéquipier Francisco Melo est tout aussi dépité – « Je ne l’oublierai jamais. Quand il semblait que tout était fait, son but nous a écrasés. » José Pachecho, le portier remplaçant, n’y croit pas non plus : « On avait dominé tout le match et je pensais qu’on avait gagné. J’étais déjà en train d’embrasser Banegas sur le banc et quand on a levé la tête, les bras nous en sont tombés. »
Meutes de journalistes et moral dans les chaussettes
1-1, score final. Pas encore de tirs au but, le match sera rejoué. La suite est dure pour tout le monde. Katsche se plaint de la meute de journalistes qui l’attend après la rencontre. « Bon sang, si seulement c’était Gerd qui avait marqué le but. Pourquoi cela me tombe dessus ? » De leur côté, les joueurs de l’Atlético ont le moral à zéro. Eusébio Bejarano : « On n’a pas du tout dormi cette nuit-là. On ne pouvait pas se reposer physiquement ni mentalement, alors on était complètement dépassés. » Deux jours plus tard, dans un Heysel à moitié vide, les vacanciers étant rentrés, le Bayern écrase l’Atlético 4-0, avec des buts somptueux signés Müller et Hoeneß, tous deux auteurs d’un doublé et transcendés soudainement par l’occasion.
Le premier titre européen du Bayern, qui en ajoutera deux autres à la suite pour devenir une superpuissance du football européen. Depuis, les deux équipes ne se sont plus jamais rencontrées. Jusqu’à aujourd’hui.
Par Charles Alf Lafon