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Quand la violence a écourté le jubilé de Kempes
Cela devait être une fête. Un jubilé, à domicile, pour Mario Kempes, l'homme qui a donné à l'Argentine sa première Coupe du monde. Mais ce 8 février 1995, à Rosario, la fête a très mal tourné.
Bonne humeur, tour d’honneur, complicité des adversaires envers l’honoré du jour, voilà ce qui caractérise, partout dans le monde, un jubilé. À un moment, l’émotion s’invite aussi, souvent quand le vétéran quitte la pelouse avant le coup de sifflet final, la fin de sa vie sur les terrains, la fin d’une époque aussi, s’il a marqué son temps. C’était évidemment le cas de Mario Alberto Kempes, meilleur buteur du Mondial 78. Un avant-centre athlétique, opportuniste, et létal. Idole de Valence, de la sélection argentine, et de Rosario Central, où il avait planté 97 fois en 123 matchs entre 1974 et 1976, avant d’être transféré pour une somme record en Espagne.
« C’est un Clásico, bordel ! »
Quand Rosario Central se décide à lui rendre l’hommage qu’il mérite, Mario Kempes a quarante et un ans, et a arrêté sa carrière depuis deux ans, dans l’anonymat du championnat autrichien. Pas question toutefois de réunir les glorieux anciens pour lui tapoter affectueusement la crinière, il est décidé de replonger El Matador dans l’ambiance électrique du Clásico de Rosario, qui oppose Rosario Central à Newell’s Old Boys. Est alors mise à profit une tradition argentine, celle de jouer des Clásicos amicaux en période estivale, moment de trêve ou d’intersaison du football local. Problème : un Clásico à Rosario, ville qui s’est gagnée le surnom pas vraiment engageant de « Chicago argentine » , n’est jamais amical. C’est d’ailleurs ce qu’avait clairement annoncé l’entraîneur de Newell’s alors qu’il avait été question de profiter de l’occasion pour que les Leprosos imitent les Canallas et fassent jouer Roque Alfaro, idole du club. « Non messieurs, s’était opposé Castelli. S’ils veulent mettre Kempes, qu’ils le fassent. Nous, on ne va pas aligner des joueurs retraités. C’est un Clásico, bordel ! » « En fait, j’étais allé saluer les anciens de Rosario, se souvient Kempes, et ils m’ont demandé si je ne voulais pas jouer ce Clásico. »
Au Gigante de Arroyito, le stade de Central, tout avait commencé dans la parfaite normalité d’un jubilé. Une plaque commémorative avait été remise à Kempes, et le public avait salué l’entrée du jeune retraité en scandant des « Matadooor, matadooor » sous une pluie de papelitos. « Le stade était plein, c’était comme un retour aux sources » , se souvient le meilleur buteur du Mondial 78, qui avait inscrit neuf buts en quinze Clásicos quand il défendait le maillot des Canallas. Près de vingt ans plus tard, Kempes ne ressemble toutefois plus à l’épouvantail qu’il était pour Newell’s, même s’il continue de s’entretenir depuis qu’il a raccroché les crampons. « Je jouais toujours avec des amis, dit-il, mais je n’étais clairement pas à la hauteur des autres titulaires, j’ai eu de la chance qu’ils ne me rentrent pas trop dedans. »
But de la tête et objets contondants
En tribunes, l’esprit de concorde ne règnera jamais. Dès le début de la rencontre, des projectiles commencent à être échangés entre supporters de Central et de Newell’s, et la police intervient. Avant même le coup d’envoi, des incidents avaient été à déplorer aux alentours du stade. Quarante supporters seront détenus, et six autres pour avoir tenté d’entrer dans le stade avec des objets contondants. La situation deviendra incontrôlable à partir de la 25e minute, moment où un scénario hollywoodien commence à s’écrire sur la pelouse. Mario Alberto Kempes devance le gardien de Newell’s et ouvre le score de la tête. « On aurait dit que cela avait été préparé, déclara alors le goleador, mais j’ai presque marqué ce but sans le vouloir, car je pensais vraiment que le gardien allait me devancer, et j’ai eu la chance que le ballon frappe ma tête. Je ne savais d’ailleurs pas vraiment comment le fêter, après deux ans loin des terrains, je ne me sentais pas à ma place. »
Approché par Central pour un retour aux sources quand il avait raccroché les crampons, le très mesuré Kempes ne regretta sans doute pas son choix en voyant les événements dégénérer en tribunes. Au retour des vestiaires, le jeune Roberto Abbondanzieri, alors gardien de Central, voit ainsi sa surface inondée de projectiles. Le défenseur, Jorge Balbis, reçoit, lui, directement au niveau du cou, une bouteille en verre. Une échauffourée se forme sur le terrain entre les deux équipes. Quelques bouteilles supplémentaires atterrissent sur le terrain et l’arbitre décide de mettre fin aux festivités. Le match hommage à l’un des plus grands joueurs argentins de tous les temps ne pourra pas se terminer. « Je crois me rappeler que des fans de Newell’s sont même allés aux toilettes à la mi-temps pour arracher les robinets et s’en servir comme de projectiles, se rappelle Kempes. L’arbitre a donc bien fait d’arrêter le match. » Si la fête a été gâchée, pour les fans de Rosario Central, ce match reste toutefois un grand souvenir, pour avoir pu se payer Newell’s sur un but d’un retraité. Dans la foulée de la rencontre, l’idée d’un retour de Kempes est même mise sur la table. « J’ai essayé de convaincre Mario, déclara alors l’entraîneur de Central, Pedro Marchetta. Je lui ai dit qu’il pourrait ne s’entraîner que trois fois par semaine, j’étais convaincu qu’il pouvait continuer à marquer des buts, mais il n’a pas voulu revenir. » Finalement, Kempes, aujourd’hui consultant pour ESPN, depuis Bristol (Connecticut), reviendra bien sur les terrains, mais dans un petit club chilien (Club Deportivo Arturo Fernandez Vial), avant un dernier tour de piste exotique, en Indonésie (Pelita Jaya, 1996). Loin, très loin de l’Argentine, et de la violence de ses tribunes, mais là où un tour d’honneur est loin d’avoir la même saveur.
Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin
Propos de Kempes recueillis par MA. Autres propos tirés de Diario La Capital de Rosario, Diario Clarín, et Canalladas-Historia de la pasión.