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Quand la sélection basque s’exilait en Amérique
Aujourd’hui région la plus représentée en Liga, le Pays basque est historiquement le plus gros pourvoyeur de joueurs de la Roja. Si bien qu’au cœur de la guerre civile, le gouvernement local décide d’envoyer une sélection régionale comme ambassadrice de la cause républicaine aux quatre coins de l’Europe, puis de l’autre côté de l’Atlantique. Ou quand le ballon rond se veut diplomate.
Fut un temps où le derby basque opposant Athletic Bilbao et Real Sociedad, les deux représentants les plus éminents du ballon rond d’Euskadi, était réduit à l’état de poussière. Une époque sombre et sanglante, à en croire les milliers d’exilés et autant de morts, qui prend le nom de guerre civile de l’autre côté des Pyrénées. Trois ans durant, de 1936 à 1939, républicains et anarchistes, fidèles au gouvernement légitime de la seconde République, tentent d’éteindre la rébellion franquiste, soutenue par les forces de Benito Mussolini et d’Adolf Hitler.
Fratricide autant que religieux et politique, le conflit touche toutes les strates de la société espagnole. Jusqu’à son football, donc, qui, par bien des aspects, nourrit la propagande des deux camps. En 1937, le drapeau républicain flotte au-dessus de la Biscaye et le Guipuscoa, deux des trois provinces de l’Euskadi. Si bien que le gouvernement local, disposant des meilleurs joueurs espagnols, décide d’envoyer une sélection régionale en tournée en Europe, puis en Amérique pour défendre à l’étranger l’image du Pays basque. De ce périple, presque aucun joueur ne reviendra en Espagne.
Massacre de Guernica et grand luxe de Moscou
Européen puis mondial, le périple de la sélection d’Euskadi doit, à l’origine, se limiter à quelques matchs amicaux par-delà les Pyrénées. Mais, trop forte pour ses rivaux français, le Racing de Paris et l’Olympique de Marseille, qu’elle écrase à chacune de ses confrontations, elle attire l’œil d’autres puissances continentales. De fait, la Tchécoslovaquie et la Pologne, deux pays proches des forces républicaines, invitent cette sélection sur leurs terres. Le premier objectif, récupérer des fonds pour les enfants basques victimes de la guerre, est vite atteint. Mais c’est bien le second, propre à la propagande, qui envoie par la suite cette sélection basque à Moscou. Dès son arrivée dans la capitale soviétique, la délégation, déjà au fait du massacre de Guernica, apprend la prise de Bilbao par les forces franquistes. Le coup est rude, d’autant plus que le train de vie de la sélection, accueillie en héros et par une foule monstre dès son atterrissage, est en total décalage avec les événements qui matraquent le Pays basque. Qu’importe pour le gouvernent basque, délocalisé en France, qui presse les joueurs de poursuivre leur mission.
Sur les terrains, la tournée rime avec réussite. Invaincue sur le sol russe – huit victoires pour un match nul –, la sélection change profondément le modèle footballistique prôné par l’URSS. Mieux, son jeu chatoyant lui octroie une popularité infinie chez les amateurs russes de ballon rond qui, solidarité oblige, leur versent des sommes conséquentes. Une générosité qui n’empêche en rien l’avancée massive des forces du général Franco, toujours plus proches de Madrid et de la capitulation des républicains. Pourtant, aucun des vingt et un membres de l’équipe ne décide de rentrer au Pays basque pour retrouver leur famille respective, préférant ainsi poursuivre leur tournée en Scandinavie. De retour à Paris, et à l’occasion de l’anniversaire de Manuel de la Sota, mythique président des Leones, ils votent à l’unanimité, ou presque – seuls deux joueurs et le masseur rentrent en Espagne – le prolongement de ce voyage de l’autre côté de l’Atlantique. C’est ainsi que le 10 octobre 1937 au matin, ils embarquent, sans billet de retour, depuis Le Havre en direction de New York pour ensuite rallier le Mexique et sa capitale.
Le championnat mexicain aux Asturies et au Pays basque
Sitôt débarquée en Amérique, la sélection basque connaît ses premières galères. Pas ses dernières. Car après des matchs inauguraux à Cuba et au Mexique, elle reçoit l’interdiction de la FIFA d’aller poursuivre ses représentations en Argentine pour y affronter Boca et River : pour sûr, l’organisme international reconnaît quelques jours plus tôt la Fédération franquiste comme la seule Fédération espagnole compétente. Résultat des courses, elle reste à quai au Mexique, là où elle se créée, en 1938, son propre club dans le championnat local.
Baptisé Club Deportivo Euzkadi, il remporte tout sur son passage, à l’exception du duel espagnol contre le Club de Futbol Asturias, fondé par des réfugiés asturiens et champion du Mexique. Finalement, lorsqu’en 1939, la guerre s’achève, la majorité des membres de cette sélection, qui reçoivent chacun 10 000 pesetas, décident de rester sur le continent américain pour évoluer dans des clubs argentins et mexicains. Trois exceptions, Iraragorri, Zubieta et Langara, rentrent tout de même au pays, mais n’y retrouvent que ruines et désolation. La guerre a privé le football basque de l’une de ses plus grandes générations, mais c’est avant tout le football qui a perdu la guerre civile.
Par Robin Delorme