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Quand la Hongrie était dorée

Par Mathieu Faure
7 minutes
Quand la Hongrie était dorée

Entre 1949 et 1954, la Hongrie était la meilleure équipe de football du monde. Certains diront de l'histoire. Une finale de Coupe du monde perdue et une insurrection auront raison de ce « Onze d'or ». Ce soir, la Hongrie affronte la Roumanie avec l'espoir de se qualifier pour l'Euro 2016 dans un groupe où elle se situe derrière l'Irlande du Nord et devant les îles Féroé.

Des gueules et des surnoms qui pourraient avoir leur place dans un livre sur le grand banditisme, voilà ce qu’il reste de l’équipe de Hongrie des années 50, quand la sélection actuelle s’apprête à affronter la Roumanie, ce vendredi soir, dans un match qui ne déchaîne pas les passions. Avant, il y avait Bozsik, « le Député-Footballeur » , l’ailier gauche Czibor, « le Rebelle » , le gardien de but Grosics, « la Panthère noire » , Kocsis, dit « Tête d’or » , Hidegkuti, appelé « le Grand Maître » ou encore Ferenc Puskás, « le major galopant » . C’était l’équipe de football hongroise dite le « Onze d’or » . Une équipe qui va faire régner la terreur en Europe – 42 victoires, 7 nuls et 1 défaite entre le 4 juin 1950 et le 19 février 1956, soit 91% de victoires – et braquer un titre olympique en 1952 avant d’échouer en finale de la Coupe du monde 1954. Tout a vraiment commencé à Helsinki, en 1952. Lors des Jeux olympiques, la Hongrie effectue sa première sortie en dehors du bloc communiste. Le monde doit savoir. Le monde va savoir. Avant de s’envoyer la Yougoslavie sur le bout de la godasse en finale (2-0), les Magyars désossent l’Italie (3-0), la Turquie (7-1) et la Suède (6-0). En 1953, la Hongrie remet ça au cœur d’une compétition qui n’existe plus : la Coupe intercontinentale européenne. L’Autriche, la Suisse, la Tchécoslovaquie et l’Italie ne résistent pas au génie de la Hongrie. À ce moment-là, l’Europe bruisse à l’idée d’affronter cette équipe un peu folle. Bientôt, l’Europe aura peur. Peur de prendre des valises. Il faut dire que le 25 novembre 1953 va passer par là. La scène de crime se situe à Londres, Wembley.

Wembley, 25 novembre 1953

Cette date et ce lieu suffisent à faire cauchemarder les Anglais. Les inventeurs du football n’ont encore jamais perdu une rencontre chez eux face aux équipes européennes. Le 25 novembre 1953, devant plus de 110 000 personnes, l’Angleterre va prendre un set de tennis dans les dents : 6-3. Et encore, le score est flatteur pour les hommes de Walter Winterbottom. Le récital de « l’Aranycsapat » – le Onze d’or depuis la médaille d’or des JO – est stupéfiant. Sur le banc hongrois, Gusztáv Sebes a mis sur orbite une machine de guerre. On alterne avec facilité le jeu court et long, les passes sont précises, le collectif est huilé et chaque talent individuel est mis au service de l’équipe. Alors que l’Angleterre évolue encore dans le classique schéma WM basé sur le marquage individuel, Sebes innove et passe en double M, une sorte de 4-2-4 ultra précurseur. « Quand nous attaquions, chacun attaquait, et en défense c’était pareil, dira plus tard la star Ferenc Puskás. Nous étions le prototype du football total. » Face aux Anglais, le match ne dure que trente minutes. Le score est déjà fait : 4-1 pour la Hongrie emmenée par des génies comme Boszik, Puskás, Kocsis et le numéro 9 aussi mobile que robuste, Hidegkuti. Le talent est sur le pré. Mais aussi sur le banc. Sebes n’est pas venu en touriste à Wembley. Trois semaines avant le match, le coach hongrois s’était déplacé à Londres pour observer l’Angleterre buter contre le reste de l’Europe dans un match amical (4-4). Sur place, le vieux renard avait tout noté : dimensions du terrain, qualité des ballons, rebonds, etc. Pendant trois semaines, les Hongrois vont s’entraîner dans des conditions les plus proches de celles de Wembley. Le résultat est probant. L’Europe vient de prendre une claque. Une gifle parfaitement résumée par l’envoyé spécial de France Football de l’époque, Gabriel Hanot, qui écrira le lendemain : « Les Hongrois combattaient avec des armes automatiques, les Anglais avaient des bâtons, des fourches et des faux ! » Vexés, les Anglais veulent une revanche. Ils en auront l’opportunité six mois plus tard en Hongrie. Verdict : 7-1 pour la Hongrie. À quelques mois de la Coupe du monde 1954, rien ne semble pouvoir se mettre sur la route de ce « Onze d’or » .

Le miracle de Berne et les maquisards

Suisse, mi-1954. La guerre est finie depuis bientôt 10 ans et l’Europe veut passer à autre chose. Comment la Hongrie pourrait-elle passer à côté du sacre mondial ? En poule, les scores de baby-foot pleuvent : 9-0 contre la Corée du Sud, 8-3 à la RFA. Le Brésil et l’Uruguay prennent aussi des tartes en quarts et demi-finales. La RFA est de nouveau au menu en finale. Une formalité. A priori. Car ce n’est pas seulement du sport qui se joue à Berne, le 4 juillet 1954. Ce sont deux idéologies bien distinctes. La RFA veut prouver au monde entier que la page du IIIe Reich est tournée et que l’Allemagne n’a plus rien à voir avec le visage des JO de Berlin de 1936. En face, la Hongrie, tombée sous le joug soviétique depuis 1945, émet le profond désir de montrer qu’elle est autre chose qu’un satellite de l’URSS. Comme dans Highlander, il ne peut en rester qu’un. Et ce fut… la RFA (3-2) à la grande surprise générale. Une folie que l’Allemagne continue encore aujourd’hui d’appeler « Le miracle de Berne » . En 2003, un réalisateur allemand y consacra même un film. C’est la première défaite hongroise depuis 1950. La seule de l’ère « dorée » . Elle tombe au plus mauvais moment.

Alors qu’il faut digérer la défaite de 1954, la Hongrie commence à se disloquer. Au pays, la plupart des joueurs du Onze d’or évoluent à Budapest. Soit au Honved (club de l’armée) ou au MTK (club de la police autrefois appelé Vörös Lobogo, « drapeau rouge » ). Le Parti communiste a compris le fonctionnement et se sert de ses footballeurs comme des outils de propagande. À outrance, puisque certains vont même le payer de leur vie, comme Sándor Szűcs, arrière de l’équipe nationale, qui va terminer au bout d’une corde pour avoir tenté d’aller jouer à l’étranger. Il a été repris à la frontière…
 Tout le monde le sait, personne ne parle. Il faudra attendre 1956 pour que tout explose. Alors en tournée en Europe, le Honved Budapest (où jouaient Puskás, Kocsis, Csibor, Bozsik) assiste au mouvement insurrectionnel de Budapest à distance. Défait à Bilbao au match aller de son huitième de finale retour de la Coupe d’Europe des clubs champions, le Honved ne rentre pas au pays et s’arrête à Bruxelles. Au sein de l’équipe, un sentiment de révolte commence à naître par rapport à l’intervention militaire soviétique à Budapest, qui vient de réprimer par les armes le vent de contestation des étudiants hongrois. Le gouvernement national ainsi que la FIFA ordonnent à l’équipe de rentrer au pays. Certains ne reviendront jamais. Dès lors, ils vont devenir des traîtres de la nation, des déserteurs, des maquisards, des apatrides. Les héros d’hier sont les tricards d’aujourd’hui. Certains sont quand même rentrés au pays comme Grosics ou Bozsik. D’autres, les plus talentueux, sont restés à l’Ouest pour poursuivre leur carrière comme Puskás, au Real de Madrid, ou Czibor, à Barcelone, rejoint quelque temps plus tard par Kocsis. Mais rien ne leur fut pardonné, comme Puskás qui hérite d’une suspension de 18 mois par la FIFA (à la demande de la Fédération hongroise) et se retrouve pendant deux ans à vivoter dans un camp de réfugiés en Autriche. Quand il signe au Real Madrid, en 1958, il flirte avec le quintal et s’enfile de l’alcool H24. Pas grave, le Major va vite mettre le Real à ses pieds. Le mouvement de 1956 aura eu raison des étudiants, mais aussi du Onze d’or.

Matchs en différé et remontés

Une équipe incroyable dont les grands matchs n’ont pourtant jamais été télévisés pour des raisons de propagande. À l’époque, le service de propagande de l’État ne voulait pas d’images en direct pour éviter de prendre le risque de montrer une défaite. Le grand public n’avait droit qu’à des images reconstituées. Et différées. Meilleur buteur de l’histoire de son équipe nationale (84 buts en 85 sélections), Puskás ne rentrera au pays qu’au début des années 90. Sa mort, en 2006, va pourtant bouleverser la Hongrie. L’homme n’était pas qu’un simple footballeur, même le plus doué, c’était un idéal dont le stade de Budapest porte aujourd’hui le nom. En Hongrie, le jour de ses obsèques a été déclaré deuil national. Puskás était un mythe. Une folie. L’avatar de cette équipe talentueuse et maudite. À sa disparition, son compagnon madrilène Alfredo Di Stéfano aura les mots justes pour parler du « major galopant » : « Comme joueur ou comme homme, c’était un numéro 10 » . Aujourd’hui, à l’exception d’une stèle, il ne reste plus rien de ce « Onze d’or » . En effet, le 11 janvier dernier disparaissait Jenő Buzánszky, le dernier membre de l’équipe encore en vie. Seuls les souvenirs perdurent dans le temps. Ceux d’une équipe qui n’a rien gagné, ou presque, mais qui a révolutionné son temps et marqué les esprits. Une chose est sûre, les Anglais, eux, n’ont pas oublié cette formidable équipe et ce onze si parfait : Grosics – Buzánszky, Lorant, Lantos, Bozsik – Zakarias, Budai – Kocsis, Hidegkuti, Puskás, Czibor.

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