- Journée mondiale des pêcheurs artisans
Quand la France portait un maillot de pêcheurs
Le 10 juin 1978, l'équipe de France de football s'apprête à disputer son dernier match de poules de la Coupe du monde en Argentine face à la Hongrie. Seulement, à quelques minutes du coup d'envoi, les 22 joueurs portent des maillots blancs. L'une des deux formations doit alors trouver une solution...
Pour parler à la fois de football et de pêche sans évoquer le surnom des joueurs du FC Lorient, les Merlus, il faut remonter loin dans le temps. Si loin qu’à cette époque, Diego Maradona ne joue pas pour l’équipe d’Argentine. Si loin qu’en ces temps, le chef d’une junte militaire au pouvoir remettait la Coupe du monde aux vainqueurs argentins. Si loin qu’alors, l’équipe de France n’était pas capable de passer le premier tour. En 1978, lors de la Coupe du monde de football en Argentine, tout va de travers pour les Bleus de Bathenay, Lacombe, Rocheteau et Platini. Dès les phases qualificatives, et un certain match nul faussé par M. Foote à Sofia (Thierry Roland l’avait bien senti). Quelques mois plus tard, la tentative d’enlèvement du sélectionneur français Michel Hidalgo annonçait elle aussi la couleur d’un Mondial compliqué. Un Mondial qui commence par un imbroglio et qui se termine en queue de poisson. Un Mondial à oublier. Un Mondial où les Bleus ne jouaient même pas avec leur maillot.
Adidas, défaites et Hongrie
Après une campagne de qualification en dents de scie, la France se retrouve donc au Mondial argentin dans un groupe pour le moins compliqué, aux côtés de l’Italie, de l’Argentine et de la Hongrie. Le 2 juin, et ce, malgré l’ouverture du score après seulement 37 secondes face à l’équipe de Bernard Lacombe, les Bleus perdent leur premier match face à l’Italie (2-1). Après la rencontre, le docteur Vrillac, médecin de l’équipe de France, explique aux micros d’Europe 1 que les Bleus étaient plus occupés à résoudre un conflit avec leur équipementier, Adidas, qu’à disputer le match. À trois jours de leur première rencontre, Marius Trésor avait effectivement été chargé de négocier avec François Remetter, qui représentait Adidas, des primes plus élevées. Devant le refus de l’équipementier de répondre par la positive à leur requête, tous les joueurs de l’équipe de France passent un coup de feutre sur leurs chaussures pour masquer les trois bandes d’Adidas. Un signe avant-coureur de la farce des maillots qui allait suivre.
Après une nouvelle défaite, le 6 juin, face aux futurs champions du monde dans un Monumental qui porte très bien son nom, les Bleus sont éliminés du Mondial. Le 10 juin, à Mar de Plata, il s’agit alors de quitter la compétition la tête haute face à une Hongrie elle aussi éliminée. Sur les coups de 13h, heure locale, alors que les 22 acteurs de la rencontre sont à l’échauffement, joueurs et spectateurs se rendent compte d’un problème grave : Français et Hongrois portent tous des maillots blancs. L’arbitre de la rencontre, M. Armando Coelho, décide de tirer cette affaire au clair et indique au camp français qu’il était censé jouer la rencontre avec des maillots bleus. L’intendant de l’équipe de France, Henri Patrelle, est en tort. Il brandit une circulaire du mois de février pour se défendre, mais son homologue hongrois lui rappelle rapidement qu’une nouvelle circulaire du mois de mai était venue mettre à jour la première, comme l’explique Vincent Duluc dans son livre Petites et grandes histoires de la Coupe du monde.
Des motos et des pêcheurs
À première vue, ce problème n’est pourtant pas si grave. Il suffit à l’une des deux équipes de jouer avec son jeu de maillots de rechange et le tour est joué. Seulement voilà, l’équipe de France n’a pas ce deuxième jeu, qui est déjà dans les valises qui doivent retourner au pays. Les Hongrois, quant à eux, proposent aux Français leurs maillots rouges, mais le gardien Gujdar, qui est à ce moment en rouge, refuse de changer de maillots. À quelques minutes du coup d’envoi, ce joyeux bazar n’est toujours pas réglé et les chaînes du monde entier sont priées de bouleverser leurs programmes pour au moins une demi-heure. Dans la plus parfaite des confusions, une escouade de motards est envoyée dans le centre ville avec une mission simple : trouver des maillots colorés. Rapidement, les motards reviennent avec des maillots blancs rayés de vert. Ils ont été gentiment prêtés par un petit club de banlieue, le Club Atlético Kimberley. Club fondé et animé pendant longtemps par des pêcheurs de la région.
La scène est à peine croyable : avec plus d’une demi-heure de retard, les Français entrent sur la pelouse avec des shorts bleus et ces maillots vert et blanc. Le public argentin rigole, forcément, et entonnent des chants à la gloire de Kimberley. Heureusement, les Bleus, qui ne le sont donc pas tant, ne se couvrent pas de ridicule et remportent ce match « pour du beurre » sur le score de 3-1. Le lendemain du match, Henri Patrelle prend la parole. « C’est de ma faute. Entièrement de ma faute. La France devait effectivement jouer en bleu. C’est un regrettable incident, dont je suis l’unique responsable. Au moins, on ne pourra pas me pénaliser en amputant une partie de mon salaire, puisque je suis bénévole… » Une erreur regrettable devenue drôle avec le temps. Surtout, ce maillot vert et blanc porté ce 10 juin 1978 est devenu le Graal pour tous les collectionneurs des maillots de l’équipe de France…
Par Gabriel Cnudde