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- Quand j’étais joueur
Bruno Genesio, les copains d’abord
Devenu au fil des ans un entraîneur reconnu, tant en Ligue 1 que sur la scène européenne, Bruno Genesio a mené une carrière de joueur plus discrète. Ses anciens coéquipiers se souviennent d’un milieu aussi exemplaire sur le terrain que bon vivant en dehors. Ce qui lui a peut-être porté préjudice.

Stade Hüseyin-Avni-Aker, le 6 novembre 1991. Deux semaines après s’être déjà incliné à l’aller contre Trabzonspor (3-4), l’Olympique lyonnais se noie sur les rives de la mer Noire (4-1). Pour le club rhodanien, l’aventure en Coupe de l’UEFA s’arrête donc dès le deuxième tour préliminaire. Bruno Genesio ne le sait pas encore, mais il vient de disputer, ce soir-là, son quatrième et dernier match sur la scène européenne. Le capitaine de l’OL est également à mille lieues de se douter qu’il vivra, une trentaine d’années plus tard, des campagnes continentales autrement plus exaltantes, marquées par des succès de prestige face aux techniciens les plus renommés, de Josep Guardiola à Diego Simeone, en passant par José Mourinho et Carlo Ancelotti. Ce mardi (21h), c’est en tant qu’entraîneur de Lille qu’il s’apprête à défier le Borussia Dortmund en huitièmes de finale de la Ligue des champions. Ses résultats acquis depuis le banc de touche en font désormais l’un des techniciens français les plus reconnus. Son parcours de joueur, lui, a eu moins d’éclat.
Service militaire, « Mobylette » et aversion pour les Verts
Sa carrière n’est d’ailleurs que balbutiante lorsqu’elle subit un coup d’arrêt long de neuf mois. Coupable d’avoir manqué à l’appel au début de son service militaire pour disputer les barrages d’accession à la D1, à la fin de la saison 1986-1987, le jeune Genesio se retrouve enfermé derrière les murs de la caserne de Sathonay, ne pouvant quasiment jamais s’entraîner. Heureusement, le conscrit peut compter sur José Broissart. L’emblématique responsable du centre de formation de l’OL fait le forcing auprès des dirigeants pour qu’en dépit de sa longue période d’inactivité, celui qui arrivait en fin de contrat stagiaire puisse signer un bail professionnel dès sa sortie du régiment. Avec succès. Il faut dire que le joueur couvé dans la pouponnière lyonnaise dispose de qualités évidentes.
Pour moi, Bruno, c’est Lyon. Il a le club dans son ADN. Je l’ai toujours entendu dire qu’il ne jouerait jamais à Saint-Étienne, parce qu’il était lyonnais à fond.
« C’était un milieu de terrain avec pas mal de percussion, un gros volume de jeu et une belle technique », se souvient Laurent Fournier, qui l’a vu débarquer dans l’effectif rhodanien au milieu des années 1980. « Bruno était un 8 qui savait jouer court, jouer long. Un peu box to box, même s’il ne marquait pas souvent », complète Gilles Rousset, arrivé dans la capitale des Gaules en 1990. Frédéric Hantz, qui a côtoyé Genesio à Nice, décrit un « très bon relayeur moderne qui, sans être un grand défenseur ni un grand dernier passeur, savait faire la jonction entre la défense et l’attaque », tandis que David Mazzoncini, croisé à Martigues, évoque « un gars qui n’était pas capable de prendre le ballon et de dribbler 3-4 joueurs, mais qui savait jouer simple. » Quant à Éric Durand, autre ancien coéquipier martégal, il garde en mémoire « sa ténacité et sa faculté à analyser le jeu avant les autres. »

Surnommé « Mobylette » en raison de sa capacité à faire durer les footings sans s’essouffler, au grand dam de la plupart de ses partenaires, Bruno Genesio met son énergie débordante et sa détermination au service du collectif. « Ce n’était pas quelqu’un qui regardait ses chaussures et voulait flamber pour lui. Il était très altruiste », assure Hantz. « Ce n’était pas un méchant, mais quand il fallait mettre la semelle, il la mettait », glisse Rousset. Avec lui, pas question de tricher ou de se cacher sur le pré. Surtout lorsque l’on porte le maillot de Lyon, auquel le natif de la ville située entre Rhône et Saône est viscéralement attaché. « Pour moi, Bruno, c’est Lyon, pose Fournier. Il a le club dans son ADN. Je l’ai toujours entendu dire qu’il ne jouerait jamais à Saint-Étienne, parce qu’il était lyonnais à fond. » Arrivé en provenance de Sochaux, Gilles Rousset se rappelle les mots de bienvenue adressés par le milieu d’1,72 m, qui a « tout de suite fait ressentir l’importance que représentait ce maillot. Et qu’on pouvait perdre contre n’importe qui, mais pas contre les Verts. » Repris en main par un entrepreneur local du nom de Jean-Michel Aulas et entraînés par Raymond Domenech, les Gones remontent enfin en D1 en 1989.
Requinqué à Nice, déprimé à Martigues
À cette époque, le duo Rémi Garde – Bruno Genesio tient un rôle prépondérant dans l’entrejeu lyonnais. Le premier brille par son talent, le second, plus besogneux, ne ménage pas sa peine pour mettre de l’huile dans les rouages de l’équipe. Les deux, qui sont inséparables depuis leur passage commun au sein de la section sport-études du lycée Frédéric Faÿs de Villeurbanne, sont totalement complémentaires. D’une saison à l’autre, l’OL alterne entre le chaud (5e en 1991, ce qui lui permet de renouer avec l’Europe) et le froid (16e en 1992, juste devant la zone rouge). L’infatigable relayeur rhodanien, lui, commence à tirer la langue au début de l’exercice 1992-1993. Étonnant ? Pas vraiment, à en croire Gilles Rousset. « Je pense qu’il y avait une certaine usure vis-à-vis des méthodes de Raymond (Domenech, NDLR), suggère l’ancien gardien de but. Il rinçait les mecs, mentalement et physiquement. Les entraînements étaient très durs, avec beaucoup de physique, beaucoup de courses. À mon avis, Bruno en a fait les frais, comme d’autres. » D’ailleurs, à l’été 1993, le technicien aux épais sourcils et plusieurs cadres plient bagage. Dont Genesio, prêté à Nice.

Sur la Côte d’Azur, à 300 kilomètres au sud de sa ville de toujours, il trouve un environnement idéal pour se relancer. Deux ans plus tôt, le Gym a frôlé la banqueroute. Mais sa situation financière a été assainie et, avec Albert Emon sur son banc, il peut légitimement espérer être promu dans l’élite. « On est arrivés au club dans un contexte favorable, rejoue Frédéric Hantz, recruté au même moment. On avait un coach avec lequel ça se passait bien, un président stable. L’équipe était taillée pour monter. » Genesio retrouve du temps de jeu et aide activement les Aiglons à décrocher le titre de champions de D2. Son année niçoise a beau lui avoir été bénéfique, il ne parvient cependant pas à regagner sa place à l’OL, où Jean Tigana, le nouvel entraîneur, ne compte vraisemblablement pas sur lui. S’ensuit un nouvel exil, cette fois à Martigues. L’autre club des Bouches-du-Rhône reste certes sur une prometteuse onzième place en D1, mais les départs d’Ali Benarbia ou de Patrick Collot n’augurent rien de bon. À raison. « On avait vécu de belles choses avant, mais là, c’était vraiment le pire moment pour venir à Martigues, grimace Éric Durand, le dernier rempart du FCM. On était vraiment en dessous de tout. » Embourbés au fond du classement, les Sang et Or filent inexorablement vers la relégation. Et l’ancien Lyonnais, gêné par des pépins physiques récurrents, n’a pas l’apport escompté. « Il voulait montrer l’exemple, mais comme il était limité physiquement, ça a dû jouer sur son moral », souffle David Mazzoncini.
J’ai vécu plein de bons moments avec Bruno, sur le terrain et en dehors. Surtout en dehors.
La pénible aventure martégale est en tout cas la dernière de Bruno Genesio, qui raccroche les crampons en 1996, avant même de fêter ses 30 ans. « Dans sa tête, il avait probablement fait le tour. Et les blessures ont dû l’aider à prendre sa décision », poursuit Mazzoncini. Comment expliquer qu’un joueur aussi prometteur, que certains voyaient proche de l’équipe de France lorsqu’il avait 22, 23 ans, ait pu perdre à ce point le fil de sa carrière, bouclée dans l’anonymat le plus complet ? La réponse à cette question épineuse se trouve probablement ailleurs que sur les pelouses finement taillées, les séances d’entraînement et les choix tactiques. Car si sa réputation de joueur exemplaire et tourné vers le collectif n’est plus à faire, elle est assortie d’un indéniable sens de la fête. « Les gens ont une fausse image de Bruno. Il est souvent vu comme un gars tranquille, cool, calme. Mais en réalité, c’est un bon vivant, un mec qui rigole, chante, déconne. On n’a pas toujours été très bons, même pas souvent, mais qu’est-ce qu’on a rigolé ! », avoue Gilles Rousset. « On a passé de belles soirées ensemble, et elles se finissaient très tard », sourit Laurent Fournier. « J’ai vécu plein de bons moments avec Bruno, sur le terrain et en dehors. Surtout en dehors. Mais il y a des choses dont je ne peux pas parler », élude pudiquement Hantz, dont Genesio a été le témoin de mariage.
Une petite virée nocturne de temps à autre ne suffit certes pas à anéantir les ambitions d’un joueur de haut niveau. Le Gone de cœur a toutefois peut-être poussé les curseurs un peu trop loin. « Quand il jouait moins, je pense qu’il s’est un peu lâché, confie Gilles Rousset, devenu par la suite son adjoint au Beijing Guoan et à Rennes. Il fait partie de ceux qui sont passés à côté d’une carrière plus glorieuse parce qu’à un moment donné, ils n’ont pas fait les efforts nécessaires. » L’intéressé ne s’en est d’ailleurs pas caché. « Je me suis un peu perdu, pour des raisons qui tiennent à la vie personnelle. Je me suis laissé influencer par les mauvaises personnes », a-t-il confessé à L’Équipe il y a quelques années. Et de reconnaître : « C’est un vrai regret. Je me dis que si j’avais fait les choses autrement, j’aurais eu une autre carrière… » Sa trajectoire d’entraîneur démontre qu’il a trouvé une autre façon d’atteindre les sommets.
Dans la série « Quand j’étais joueur », lire aussi :
Comment jouer contre une équipe traumatisée ?Par Raphaël Brosse
Tous propos recueillis par RB, sauf mention.