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Quand j’étais invincible comme Enyeama…
Héros de la dernière journée avec ses arrêts invraisemblables contre Monaco, Vincent Enyeama est en état de grâce, et ce, depuis 675 minutes. L'occasion de faire parler sept de ses confrères, en activité ou retirés, sur cette toute-puissance devant les attaquants, face à laquelle même Marc Landers et son tir de l'aigle pourraient se rhabiller.
Geoffrey Jourdren, 27 ans, Montpellier HSC
« Plus jeune, ça m’est arrivé de connaître des périodes vraiment bonnes. L’année du titre aussi. Honnêtement, quand on a été champions, je ne voyais personne nous battre. Et il y a des matchs où on se sentait vraiment au-dessus, où personne ne pouvait nous mettre en danger. Si quelqu’un tirait au but, il y avait toujours un défenseur ou moi-même pour se mettre en travers et stopper ou dévier le ballon. Et c’est une solidité qu’on cultivait d’autant plus qu’on savait qu’on pouvait marquer à tout moment avec Younès Belhanda ou Olivier Giroud.
En tout cas, c’est le summum au niveau des sensations. Je n’ai pas de match précis en tête, mais en L2 par exemple, je me souviens n’avoir encaissé que deux buts à domicile sur toute la saison à la Mosson (NDLR : Geoffrey Jourdren était alors la doublure de Johann Carrasso). Et encore à l’heure actuelle, dans ce stade, plus le temps passe, plus j’ai l’impression qu’il ne peut pas m’arriver grand-chose. Pour marquer un but, il faut y aller chez nous, c’est difficile de se créer des occasions (NDLR : Montpellier a encaissé cinq buts en sept rencontres à domicile cette saison, 14 en 19 journées en 2012-2013 et 11 en 19 matchs lors du titre). Le public nous aide vraiment pour ça et ça se ressent aussi dans les commentaires des adversaires. Pour que ça dure ? Je n’ai pas de conseil à donner, mais le mieux reste de ne pas y penser. Tu y songes forcément parce que ça fait la Une. Mais si tu restes concentré et te remets en cause à chaque match, tout ira bien. »
Éric Durand, 48 ans, retraité (Gueugnon, Martigues, Bastia Rennes)
« Personnellement, je me souviens surtout d’une période à Bastia. Je ne prenais alors quasiment pas de buts à la maison. Un jour contre Saint-Étienne, je m’étais d’ailleurs retrouvé un peu dans la même configuration qu’Enyeama, qui dégage une vraie impression d’invincibilité, à Montpellier dernièrement. L’ASSE avait obtenu un penalty que j’avais détourné ou arrêté, avant qu’on ne gagne finalement le match (NDLR : saison 1999-2000). Sinon, lorsque j’étais plus jeune, pour ma première année à Martigues où nous avions terminé champions de D2 (NDLR : saison 1992-1993), tout le groupe avait passé la saison sur un nuage. Tout nous réussissait. Dans ces moments-là, je peux vous dire qu’on ferme les yeux et qu’on fonce. Ce sont des périodes où on est euphoriques, où il peut rien nous arriver, quel que soit le geste qu’on tente. Dans des creux de forme, même si tu offres le meilleur de toi-même, tu ne feras pas les bons choix. Là, tu les fais, tu anticipes. Il faut en profiter le plus longtemps, car on sait jamais quand et comment ça peut tourner.
En tout cas, je m’explique ces moments forts par une certaine entente. Je me sentais bien en phase avec mes défenseurs et mon équipe, donc plus apte à rattraper ce qui pouvait passait. Pour moi, c’est plus une histoire de connections. Quand on sent vraiment le jeu de son équipe, on voit à l’avance ce qui va se passer. Pour moi, c’est n’est pas une histoire de travail, car même lorsqu’il doute ou joue moins bien, un gardien travaille beaucoup. C’est plutôt le fruit d’une dynamique et d’une confiance qui s’installe et fait que tout roule.
Après, lorsque tout ça s’arrête, il faut garder à l’esprit que c’est quelque chose de logique. Faire des trucs impensables à répétition lorsqu’on est invincible, ça l’est beaucoup moins. Et puis, on peut toujours se fixer comme objectif de faire mieux en tentant de recommencer une série, même si c’est plus compliqué, car un gardien ne peut pas se fixer un challenge sur tant de minutes sans buts, comme un buteur pronostiquerait son total de buts sur une saison. »
Simon Pouplin, 28 ans, FC Sochaux-Montbéliard
« J’ai ressenti cette impression de sérénité la saison dernière, surtout lors du match à Saint-Étienne où l’on gagne 1 à 0, et durant le mois qui a suivi. Je me sentais vraiment performant. Ça a d’ailleurs été ma meilleure saison. C’est un phénomène assez particulier. Bon, arriver à se surprendre, c’est un peu fort. Des gardiens d’expérience avec des centaines de matchs au compteur en L1 sont en principe capables de tout réaliser. Mais ce qui est tout de même déroutant, à l’image d’Enyeama dimanche face à Monaco, c’est ce sentiment d’attirer les ballons, sans trop savoir pourquoi. Des fois, tout ça se produit par pur hasard, en faisant par exemple le bon choix dans un face-à-face. Et sur cette période faste, je sais que je faisais tout le temps le bon ou presque. Comme si j’étais un aimant. Ces moments sont d’autant plus spéciaux qu’ils sont très indépendants de la forme, je trouve. Même un peu fatigué, ça m’est arrivé d’être dans un tel état. À l’inverse, dans d’autres où tu es forme, ça ne va pas marcher. C’est très comparable à la situation d’un buteur en fait. Ce n’est pas forcément parce que tu as une grosse débauche d’énergie que tu vas être décisif. Ça aide évidemment. Mais des fois, tu es dans un état de grâce sans trop savoir pourquoi et scores à tout va. Pour nous, c’est un peu similaire.
Quand toute cette phase prend fin ? C’est là que ça se complique. Mais il y a une situation intermédiaire que j’aime beaucoup, à des niveaux de performance somme toute corrects, où tu vas bien faire tout ce que tu peux faire, sans faire l’arrêt impossible. Quand tu es à 100%, c’est aussi quelque chose d’intéressant à vivre. Avec l’expérience, on voit que ça fonctionne beaucoup par cycles. Et alterner des cycles intermédiaires d’un ou un mois et demi, avec des périodes très bonnes, c’est vraiment pas mal. »
Grégory Wimbée, 42 ans, retraité (ex-Nancy, Cannes, Lille, Grenoble, Metz et Valenciennes).
« Tous les gardiens qui ont joué plus d’une quinzaine d’année à haut niveau ont connu de telles périodes. Ce sont des moments où on est bien physiquement, mentalement, dans un groupe qui vit bien. Car au-delà des performances, même si on est seul dans sa bulle à ce poste, on a besoin des autres. Et c’est d’ailleurs la force de Vincent (Enyeama) : c’est quelqu’un qui emporte les autres avec lui. J’ai commenté en direct Lille-Monaco et vu de près la prestation d’Enyeama. Alors de temps en temps, les gardiens sont chauds parce qu’ils doivent gérer dix, quinze ou vingt interventions. Là, il n’en a eu que cinq ou six, dont une seule en première mi-temps. Et en deuxième, il a ces deux gros sauvetages en face à face à gérer, où les attaquants ont pourtant la maîtrise du ballon et le temps de l’ajuster. Mais il est intervenu de façon magistrale à chaque fois. Et sur le corner où ils marquent dans la foulée, il renforce d’autant plus le fait qu’il soit décisif, car le contre part de lui. Enfin, la cerise sur le gâteau, c’est ce double arrêt fabuleux. Le premier n’est pas si bien maîtrisé, mais il reste droit et encore présent sur le second.
Donc pour arriver à un tel état de grâce, je pense que c’est juste la suite logique d’un travail de tous les jours. Après, il a foi en lui et en ses coéquipiers et ça importe aussi dans ses sensations et sa performance. Quand vous enchaînez les bons matchs en plus, les adversaires le savent aussi. Il y a dès lors peut-être un petit doute dans leur esprit. Déjà avant le match, on peut donc marquer des points. Après, c’est bien d’avoir une grande confiance en soi, sans trop en avoir, ni douter. Qu’on soit très bon, bon, moyen, mauvais ou très mauvais, il ne faut pas s’arrêter sur ce qu’on a fait. Car le football avance vite et d’un match à l’autre, vous êtes obligés de passer à autre chose. »
Guy Roland N’Dy Assembé, 27 ans, En Avant Guingamp
« Notre mission, c’est évidemment de tout faire pour ne pas prendre de but, et là, ce qu’a fait Enyeama, c’était grand. Surtout que ce n’est pas le premier pour lui, ce qui montre vraiment que c’est sa semaine, et même un peu plus. Personnellement, j’ai déjà connu une expérience où je ne prenais pas de buts. C’était avec Valenciennes (NDLR : saison 2009-2010), dans des matchs contre Saint-Étienne et Bordeaux. J’avais vraiment eu la baraka. Contre Rennes aussi cette année, où ça ne s’est pas fait sur plusieurs arrêts, mais un seul, à 0-0. Ça pousse en face et je suis décisif. On gagne le match au final et on a vraiment le sentiment d’avoir bien accompli sa mission.
Quant au ressenti, je ne dirais pas que j’ai cette sensation d’aimanter le ballon, mais plutôt de prendre plus de place dans le but que d’habitude. Par exemple, sur une situation où, en temps normal, je vais avoir à faire trois pas pour me lancer et aller jusqu’au ballon, je n’aurai besoin que d’un ou deux pas dans ces moments-là. Ce sont des moments qui arrivent un peu à l’imprévu. Bon, c’est tout de même le travail fourni qui prime, c’est clair. »
Gaëtan Huard, 51 ans, retraité (ex-Lens, Marseille, Bordeaux et Alicante).
« J’ai vu dimanche dernier le jour de grâce d’Enyeama. Je rattache ça, comme pour moi lors du record en 1992-1993, à l’esprit d’équipe, à la cohésion, à l’alchimie. C’est d’ailleurs un juste retour, car on se fait trop souvent taper dessus. Après, faire des séries, je dirais que c’est presque le job d’un gardien, mais ce n’est pas le plus dur. Si on prend l’exemple de Salvatore Sirigu contre Anderlecht, où il n’a qu’un ballon à gérer, et qui est donc allé au fond, c’est le genre de situations beaucoup plus chaudes à gérer pour un gardien de but.
De mon côté, j’ai connu plusieurs séries dans ma carrière, négatives comme positives. Pour ce qui est de cette fameuse série (NDLR : 1176 minutes avec les Girondins de Bordeaux en 1992-1993, la référence), c’est d’abord grâce à un état d’esprit, on faisait vraiment corps tous ensemble. On avait aussi une équipe dure à manipuler, avec le même système que Girard à l’heure actuelle, en 4-4-2. On ne nous prenait pas trop en défaut et d’ailleurs, on a terminé meilleure défense cette année-là. On avait une certaine mise en place que chacun respectait, et à partir de là, la solidité est là.
Mais tout ça devenait pesant à la fin. Au début, c’était une vraie source de motivation. C’était aussi un moyen d’être sûr de prendre un point que de rester invincible. Mais c’est devenu lourd de faire la Une. Dans le tunnel, à l’échauffement, sur les corners, tout le monde chambrait, m’appelait pour en remettre une couche. Je me souviens de Robert Pires, à Metz, qui me sortait : « Maintenant, je vais t’en marquer un. » J’avais l’impression qu’il n’y avait que ça qui comptait. Bon, par contre, c’était bien plus rageant lorsque ça s’est arrêté, car j’avais pris un CSC d’Éric Guérit. On avait gagné 2-1, mais avec ce but… J’étais déçu, puis finalement soulagé que cela s’arrête. J’en avais marre, à force, de parler sans arrêt du même sujet. Le football ne s’attache pas qu’à ça.
Quoi qu’il en soit, les bons gardiens sont ceux qui génèrent une régularité, dans la présence et dans la performance. Sans citer de noms, certains peuvent faire des malheurs pendant un temps avant d’avoir des gros trous. On ne peut pas dire que ce sont de grands gardiens. Le très bon est celui qui te rapporte un capital point important chaque saison et qui est là 38 journées ou presque. »
Nicolas Penneteau, 32 ans, Valenciennes FC.
« Il y en a eu des anecdotes… Je me rappelle un match à Gerland, quand j’ai commencé en tant que titulaire à Bastia (NDLR : saison 2001-2002). Nous sommes en janvier, on sort d’une période difficile. Il y avait du beau monde, notamment Sonny Anderson, donc ça date déjà un peu (sourire). Pendant le match, on souffre un peu. On livre un bon match, mais on est face à plus forts. Et je commence à faire quelques arrêts. Puis je fais faute sur Sonny Anderson dans la surface, penalty. Il le tire sur ma droite et je le sens avant pour partir du bon côté. Et au final, on prend le point du nul (0-0). Sinon, des séries, peut-être quand on a joué la première saison au Hainaut, où on a réussi à tenir un moment.
Dans ce genre de match en fait, on sent qu’on a un truc en plus. Comme si on voyait les actions venir avant, en se mettant à l’endroit et au moment où il faut. Il y a aussi souvent une atmosphère particulière. Ça arrive souvent dans les grands matchs, médiatisés, quand les stades sont pleins. Il y a quelque chose qui en ressort et c’est palpable dès l’échauffement, où on se sent serein. Les premiers ballons mettent en confiance et si tu enchaînes dès le début, alors c’est encore mieux. Il y a des moments où le ballon va arriver au milieu de tes jambes et passer entre, mais dans ce cas précis où on se sent bien, tu anticipes et met le pied ou la main. Ce sont plein de petites choses qui te font dire que tu es dans un bon jour. Après, malgré tout ça, savoir quand tu vas être verni reste difficilement prévisible sur le moment. Avec l’expérience, j’ai quand même l’impression d’être mieux dans mon match si tout le monde se donne et que la mentalité est là, plutôt que lorsqu’on joue à contretemps, en dedans. »
par Arnaud Clement