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« Quand je voyais Cruyff jouer, je voyais un dieu »

Propos recueillis par Aymeric Le Gall
« Quand je voyais Cruyff jouer, je voyais un dieu »

Johan Cruyff était l'idole de Maxime Bossis. Alors que le Hollandais volant n'est plus de ce monde, l'ancien international français a accepté de nous parler du bonheur qu'il a eu, étant gamin, de voir son maître danser entre les défenseurs.

Avec le décès de Johan Cruyff, le monde du football vient de perdre l’un des ses plus beaux esthètes…Cruyff, c’était l’idole de mon adolescence. Mon idole absolue, même. Donc c’est sûr que ça me fait beaucoup de peine. Je me souviens encore, les matchs de l’Ajax étaient télévisés à cette époque-là, j’étais en secondaire avec quatre ou cinq copains et on ne ratait aucune rencontre de Cruyff. C’était pour moi le plus grand joueur au monde et je pense qu’aujourd’hui encore il reste l’un des trois meilleurs joueurs de l’histoire.

C’était un joueur, et une équipe, l’Ajax, qui vous ont fait rêver ?Ah oui, oui, l’Ajax de cette époque nous faisait clairement rêver. C’était le football total et puis Cruyff apportait aussi une note différente avec son génie, ses démarrages énormes, sa faculté à voir le jeu avant les autres. C’était vraiment quelque chose de particulier. Et jamais, à aucun moment, je n’aurais pensé que quelques années plus tard j’allais jouer contre les Pays-Bas, même si Cruyff n’était plus là. J’avais 15, 16 ou 17 ans, c’était un autre monde et quand je voyais évoluer Cruyff je voyais jouer un dieu. Après, j’avais déjà vu Pelé évidemment, en 70 au Mexique, mais c’est Cruyff qui reste pour moi l’idole absolu de mon adolescence.

Les matchs de l’Ajax était retranscrits à la télévision française ?Oui. Je ne me souviens plus s’il n’y avait qu’une, deux ou trois chaînes, mais ils étaient effectivement retranscrits, ce qui était finalement assez étonnant. À cette époque, j’étais interne dans une école privée assez sévère et on avait très peu de loisirs, mais un surveillant, assez terrible pourtant, avait fini par accepter qu’on regarde les matchs de l’Ajax le mardi ou le mercredi soir à la télé.

Je devais participer à un match-jubilé au Cosmos de New-York avec notamment Beckenbauer, Pelé et même Johan Cruyff. Mais le FC Nantes a refusé que j’y aille… Je m’en veux encore aujourd’hui de ne pas avoir eu le cran de dire non à Budzynski. J’aurais enfin pu jouer avec ou contre mon idole, même si ce n’était qu’un match de gala.

Et le surveillant les regardait avec vous ?Non, il passait de temps en temps vérifier si tout se passait bien, mais il n’était pas très foot. C’était un surveillant de l’ancienne époque, c’était quelque chose je vous jure ! Mais on peut tout de même lui être gré d’avoir accepté ça. Et comme on était cinq ou six, c’était devenu assez naturel pour nous de regarder les matchs de Cruyff avec l’Ajax.

Qu’est-ce que vous ressentiez en le voyant jouer ? Y avait-il cette sensation de voir un extraterrestre sur le terrain ?Oui, c’était une sorte d’extraterrestre pour moi. Surtout qu’il était entouré d’autres extraterrestres comme Krol par exemple, mais qui étaient des extraterrestres physiques. Mais lui, il avait quelque chose en plus, comme tous les grands joueurs. D’ailleurs, un de mes plus grands regrets, pour la petite anecdote, c’est qu’un jour il y avait un match au Cosmos de New-York avec notamment Beckenbauer et Pelé et je devais participer à cette rencontre avec les plus grands joueurs au monde mais le FC Nantes a refusé que j’y aille. Et il y avait Johan Cruyff… Je m’en veux encore aujourd’hui de ne pas avoir eu le cran de dire à Budzynski : « Au fait, à Nantes il n’y a pas de match ces jours-ci donc j’y vais. » Ils m’ont dit : « Ouais mais non, tu peux te blesser, c’est embêtant. » Donc voilà, j’aurais pu jouer cet espèce de jubilé au Cosmos avec des joueurs comme Pelé, Beckenbauer, Cruyff ou Zico. Ouais, je m’en veux encore… J’aurais enfin pu jouer avec ou contre mon idole, même si ce n’était qu’un match de gala. C’est un vrai regret parce que c’était vraiment à mes yeux le joueur le plus exceptionnel qui existait. Il était, comment dire… envoûtant.

Quand les dirigeants nantais vous ont dit non, qu’est-ce que vous pensiez au fond de vous ?J’étais déçu. Il y avait un peu de colère en moi, mais surtout beaucoup de déception. Évidemment que j’y serais allé avec plaisir si on m’avait donné l’autorisation. Mais en définitive, je pense que j’ai fait preuve de beaucoup de naïveté. Je devais avoir 25 ans et mes dirigeants ne m’auraient pas empêché de prendre l’avion si je leur avais dit : « Écoutez, je pars. » Si ça s’était produit deux ou trois ans plus tard, je l’aurais fait sans me poser de question. C’est bête de ma part de ne pas avoir osé… C’était l’occasion de croiser la route des meilleurs joueurs du monde. En plus, on était invité pendant 48 heures avec mon épouse, on serait parti tranquillement dans des conditions exceptionnelles pour jouer un match de gala devant 50 000 personnes. Après, je suis retourné au Cosmos New-York pour un match amical avec l’équipe de France contre les États-Unis mais ce n’était pas la même chose.

Quelle image de lui vous a particulièrement marqué ?Il en a tellement marqué et tellement fait marquer que c’est dur de répondre. Ce qui me vient directement à l’esprit, c’est son élégance. Il paraissait voler sur un terrain. Il était relativement mince, voire maigre, mais il allait très vite, ses contrôles de balle étaient majestueux, il pouvait soit accélérer et laisser sur place ses défenseurs soit redonner sans contrôle. Il avait une élégance immense, il semblait véritablement voler sur un terrain. Même si il y a Zidane, Platini et quelques autres, je pense qu’avec Pelé et Maradona, à mon sens, il fait partie des trois plus grands joueurs au monde. Après on verra, Messi pourra peut-être s’intercaler là-dedans. D’ailleurs quand je dis qu’il semblait voler, ça correspond justement à ce qu’on disait de lui : oui, c’était bien le Hollandais Volant. Tout lui paraissait facile en fait. Il ne s’entraînait pas plus que les autres, voire moins même, d’après ce que j’en sais, mais voilà il était hors norme.

Cruyff, je l’ai simplement croisé une fois à Orly. Il devait rentrer en Hollande. Je devais avoir 20 ans et je l’ai regardé comme un extraterrestre ! Cinq ans auparavant, j’étais à la Roche-sur-Yon à le regarder devant ma télé…

C’est d’ailleurs lui qui a dit « Jouer au football est simple mais jouer simplement au football est la chose la plus difficile qui soit » … C’est ça. Le plus dur dans le football, c’est justement de jouer simplement. Et la plupart des grands joueurs savent le faire. Mais sa plus grande réussite finalement, c’est peut-être d’être parvenu à être à la fois un grand joueur et un grand entraîneur. Il y a d’autres grands joueurs qui ont réussi en tant qu’entraîneur, je pense notamment à Beckenbauer qui a été champion du monde, mais dans la patte, dans la touche qu’il a apportée au Barça, je pense que ça a été le plus grand. C’est un joueur de génie qui a su enchaîner en étant un entraîneur de génie.

Vous n’avez jamais eu le plaisir de le rencontrer et d’échanger avec lui ?Non. Je l’ai simplement croisé une fois à Orly. Il devait rentrer en Hollande. Alors, je ne me souviens plus s’il venait de jouer en France avec les Pays-Bas ou avec l’Ajax d’Amsterdam, mais moi, de mon côté, je partais pour un match avec l’équipe de France Espoirs. Je devais avoir 20 ans et je l’ai regardé comme s’il était, encore une fois, un extraterrestre ! C’est la seule fois de ma vie que je l’ai vu. J’avais les yeux écarquillés. Surtout que je me souvenais de cinq ans auparavant quand j’étais à la Roche-sur-Yon à le regarder devant ma télé. C’était vraiment un moment formidable pour moi.

Vous aviez un poster de lui dans votre chambre ?Non, je n’avais pas beaucoup de posters dans ma chambre. Je n’étais pas trop du genre à faire signer des autographes, même à mes idoles. Mais ça ne m’empêchait pas d’acheter tous les magazines de l’époque et de lire tout ce qui pouvait faire référence à Cruyff, à l’Ajax ou aux Pays-Bas. D’ailleurs, je me souviens d’avoir été très triste en 74 quand la Hollande a perdu en finale de Coupe du monde contre l’Allemagne alors qu’ils étaient archi-favoris. Ça a été une grande désillusion pour moi.

Oui, c’est l’un des points noirs de sa carrière…Oui en effet, il n’a jamais gagné une Coupe du monde. Il perd en finale en 74, et en 78, il a refusé d’aller jouer en Argentine pour des raisons qui lui appartiennent. C’est ce qui lui manque… Et encore, à la limite, il a quand même disputé une finale, et puis il était tellement fabuleux que même sans ça, il fait partie des plus grands joueurs de tous les temps.

Qu’est-ce qu’il a apporté selon vous au foot mondial ? Est-ce qu’il y aura un avant et un après Cruyff ?Oui, mais comme il y a pu y avoir un avant et un après Pelé. Je crois qu’il a apporté une note de romantisme dans le football. Il a montré qu’on pouvait allier la beauté du geste, l’efficacité et le génie. Et paradoxalement, dans une équipe qui était romantique dans le look avec les cheveux longs et la moustache pour certains, mais qui était surtout extrêmement forte physiquement, il détonnait totalement. C’était le maître à jouer et un complément idéal de cette sélection. Et puis c’était peu après l’avènement des Beatles. Il y en a eu quelques-uns comme ça, il y a eu George Best qui apportait un peu ça aussi en Angleterre, même s’il n’a pas été à la hauteur de Cruyff. Voilà, il apportait ce jeu technique, cette vision du jeu, et le Barça d’aujourd’hui, c’est un peu l’œuvre de Cruyff.

Cruyff était tellement au-dessus de tout le monde qu’on ne pouvait rien lui dire. C’était le dieu absolu, même vis-à-vis de grands joueurs comme Neeskens. Aujourd’hui, tout le monde est formaté, tout le monde fait attention à tout, bon…

Tout ça en se grillant des clopes à la mi-temps des matchs !Ah oui, il fumait énormément. J’ai appris ça plus tard, mais bon, comme quoi, ça n’a pas eu l’air de le déranger pour courir ! Et puis ce n’est pas le seul à l’avoir fait. Mais on peut dire que ça correspond bien au personnage en définitive. C’était quelqu’un qui allait au-delà des conventions, il faisait ce qu’il avait envie de faire et personne n’osait lui dire quoi que ce soit sur son hygiène de vie. Et puis je pense que, globalement, il était relativement sérieux dans la manière de gérer sa carrière. Mais bon, s’il avait envie de fumer sa clope il la fumait, point.

Est-ce que justement, c’est aussi ce côté « épris de liberté » qui a pu vous séduire dans le personnage ? C’est le sentiment que j’en avais quand il était joueur, oui. Ce sentiment de liberté qui correspondait bien à l’époque, dans les années 70 et début des années 80. Ce sentiment de liberté était présent un peu partout et pas seulement dans le football. On peut même dire qu’à ce niveau-là il était en avance sur son temps. Neeskens, que j’ai rencontré plus tard avec le Variété Club de France, me disait qu’il avait effectivement une liberté totale. Et puis, de toute manière, il était tellement au-dessus de tout le monde qu’on ne pouvait rien lui dire. C’était le dieu absolu, même vis-à-vis de grands joueurs comme Neeskens. Aujourd’hui, tout le monde est formaté, tout le monde fait attention à tout, bon… Lui c’était tout l’inverse, ce qui ne l’empêchait pas d’être sérieux pour autant.

À l’époque, c’est même l’un des tous premiers à oser afficher ouvertement certaines convictions politiques.Oui. Après, par rapport à la Coupe du monde 78, ce n’est peut-être pas forcément la raison de son absence au Mondial en Argentine sous la dictature militaire. Il avait aussi des menaces qui pesaient sur lui, mais c’est sûr qu’il était contre le régime en place à l’époque en Argentine. De manière générale, il n’a jamais eu peur de parler et d’agir comme il l’entendait.

Et il y a Barcelone, avec sa prise de position vis-à-vis du régime franquiste et du Real de l’époque.Oui, tout à fait. Il est certain que les footeux sont habituellement un peu hors du temps et, que ce soit dans les domaines économiques ou politiques, les prises de position sont rares, même si certains ont leurs convictions propres. Après, tout le monde n’est pas Cruyff et ne peut pas se permettre de balancer aux médias ses préférences politiques. Lui le pouvait. Parce que c’était Cruyff !

Dans cet article :
Les Pays-Bas et l’Allemagne se neutralisent
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Propos recueillis par Aymeric Le Gall

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