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« Quand je dis « merci » pour mon café, à la table d’à côté, les gens répondent « de rien » »
De l'UEFA à la CFA 2, Jean-Luc Filser, 52 ans, a vécu la descente aux enfers et la renaissance du Racing Club de Strasbourg. Responsable marketing à la Ligue d'Alsace, c'est sa voix grave qui raisonne après les buts à La Meinau. Entretien avec le plus poli des speakers du championnat de France.
Ce samedi, le Racing accueille le PSG. Il y a vingt ans, c’était lors d’un Racing-PSG que vous preniez le micro à La Meinau pour la première fois…Avant moi, le speaker était aussi directeur commercial. Et quand McCormack a racheté le club, ils ont viré les anciens cadres. Il fallait chercher un nouveau directeur commercial, ce qui était plus facile que de trouver un nouveau speaker, parce que Patrice Harquel était emblématique. La personne en charge du recrutement a contacté la moitié de Strasbourg, et les gens lui disaient : « Appelle Jean-Luc, c’est le seul taré qui pourrait accepter. » Moi, bien évidemment, j’ai dit non parce que je ne voulais pas succéder à ce monsieur. C’était LE speaker emblématique de Strasbourg… J’avais dit à Patrick Proisy, le président à l’époque : « Attendez, moi, je suis juste une dépanneuse. » Le lendemain du match, il vient me voir : « Il reste de l’essence dans la dépanneuse, tu restes. » Je m’en souviens comme si c’était hier.
Et, alors, comment ça s’est passé quand vous avez pris le micro ?Je n’ai pas fait le malin au milieu de la pelouse. Je suis resté dans mon coin, j’ai annoncé les joueurs, les buts, les changements, et puis voilà. Mais comme j’ai un timbre de voix qui ressemble à celui de mon prédécesseur, le public n’a pas scandé son nom toutes les trois minutes. Et petit à petit, ça s’est mis en place. Les hommes passent, et l’institution reste.
Votre premier souvenir de supporter du Racing remonte à quand ?Il n’y a pas de secrets, j’ai 52 ans, je vais à La Meinau depuis 1977. Mon premier vrai grand souvenir, c’est la saison du titre en 1978-1979 : un match contre Metz qu’on gagne assez facilement. À l’époque, je faisais 50 kilomètres aller, 50 kilomètres retour pour aller voir les matchs.
Qu’est-ce qui vous revient en tête de ce titre ?Les joueurs alsaciens. Joël Tanter, Albert Gemmrich, Léonard Specht, Roland Wagner… La moustache de Domenech ! Ce sont des images qui restent, forcément.
D’autant plus que tous ces gens-là, aujourd’hui, je les connais personnellement et on se côtoie pratiquement toutes les semaines. Maintenant, les gamins s’identifient à Neymar, Mbappé ou Lloris. Moi, à quatorze ans, c’était Joël Tanter parce qu’il était ailier gauche.
C’est quoi votre rituel avant les matchs ?C’est toujours le même. À midi, c’est l’apéro avec les copains du foot de l’AS Dingsheim-Griesheim. Qu’est-ce qu’on boit ? Du houblon légèrement fermenté – on est en Alsace, hein ! Après, il y a les courses, la sieste… L’arrivée au stade, deux heures et demie, trois heures avant. Préparer le conducteur du match : quelles sont les animations ? Et puis, aller voir les supporters. Une relation public/speaker, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts. La première fois que j’ai lancé « Lève-toi si t’es strasbourgeois » , je me suis pris un vent. Aujourd’hui, un petit signe avec les deux, trois capos du stade, et c’est parti.
Depuis la remontée du club, le stade est quasiment plein à chaque match…On est à 85% de taux de remplissage. On a déjà plus de 15 000 abonnés sur une capacité de 26 000. Et puis, on vient de tellement bas… De 1997 à 2011, l’année de la liquidation, quand on faisait le yo-yo Ligue 1/Ligue 2, les gens venaient à La Meinau comme s’ils allaient au cinéma. « Ah, tiens, il y a une belle affiche, je vais voir le film. » Notre kop était déjà là, mais ils étaient 3 000, 4 000, 5 000 dans les belles années. Les autres venaient voir Paris, Lyon, Marseille, Monaco, mais pas Steinseltz ou Schiltigheim quand le club s’est cassé la figure en CFA 2. Et là, il y a toute une nouvelle génération qui est venue pour écrire son histoire avec le Racing. Quand on faisait des 15-20 000 en CFA 2, des guichets fermés en National, ça s’est jamais vu nulle part ailleurs. Avant, on avait 20% de supporters et 80% de spectateurs, maintenant, c’est l’inverse, on a 80% de supporters et 20% de spectateurs.
C’est comme si ces années noires avaient cimenté la passion des supporters…Aujourd’hui, le kop lance un chant, il est repris par les autres tribunes. Ce qui était impensable avant le dépôt de bilan.
Vous êtes connu pour cet échange avec le public après chaque match : « Équipe adverse… » « … 0 » « Racing… » « … 1 ! » « Merci ! » « De rien ! » Une idée venue d’Allemagne… Oui, un jour, j’ai vu un match au Bayern. Il se trouve que le président des UB (pour Ultra Boys 90, le groupe ultra qui anime La Meinau, ndlr) y était aussi, on en a parlé tous les deux. J’ai dit : « Écoute, on va le faire. » C’était il y a une dizaine d’années, parce qu’on le faisait déjà quand on a gagné la Coupe de la Ligue en 2005. C’est le seul moment où le public peut communier avec son club pendant le match. Et tout le monde se l’approprie. Quand, la semaine, je vais au bar, je demande un café et je dis « merci » parce que je suis bien élevé, c’est pas rare qu’à la table d’à côté, ils me disent « de rien » .
Et 1-0 pour le @RCSA !!!!! « Merci !!!!! » « De rien !!!!!! » #RCSASCO pic.twitter.com/ECBPm4mhyK
— Yoann Riou (@riouyoann) 28 octobre 2017
Quelles sont les qualités d’un bon speaker ?Je n’en sais rien, je ne sais pas si je suis un bon speaker… Pour moi, il y a deux choses qui sont primordiales : la première, c’est d’être un supporter de son club – si demain, on me demande d’aller faire PSG-Real Madrid en demi-finales de la Ligue des champions, je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver – et la deuxième chose, c’est d’aimer les gens qui sont en tribune – quand on voit comment certains se mettent à poil pour se payer l’abonnement, aller au match, manger leur merguez et attendre des heures et des heures dans le froid, etc. J’ai un immense respect pour ces supporters.
Est-ce qu’il y a des moments compliqués à gérer ?Il n’y a rien de compliqué, on arrive toujours à retomber sur ses pieds. Ce qui peut être compliqué, c’est la gestion de ce qui s’est passé au stade de la Licorne, par exemple. Là, je pense que mon copain d’Amiens, Jérôme, il a peut-être eu du mal. Les explosions au Stade de France, là, c’est compliqué. J’espère qu’on ne le verra plus jamais nulle part.
A contrario, le moment le plus sympathique ? Le match de la saison dernière ?Oui, il y a eu la montée en Ligue 1 la saison dernière, mais aussi celle avec Jean-Pierre Papin, en 2007. On bat Metz (victoire décisive lors de l’avant-dernière journée, ndlr), qui était déjà sûr de monter, mais ils n’ont rien lâché pendant 90 minutes.
Comment avez-vous vécu la descente aux enfers du club jusqu’en CFA 2 depuis le bord du terrain ?C’était terrible.
D’abord, pour le club, l’environnement, les supporters, tout le monde. Mais aussi pour les salariés. Quand on est reparti en CFA 2, il restait une secrétaire et un entraîneur, François Keller. Tout le monde a été licencié. Des mecs qui étaient au club depuis vingt ans ou même plus : Éric, le kiné, Serge, le gars de la compta. Ce sont tous des potes. Voir un pote perdre son boulot…
Vous vous occupiez de quoi quand le club jouait en CFA 2 ?Sur les six derniers mois de la saison, je me suis tapé tous les déplacements avec un représentant de la ville et notre sponsor. On était les seuls représentants du club. Après sont arrivés Marc Keller et son équipe, c’était un gros soulagement. J’ai un souvenir d’un match à Saint-Louis Neuweg. C’est comme s’ils avaient préparé un mariage parce qu’ils recevaient le grand Racing Club de Strasbourg. C’était extraordinaire. Ils avaient libéré une tribune pour faire de la place à nos supporters et installé des buvettes partout. D’une gentillesse incroyable, on leur met 5-0 ce jour-là, et à la fin du match, ils étaient fiers…
Il y a cinq ans, vous annonciez les joueurs de l’AS Illzach Modenheim ou Chaumont FC. Ce samedi, ce sera le PSG. Qu’est-ce que ça change ?Sans excès de melonite aigüe, que j’annonce Neymar ou Müller, je le ferai de la même manière. En revanche, une fois que le coup d’envoi sera donné, je prendrai plus de plaisir à regarder jouer le PSG plutôt qu’une équipe de CFA 2. J’ai envie que le PSG revienne désormais tous les ans à La Meinau pour un match de championnat.
Propos recueillis par Florian Lefèvre