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Quand Hulk et David Luiz n’étaient personne à Bahia
Hulk et David Luiz incarnent les deux visages contraires de la Seleção qui s'attaque au défi de gagner sa Coupe du monde : belle et technique derrière, carrée devant. Aussi différents soient-ils, les deux hommes sont pourtant nés sous le même toit, à Salvador de Bahia. Reportage sur les traces de la belle et la bête.
Salvador de Bahia ne sait plus à quel saint se vouer, ni dans laquelle de ses 365 églises poser un cierge. On est en 2005 et l’EC Vitória, le principal club de la ville, traverse l’une des pires périodes de son histoire. Des caisses à sec et une relégation en Série C en forme de déshonneur pour le club du Nordeste qui compte le plus de saisons en première division brésilienne. Comme presque chaque été, l’EC Vitória racle pourtant les fonds de tiroir pour envoyer ses meilleurs jeunes disputer la Phillips Cup, le tournoi des moins de 19 ans organisé par le PSV Eindhoven. Contre toute attente, les Brésiliens tapent tout le monde, dont les jeunes d’Arsenal et de l’Ajax, avant de s’imposer en finale contre le PSV. Deux joueurs attirent l’attention des recruteurs européens. L’un est grand et maigre, l’autre petit et trapu. Derrière leurs maillots, des noms de cinéma : Hulk et David Luiz.
Premier club du pays fondé par des Brésiliens en 1899, l’EC Vitória aime rappeler son histoire. Coincés au milieu d’une favela de chiens errants, où les hommes marchent sans chaussures, sans dents, sans T-shirts et apparemment sans but, les murs du centre d’entraînement sont recouverts des graffitis représentant les stars passées au club – Vampeta, Dida – tandis que la peinture rouge et noir écaillée du stade témoigne de son grand âge. C’est ici, en « salle de presse » – un mirador recouvert d’un toit de tôle où sont installées quatre chaises et une table – que reçoit João Paulo Sampaio, le coordinateur technique de Vitória. Responsable des jeunes lors des années bahianaises de « David » et « Hulkie » , João Paulo n’a pourtant pas tout à fait connu les mêmes joueurs que ceux qui portent aujourd’hui le maillot de la Seleção : Hulk jouait défenseur, David Luiz était milieu relayeur. Et nul. En cause, une poussée de croissance aussi problématique que la mue d’un jeune chanteur. « La masse musculaire de David n’avait pas suivi son ossature, il était très maigre, s’amuse le coach. Ça avait tendance à le déséquilibrer, à réduire sa mobilité et son rendement. À l’époque, j’entraînais les -18 ans et soit il était sur le banc, soit il jouait avec la réserve. »
Les coupeurs de citrons
Immigré à Salvador après avoir été laissé libre à São Paulo, David Luiz est alors barré par Anderson Martins, actuellement aux Corinthians, et Wallace. Blagueur sur le terrain, le néo-Parisien déprime le soir, quand il rentre à la pension des jeunes du Vitória. « Parfois il disait qu’il voulait rentrer chez lui, que de toute façon il ne savait pas s’il serait footballeur professionnel un jour, reconstitue Neto Coruja, alors compagnon de chambre. À côté de la pension, il y avait un grand arbre. Quand David avait la « saudade », il se mettait dessous et il pleurait pour sa famille, pour sa ville. » Originaire du Nordeste rural, Hulk est, lui, plus réservé, mais traverse les mêmes épreuves de jeunesse. Baladé à tous les postes sur le terrain – « latéral droit, latéral gauche, milieu relayeur, numéro 10 et attaquant » , énumère Sampaio – celui dont la morphologie ressemble déjà à un conteneur peine à s’imposer dans la vie. « Hulk ne parlait pas beaucoup, c’était quelqu’un de discret, se rappelle Neto « la chouette » Coruja. Un jour, il s’est fait agresser par un autre joueur du centre de formation, un étranger tout maigre qui habitait dans la pension du Vitória. Il était armé, donc Hulk a pris peur et s’est enfui. Après ça, on le chambrait, on lui disait : « Bah alors, tu es Hulk ou pas ? Pourquoi tu n’es pas devenu tout vert ? En plus, l’autre est tout petit et maigre. » »
Résultat, Laurel et Hardy sont alors tout près de la porte de sortie. Trop différents, trop difficiles à faire entrer dans les cases du football brésilien. « La force, l’explosivité et la puissance de frappe de Hulk étaient anormalement élevées pour un môme de 17 ans, explique Hélio Dos Anjos, le premier entraîneur à avoir titularisé le phénomène en professionnel. À l’époque, son style de jeu ne plaidait pas trop en sa faveur au Brésil, où l’on préfère les joueurs légers, les dribbleurs. À tel point qu’un des dirigeants de Vitória n’arrêtait pas de venir me voir pour me dire : « Mais qu’est-ce que tu trouves à ce joueur ? Il est mauvais, il ne fait que tirer. » » Pour David Luiz, la case départ est plus proche encore : le club décide de rompre son contrat et de renvoyer le paulista à la maison. João Paulo Sampaio a entre les mains le stylo pour ratifier la fin de contrat, hésite, puis obtient une dernière chance pour le grand maigre. « J’ai dit au coordinateur technique :« Attendez, je vais essayer quelques chose avec David Luiz », relate Sampaio. C’est là que j’ai décidé de le faire reculer d’un cran pour le tester en défense centrale. Mais à une semaine près, il loupait sans doute sa carrière. »
Manger des pâtes, frapper fort
Le tournant est donc d’abord un changement de poste. Club formateur, l’EC Vitória veut inculquer à ses jeunes le plaisir du joga bonito et a pris pour habitude de les former à toutes les positions, afin que les défenseurs acquièrent le bagage technique des milieux offensifs, et que les attaquants comprennent comment déstabiliser une défense. « Pour nous, le football, c’est comme les études, détaille João Paulo Sampaio. Au collège, tu dois travailler toutes les matières et ce n’est qu’à la fac que tu te spécialises. Au football, c’est pareil. Hulk a appris tous les postes avant de devenir ailier et attaquant. Et quand David est passé en défense, ça a tout de suite été un succès, car il avait déjà la technique pour relancer proprement, en plus de son autorité, de son charisme et de sa sérénité. » Pour tenir debout dans les duels et garder ses côtes intactes, David Luiz entame surtout ce qu’on appelle au Vitória le « programme Massa » , dont le contenu se résume à un principe simple : prendre un maximum de poids en bouffant un maximum de pâtes. Très vite, le défenseur engraisse de huit kilos. « Ce programme est presque une tradition au club, reprend Neto Coruja. Tous les ans, le club sélectionne six ou sept joueurs pour leur faire prendre de la masse dans le but de gagner en explosivité et résistance. Souvent, c’est pour des gamins du Nordeste qui n’ont pas été suffisamment alimentés dans leur jeunesse. Pour David, ça consistait juste à bouffer le plus possible. » Est-ce que Hulk avait besoin de manger des pâtes ? João Sampaio se marre. « Tu parles, la génétique l’avait bien gâté, et il avait travaillé en portant des carcasses d’animaux. C’était déjà un monstre de puissance. Surtout, c’est un compétiteur terrible, pour tout, même à l’entraînement. S’il ne gagne pas, il s’énerve et devient tout vert. Du coup, on était obligé de le museler et de lui dire : « Hulk, tu en fais trop, ta réaction est excessive. » Pareil pour la charge d’entraînement qu’il s’infligeait. À la fin de chaque séance, il tirait au but sans s’arrêter pendant 45 minutes – 1 heure. »
En match, Hulk ne change rien et massacre les adolescents qui lui font face comme l’homme qu’il est déjà depuis longtemps. À la mi-temps d’une demi-finale contre Grêmio, réputé pour sa dureté physique, l’attaquant rentre au vestiaire en se frappant la poitrine et en promettant de retourner le score, alors de 1-0. Ce qu’il fait, en inscrivant deux buts et en assommant le gardien adverse d’une frappe en plein front. La gagne, sans partage. « Un jour, je me suis disputé avec Hulk pendant un match en junior, reconstitue João Paulo. Il ne pensait qu’à se mettre sur son gauche et à frapper. Ce jour-là, ses coéquipiers lui reprochaient de ne pas faire de passe et j’ai fini par lui gueuler dessus. Il s’est tourné vers moi en ouvrant les bras et m’a dit : « Laisse-moi jouer putain ! » À la fin du match, il avait la tête baissée dans les vestiaires. J’ai tapé fort sur la porte avant de l’attraper par le maillot et de le soulever en lui disant : « Tu n’ouvres plus jamais les bras devant moi ou n’importe quel entraîneur. Le seul qui ouvre les bras, c’est le Christ du Corcovado. » Là, il s’est mis à pleurer. Je me suis dit : « Merde, s’il s’énerve et qu’il décide de me frapper, je suis mal. » »
Adieu Bahia
La romance bahianaise ne durera pas bien plus qu’un amour de colonie de vacances. Entre 2005 et 2007, David Luiz joue 26 matchs sous le maillot de l’EC Vitória, tandis que Hulk s’enfuit au Japon après deux matchs pro seulement. De ce départ précipité et exotique, il existe plusieurs versions : poing dans la gueule d’un entraîneur, morphotype inadapté au style brésilien. La vérité est plus prosaïque. Il s’agit d’argent. « C’est un coup de son agent, qui fait beaucoup d’affaires là-bas, rétablit João Paulo. C’est lui qui a acheté Hulk au Vitória pour 1 million de dollars et l’a revendu à un club japonais. À l’époque, le club avait besoin d’argent et Hulk aussi, car il voulait subvenir aux besoins de sa famille. » Peu après, c’est le Benfica qui vient débaucher la touffe et la vista de David Luiz. Quasi inconnus avant leur départ du Brésil, Laurel et Hardy explosent de l’autre côté des océans. David Luiz s’impose comme le meilleur défenseur du championnat portugais, tandis que Hulk s’amuse avec les filets japonais. Surprenant ? « Pas vraiment, répond Neto Coruja. Hulk a toujours été quelqu’un de très réservé, timide, et complètement concentré sur sa carrière, sa vie d’athlète. David, c’était le blagueur. Et aussi un vrai « galant ». On allait au shopping ensemble, mais lui ne draguait jamais. Comme il était grand et blond, il était persuadé que les femmes devaient venir à lui, pas l’inverse. » Rien ne change jamais vraiment.
Par Pierre Boisson et William Pereira, à Salvador de Bahia