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Quand Gianfranco Zola chantait le blues à Chelsea
Avant John Terry, Frank Lampard ou Didier Drogba, Chelsea n'avait d'yeux que pour lui. Gianfranco Zola, petit homme à l’immense talent, a conquis Londres et le Royaume au cours de sept années magnifiques (1996-2003). Parce qu’il était un joueur racé, gracieux et au profil encore singulier dans un championnat au jeu alors rudimentaire. Un magicien que ses multiples tours ont rendu différent. Et qui lui ont, aussi, offert une place unique dans le cœur des Blues.
Il fallait le voir pour le croire. Sentir le pouls de Stamford Bridge s’accélérer comme rarement, de la tribune de Matthew Harding à celle de la Shed End. Écouter, rien qu’un instant, ce chant entonné à l’unisson par tout un peuple paré de bleu sur l’air intemporel de Can’t take my eyes off of you du groupe Boys Town Gang : « Gianfranco Zola, la la la la la laaaa… » Aucun morceau n’aurait été aussi approprié pour décrire ce qu’a représenté – et représente aujourd’hui – Gianfranco Zola dans le cœur des supporters de Chelsea. En sept années passées à Londres, tous ont succombé. Personne ne pouvait décemment détacher ces yeux du magicien italien quand il héritait du cuir. Personne. Balle au pied, l’enchantement était instantané, presque irrésistible. « Zola était un superbe joueur, qui jouait toujours d’une formidable manière et affichait toujours un large sourire sur son visage, pose en préambule, la voix encore empreinte d’admiration, Tim Rolls, président de Chelsea Supporters Trust, l’une des associations de fans les plus influentes du club anglais. On se souvient toujours de lui avec une grande affection pour son habilité et tout ce qu’il a accompli ici. Même maintenant, treize ans après avoir quitté Chelsea, son nom est parfois scandé par les supporters. » C’est dire l’empreinte indélébile laissée par Zola lors de son passage. Car si les jeunes générations ont été bercées par les tacles appuyés de John « Dirty » Terry, les frappes limpides de Super Frankie Lampard ou les coups de casque de Didier Drogba, elles connaissent peu les faits d’armes passés de leur ancien attaquant. Pourtant, on parle d’un homme dont le numéro 25 a été retiré à jamais, et qui a été élu joueur du XXe siècle chez les Blues. Autrement dit, une icône historique. A true legend.
Mal exploité à Parme, raillé par les tabloïds
Lorsque Gianfranco Zola s’épanche à propos de sa romance immaculée avec Chelsea, c’est toujours avec pudeur. Et, aussi, une sincérité désarmante : « Ce fut l’amour dès le premier regard. Sept années fantastiques. Je veux vraiment le bien de ce club. » Entre les deux parties, le coup de foudre a été immédiat. Avec l’Angleterre et son nombrilisme déjà légendaire, il a fallu un peu plus de patience. Révélé à Naples, l’enfant d’Oliena est appelé à assurer la succession de Diego Maradona. Une tâche dont il s’acquitte avec brio et qui lui ouvre les portes de Parme. En Émilie-Romagne, le talent saute un peu plus aux yeux de toute l’Italie. Après le Scudetto décroché avec les Partenopei, le palmarès européen s’étoffe également (Supercoupe de l’UEFA en 1993 et la Coupe de l’UEFA en 1995). Intouchable sous Nevio Scala, il voit en revanche son statut vaciller avec l’arrivée de Carlo Ancelotti à l’été 1996 sur le banc parmesan. Un Carletto qui ne le met pas dans les meilleures dispositions, lui qui est alors habitué à évoluer comme meneur de jeu ou en soutien de l’attaquant. « Je jouais à un poste qui n’était pas le mien, ailier droit, et souffrais de certaines critiques, qui me taxaient d’égoïsme. J’ai préféré partir pour Chelsea. » Une décision qui, en plus de donner un nouvel élan à sa carrière, a « changé {sa} vie » selon ses propres dires. En novembre 1996, le Sarde débarque à Londres à la demande de Ruud Gullit contre quarante millions de francs. Une arrivée qui a commencé par intriguer les tabloïds britanniques, surpris de voir débarquer un joueur de petite taille (1m68) et au physique chétif dans leur championnat de Golgoths. Surtout, les médias n’en finissent plus de railler son apparence plutôt atypique. Chevelure imposante, look vestimentaire élémentaire, Zola hérite de surnoms plus ou moins inspirés comme « le paysan de Sardaigne » ou « GorgonZola » , en référence au fromage italien. Ce sera la seule et unique fois que le Royaume se moquera de lui. Dès sa première année sous le maillot des Blues, les quolibets s’évanouissent devant l’évidence. Et, même s’il marque contre les Three Lions avec la Nazionale dans un match important pour les éliminatoires du Mondial 1998 (0-1, février 1997), le pays de Sa Majesté l’adoube à l’unanimité. Gianfranco est élu « Player of the Year » au terme de l’exercice 1997/1998. « Il est arrivé à Chelsea avec toute sa modestie. C’était un joueur phénoménal, s’émeut Frank Lebœuf, son ancien partenaire pendant plus de quatre ans (1996-2001) et qui a assisté à ses premiers émois dans la capitale anglaise. C’était un peu le Messi de l’époque, oui. Un mec qui était capable de tout faire. Et j’étais bien sûr un privilégié, car je pouvais le voir tous les jours. »
La « Magic Box » des Blues
« Honnêtement, je n’ai jamais été aussi bien que depuis mon arrivée en Angleterre. Comment ne pas donner son maximum à quelqu’un qui vous offre tout ? » Le début de la love story est lancé. Les qualités de l’artiste transalpin forcent l’admiration auprès de ses coéquipiers. Même quand il les met au supplice à l’entraînement. « J’en ai chié pendant un petit moment avant de l’attraper à l’entraînement, confie en se marrant l’ancien défenseur Bernard Lambourde, qui l’a vu à l’œuvre plusieurs saisons (1997-2001). Je venais de Bordeaux et j’arrive dans un groupe avec des gars comme Zola, Vialli, Di Matteo, Gullit, etc. Et Zola est celui qui m’a le plus fait mal. Il a fallu que je mette au niveau pendant deux mois… C’était compliqué, très compliqué de lui prendre le ballon. » Même impression d’aisance ressentie par William Gallas, qui a connu l’Italien au cours de ses deux dernières années à Londres (2001-2003) : « Lorsque je suis arrivé, il était un peu en fin de carrière. Il n’avait plus la même ténacité qu’auparavant. Mais il n’avait pas perdu sa qualité de passe, cette faculté de pouvoir voir tout avant tout le monde, cette vision de jeu au-dessus de la moyenne. Ce sont des choses qu’il n’avait pas perdues et qui m’ont marquées. À Chelsea, c’était Dieu. Les fans l’adoraient parce qu’il faisait juste des choses incroyables. » Avec son physique singulier dans une Premier League encore largement portée sur le combat physique et le kick and rush, celui que son peuple appelle « Magic Box » , « Little man » ou encore « Box of Tricks » , détonne. « C’est l’un des premiers joueurs avec ce profil à s’imposer au sein du championnat anglais » , soutient d’ailleurs Gallas. Joueur racé et chef d’orchestre patenté, Zola se présente aussi comme le porte-étendard d’une équipe de Chelsea hétéroclite comptant au total plus de vingt-sept nationalités lors de son passage. « Chelsea essayait d’adopter un jeu plus européen. Avec tous les étrangers dans l’effectif, on avait amené un style de jeu différent, davantage basé sur la possession » , martèle Lambourde. « À l’époque, par rapport à d’autres équipes qui jouaient encore très à l’anglaise, Chelsea dépareillait, appuie pour sa part Lebœuf. On avait un football plutôt latin. On a donc séduit, car on détonnait par rapport aux autres formations. » De cet effectif riche par ses différences, le Sarde en était l’étoile. L’élément le plus scintillant. La garantie de voir un joueur différent qui a marqué son temps au gré de sublimes fulgurances. Il y a cette louche inspirée en guise de passe décisive à Poyet contre Sunderland (4-0, août 1999). Ce coup franc millimétré face aux Spurs (1-1, février 2003). Ce cassage de reins en demi-finales de FA Cup contre les bouchers de Wimbledon (0-3, avril 1997). « J’en ai parlé avec Vinnie Jones qui jouait à l’époque là-bas, se remémore Frank Lebœuf, toujours aussi ébahi en repensant à cet instant. Il m’a dit que ça avait été un calvaire, car il jouait au milieu de terrain et n’a rien compris (rires). Il m’avait également confié que c’était le pire match de sa vie. » Ou encore cette talonnade irréelle logée dans la lucarne du gardien de Norwich (4-0, janvier 2002), qui vaudra à son manager Claudio Ranieri cette sortie teintée d’émerveillement : « Gianfranco tente tout, car c’est un génie. Et un génie se doit de tout le temps essayer. »
Yoga, bonté et officier de l’Empire britannique
Si le talent unique de Zola a porté Chelsea durant plusieurs années, il n’a en revanche pas été suffisant pour contrarier l’hégémonie de Manchester United et Arsenal en championnat (meilleur classement en terminant 3e en 1998-1999). Ce qui n’a pas empêché les Blues de briller sur d’autres tableaux et de soulever la FA Cup (1997), la League Cup (1998), la Supercoupe de l’UEFA (1998) et la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe (1998) qu’il offre en inscrivant le seul but face à Stuttgart. La longévité de la « Magic Box » outre-Manche ne découle pas essentiellement de ses qualités naturelles. L’Italien a duré grâce à son exigence et un professionnalisme méticuleux. « Il arrivait avant tout le monde, il faisait tout ce qu’il fallait faire pour être en forme. J’avais eu l’occasion de discuter avec lui à propos de son mode de vie, raconte en détail Williams Gallas. Je voulais savoir comment il parvenait à être aussi performant, rarement blessé et pourquoi il faisait autant d’étirements, entre vingt et trente minutes, après les entraînements. Il m’expliquait que le matin avant de venir à l’entraînement, il se levait à sept heures du matin et faisait des séances de yoga. Il avait vraiment une vie très saine et était dévoué envers son travail. Pour les jeunes, si on leur parle de Zola, ils ne connaissent pas vraiment. Alors que ça pourrait être un modèle pour eux. » C’est pourquoi, en 2003, à l’annonce du départ pour Cagliari de celui qui totalise 274 matchs et 58 buts avec le club anglais, Roman Abramovitch tente de le faire changer d’avis en lui offrant un pont d’or (quatre millions d’euros par an) et en suggérant de dédommager le club transalpin. La rumeur murmure même que le magnat russe aurait été prêt à racheter Cagliari pour garder son petit lutin près de lui.
« Si Chelsea est revenu parmi les meilleurs clubs anglais, c’est parce que Zola y a énormément contribué. Il y avait une profonde tristesse quand il a quitté le club » , rappelle Tim Rolls. Car malgré le statut top-class player qu’il avait acquis au fil du temps, Zola est resté un homme attaché à la simplicité. « De réelles qualités humaines » et « le partenaire parfait » pour Lebœuf, « un gars extrêmement humble, très gentil et très à l’écoute » d’après Lambourde, ou encore « un monsieur, un très grand monsieur » selon Gallas. Une bonté naturelle, jamais feinte. « Une fois, il m’a prêté sa Jaguar parce que j’avais besoin d’une voiture. Ça m’avait touché venant de sa part, révèle Laurent Charvet, marqué par la personnalité du bonhomme en dépit d’un court passage à Chelsea (janvier – juillet 1998). Il était très gentil, avait un grand cœur. C’est rare, il n’y en a pas beaucoup des joueurs comme ça. Il ne nous faisait pas sentir que c’était une star. Il ne vous jugeait pas. » Conscients de tenir un joueur et un homme exceptionnels, les supporters ne l’ont jamais incommodé en dehors de terrains, contribuant ainsi à son épanouissant en Angleterre. « J’admire leur grand civisme et le respect qu’ils manifestent pour la vie d’autrui. Et puis, la société anglaise est un modèle d’organisation. Ici, les choses sont très fonctionnelles. C’est tout le contraire de l’Italie, s’épanchait-il en 1997. Je peux toujours, par exemple, aller jouer avec mes gamins dans le parc en bas de chez moi. Avoir, en fait, la vie normale de tout Londonien. Ici, l’atmosphère est beaucoup plus détendue. En Angleterre, tu peux rentrer chez toi après l’entraînement et être toi-même. » Pour les nombreux instants de grâce qu’il a offerts, le « Little Man » a été fait officier de l’ordre de l’Empire britannique en 2004, la plus haute distinction pour un étranger. Preuve de son empreinte laissée dans la mémoire collective outre-Manche. Encore aujourd’hui, Gianfranco Zola parle du pays de Sa Majesté comme sa « deuxième maison » . Il est le propriétaire d’un appartement à Londres « parce qu’une partie de {son} cœur est encore là-bas » et a ouvert dans le Sud de la capitale, en novembre dernier, une enseigne de crème glacée comme à Bologne. La simplicité comme leitmotiv, toujours. À nous faire presque oublier la légende vivante qu’il est. Heureusement, Stamford Bridge n’a pas fini de chanter sa gloire.
Par Romain Duchâteau
Propos de Frank Lebœuf, William Gallas, Bernard Lambourde, Laurent Charvet et Tim Rolls recueillis par RD, ceux de Gianfranco Zola extraits de L’Équipe et France Football