- Journée mondiale anti-contrefaçon
Quand de faux éperviers affrontaient de vrais loups rouges
Si les scandales dans le monde corrompu du football africain sont légion, celui-ci avait eu l'effet d'une énième petite bombe sur la Fédération togolaise. Le 7 septembre 2010, le Bahreïn disputait un match amical contre une fausse équipe du Togo, principalement composée de joueurs nigérians.
L’usurpation d’identité est quasiment quotidienne dans les championnats amateurs français. Pour éviter l’annulation d’un match, il n’est pas rare qu’un joueur ou deux convoquent quelques copains pour remplacer les absents. Et si les « bon, ce soir, tu t’appelles Maxime, ok ? » ont de quoi faire sourire, c’est qu’ils ne touchent que le football amateur. Du moins, c’est ce qu’on pourrait logiquement penser. Seulement, en 2010, le football s’était aperçu que même à son plus haut niveau, de telles pratiques existaient. L’usurpation d’identité ne concernait pas un joueur, pas même deux, mais une sélection nationale entière ! Celle du Togo, très précisément, qui était à l’époque plongée dans une série de polémiques entourant la CAN 2010, entre fusillades, complots et corruption. Une affaire drôle, au premier abord, mais qui illustre en réalité parfaitement les maux qui rongent le football togolais. Non, le football n’a pas attendu 2015 pour apprécier la couleur de l’argent.
Une supercherie vite démasquée
Le 7 septembre 2010, les Éperviers du Togo arrivent à Manama pour disputer un match amical officiel contre la sélection du Bahreïn. Supposés bien meilleurs que leurs adversaires, les Togolais s’inclinent finalement trois buts à rien face à des Loups rouges un peu décontenancés. Fort d’une grande expérience, forgée tout au long d’une longue carrière, le sélectionneur du Bahreïn, Josef Hickersberger, comprend vite que quelque chose ne tourne pas rond. « Ils n’avaient pas la condition physique pour disputer une rencontre de 90 minutes » , observe-t-il après la rencontre. Quelques heures plus tard, les autorités togolaises découvrent l’escroquerie. « Les joueurs qui ont disputé le match amical contre l’équipe de Bahreïn étaient des imposteurs. Nous n’avons pas envoyé d’équipe officielle à Bahreïn » , s’énervait le général Seyi Memene, alors président du comité intérimaire de la Fédération togolaise. « Personne n’a jamais été informé d’un tel match. Nous allons mener les enquêtes pour démasquer tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire » , expliquait le ministre des Sports de l’époque, Christophe Tchao.
Mais où était donc la vraie sélection togolaise ? Loin. Très loin. Le 6 septembre, veille du match, Thierry Froger, le sélectionneur français, et ses joueurs, sont en transit à Lomé, au Togo. L’enquête est alors lancée pour trouver un coupable, mais, avant même qu’elle ne puisse toucher à sa fin, un homme se dénonce. Bana Tchanilé, ancien sélectionneur des Éperviers, et membre de la Fédération, reconnaît avoir organisé cette rencontre. Alors qu’il était censé annuler ce match, les 200 000 dollars qui l’accompagnaient ont eu raison de sa bonne volonté. Assumant seul cette faute grave, Bana est alors exclu du monde du football pendant trois ans. « J’endosse la responsabilité de ce qui s’est passé » , déclarait-il. Seulement, personne ne croit qu’il ait pu monter seul une telle arnaque. D’autant plus que quelques mois auparavant, il avait déjà fait concourir une fausse équipe à un tournoi en Égypte… Bref, impossible de croire que les autorités togolaises n’étaient pas au courant que des hommes avaient quitté le pays avec des passeports, pour disputer un match officiel à 5 000 kilomètres de là.
2010, année noire pour le football togolais
Quand, en décembre 2009, la FIFA avait dissout le bureau de la Fédération togolaise de football et destitué son président, beau-frère du président autoritaire du Togo, pour ne pas dire dictateur, Faure Gnassingbé, elle pensait avoir nettoyé le football togolais. Le général Memene avait alors pris la tête d’un comité intérimaire qui devait être remplacé par une nouvelle Fédération en juillet 2010. Mais le 8 janvier 2010, l’équipe du Togo, qui s’apprête à disputer son premier match de la CAN en Angola, est sauvagement attaquée par des séparatistes de la province de Cabinda. Bilan : trois morts et plusieurs blessés. Sans que personne ne puisse parler de préméditation, nombreux sont ceux qui pointent du doigt les fédérations angolaise et togolaise, qui auraient dû savoir que la région de Cabinda était bien trop dangereuse pour accueillir un tel événement. Le chaos créé par cet attentat permet au comité intérimaire de repousser les élections en octobre et de perpétuer ses petites machinations.
Après la sanction infligée à Bana, les enquêteurs sont parvenus à faire tomber de plus en plus de personnes. Le secrétaire de la Fédération, beau-frère du général Memene, était allé faire un tour en prison, tout comme Antoine Folly, un autre membre du comité intérimaire. Depuis, les choses ont évoluées, les élections d’octobre 2010, auxquelles le général Memene, malade, ne s’était pas présenté, ont débouché sur la nomination de Gabriel Komla Kuma Mawulawoe Améyi à la tête de la nouvelle fédération. Impossible en revanche d’affirmer que tout ira mieux désormais pour les Éperviers. De trop nombreux hommes trempés dans de trop nombreuses affaires sont encore en place au sein de la Fédération. C’est par exemple le cas d’Antoine Folly, qui vient d’ailleurs d’être mis à la tête d’une commission gouvernementale qui a pour mission de réfléchir à l’avenir du football togolais…
Par Gabriel Cnudde