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Quand Bordeaux et Lyon s’embrouillent
S'ils partagent quelques points communs, les Girondins de Bordeaux et l’Olympique lyonnais semblent loin de s’accorder. Pire, ils se sont souvent fâchés. Voici cinq exemples qui illustrent ce duel entre bons vivants.
Bruno Derrien, le théoricien de la lutte
Il y a toujours un début à toute embrouille. Ici, la source du conflit vient de l’extérieur, et elle s’appelle Bruno Derrien. L’ancien arbitre a eu la chance d’assister, de participer, voire créer cette rivalité, en officiant un match entre les deux équipes le 25 septembre 2005. L’OL reste sur quatre titres de champion consécutif, et les Girondins sortent d’une saison catastrophique, mais l’arrivée d’un certain Ricardo sur le banc marque un début de renouveau. Et cette rencontre peut être le symbole de cette renaissance. Un stade Chaban-Delmas sous le soleil pour un début de match nuageux. Sur le premier débordement des Marine et Blanc, Jean-Claude Darcheville centre, mais le ballon est dévié du poing par Cris : Monsieur Derrien ne siffle pas. Heureusement, une éclaircie de Vladimir Šmicer vient stabiliser l’atmosphère au Parc Lescure, 1-0 pour les Girondins. Mais les précipitations ne sont pas bien loin. À l’heure de jeu, Wiltord climatise son ancien club en égalisant, alors que sur l’action qui précède ce but, Darcheville tente un grand pont dans la surface, touché de la main par Tiago.
Le choc thermique est proche, il ne manque que le cumulonimbus pour que l’orage s’abatte. L’homme en noir sera ce nuage. Il oublie de siffler une dernière main dans les seize mètres. Cette fois sur un centre de Faubert, c’est à nouveau Tiago qui détourne le cuir de la main. Les deux équipes se quittent sur un score nul, une pelouse foudroyée et des réactions d’après-match électriques : « Seulement trois personnes dans le stade qui n’ont pas vu la main de Cris, ce sont les trois types en jaune » , avait estimé David Jemmali. Jean-Claude Darcheville s’est lui senti « volé » . Et pour couronner le tout, l’intervention de Jean-Michel Aulas, qui maîtrisait, déjà à l’époque, l’art de la rhétorique : « On ne s’attendait pas à ce genre de match à Bordeaux qui a une image de gentleman, mais l’attitude de ses joueurs n’a pas été à la hauteur » , avant de carrément lâcher que l’arbitrage a été « à sens unique » en faveur des locaux. Quant à Bruno Derrien, il clame encore aujourd’hui que ce match a sonné la fin de sa carrière. Mais il peut au moins se targuer d’être le fondateur d’une nouvelle rivalité dans le football français. Derrien.
2010, le quart de la discorde
Cinq années plus tard, c’est à l’international que les villes de bourgeoisie se retrouvent. Entre-temps, les Bordelais ont mis fin à l’hégémonie lyonnaise en France, en remportant le championnat en 2009. Et comme par hasard, les deux équipes se disputent une place en demi-finale de la prestigieuse Ligue des champions, pour l’honneur du football français. Une belle opposition entre un Bordeaux très joueur sous la direction de Laurent Blanc, et un Olympique lyonnais moins dominateur, mais qui vient de sortir le Real Madrid de Cristiano Ronaldo. Une très belle double confrontation, avec deux maestro de chaque côté en la personne de Gourcuff et Pjanić. À l’aller, les Lyonnais s’imposent 3-1 avec, là encore, une histoire de penalty, ce coup-ci accordé à l’OL pour le 3-1. Et au retour, Bordeaux ne réussit pas à faire mieux que 1-0, en étant stoppé par la barre et par un certain Hugo Lloris. Plus qu’une simple élimination, cette confrontation est le point de départ des années sombres qui vont suivre sur les bords de la Garonne. Lyon renvoie la Belle Endormie dans un sommeil qui dure encore aujourd’hui.
Triaud vs Aulas
Ce n’est pas une guerre frontale comme on a pu le voir entre Claude Bez et Bernard Tapie. Disons que c’est une petite guéguerre. Jean-Louis Triaud et Jean-Michel Aulas sont l’incarnation même de cette vie de classe dominante. En bon bourgeois, l’homme au cigare et l’entrepreneur se font de la concurrence au sein de la même classe. Et même si la longévité aurait pu les rassembler, leur manière de diriger est assez différente. C’est d’ailleurs une des sources d’embrouille entre les deux : la communication. « Je respecte mes collègues présidents qui communiquent via Twitter et c’est peut-être moi qui suis trop ancien ou trop largué, assurait Triaud. Mais je ne vois pas où est la communication directe avec les supporters là-dedans. Très vite, on se retrouve à répondre à des attaques pas forcément intelligentes et polies. Et le dialogue tourne à la conversation de bar du commerce[…]. Sauf que tout le monde profite de vos commentaires… En football, comme dans la vie, il y a des choses qui doivent rester en interne. Avec Twitter, il n’y a, selon moi, plus la place pour la réflexion. » Autres sources d’embrouilles : les transferts. Lorsque JMA veut un joueur, il le fait savoir à tout le monde, comme cela a souvent été le cas avec Marouane Chamakh. Et en bon dirigeant, Triaud défend les intérêts de son club et répond à Aulas le pêcheur. Mais le poisson Yoann Gourcuff s’est échappé et s’en est allé vers les eaux du Rhône.
Le cas Gourcuff
Yoann Gourcuff avait tout de l’élu. Celui qui pouvait ramener un peu de calme dans cette relation tendue entre les deux clubs. Mais son départ pour l’OL a sonné comme une trahison en Gironde. Arrivé d’abord en prêt de l’AC Milan en 2008, puis acheté l’année suivante par le club au scapulaire, Yoann Gourcuff était LA relève du football français. L’héritier même d’un certain Zinédine Zidane, d’autant que l’actuel entraîneur du Real Madrid s’est révélé au monde en Aquitaine. Puis à Bordeaux, Yoyo était dans un petit cocon. Lolo White a tout misé sur le fils de son homologue Christian, faisant de lui un taulier de l’équipe. Et le joueur formé au Stade rennais lui rendait bien, à l’image de ce but contre le Paris Saint-Germain lors de la saison du titre.
Un titre de champion de France, ses premières sélections en Bleu. Jamais un club n’avait autant donné à Yoann Gourcuff. Jamais. C’est pourquoi le départ chez l’ennemi du moment a été vécu par certains supporters bordelais comme une désertion : « Il est anormal que son départ s’effectue dans ces conditions. Nous espérons qu’il aura la décence de ne pas jouer dimanche a Bordeaux. Cela serait trahir son public et tous ceux qui ont cru en lui dès son arrivée. Si tel était le cas, cela nous montrerait à quel point Bordeaux n’était qu’un tremplin pour lui. S’il venait à jouer, il ne devra pas s’étonner que le stade soit littéralement furieux contre lui » , avait déclaré Laurent Perpigna, membre important des UB87. Malheureusement, ses blessures à répétition ne lui ont jamais permis d’exprimer tout son potentiel dans la capitale des Gaules.
UB87 et Bad Gones : l’ennemi de mon ennemi est mon ennemi
Les UB87 bordelais se sont liés d’amitié avec les Magic Fans, groupe ultra de Saint-Étienne, terre de prolétaires. Une aberration ! Du coup, les insultes fusent entre UB87 et différents groupes ultras lyonnais. Outre cela, les deux groupes se différencient également dans les idées qu’ils véhiculent. Les Ultras Marines sont connus pour leur engagement, notamment face aux décisions de la Ligue sur les interdictions de stade et les déplacements de supporters. Drapeau vert, jaune et rouge du mouvement rasta, chants aux airs de Bob Marley, les ultras girondins se réclament antifascistes. De l’autre côté, comme la tendance le veut en France, le groupe ultra Bad Gones est apolitique. C’est donc ça, la lutte des classes des temps modernes ?
Par Claude-Alain Renaud