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Quand Bianchi a conquis l’Amérique du Sud

Par Thomas Goubin, avec Marcelo Assaf
Quand Bianchi a conquis l’Amérique du Sud

Le 31 août 1994, l'ex-goleador Carlos Bianchi remporte son premier titre international, comme entraîneur de Vélez Sársfield. Une Copa Libertadores en guise d'amuse-gueule, pour l'un des coachs les plus titrés d'Amérique du Sud, mais qui n'a pas connu la même réussite en Europe.

« Laissez-le, il est bourré. » Ce 31 août 1994, au cœur d’un stade Morumbi volcanique, Carlos Bianchi pourrait n’être que tout à sa joie. Car, son club formateur, le club qu’il entraîne depuis 18 mois, vient de réaliser un immense exploit, et par là même, vient de prendre une inattendue stature internationale. Sur le terrain du São Paulo FC, double tenant du titre de la compétition, Vélez Sársfield vient d’arracher la première Copa Libertadores de son histoire. Dans les rangs du Tricolor, Rai n’est plus là, parti à Paris, mais il y a encore Cafú, Müller ou Júnior Baiano. Sur le banc, le mythique Telê Santana est aux manettes. Le match est tendu, Vélez se voit réduit à dix dès la 64e minute, Bianchi aussi se fait expulser, mais José Luis Chilavert tient la baraque jusqu’à la séance de tirs au but dont il sera le héros. Dans les minutes qui suivent le coup de sifflet final, on aperçoit à nouveau la tonsure marquée de l’entraîneur argentin sur le bord du terrain. Bianchi, plutôt que de courir embrasser ses joueurs, se démène pour arracher des bras des policiers brésiliens un supporter de Vélez éméché qui vient de pénétrer sur la pelouse. Devant le zèle des forces de l’ordre local, l’entraîneur ne parviendra pas à ses fins, mais apparaît alors son essence, celle d’une figure paternelle d’un club à dimension familiale. Un club qui se transformera en puissance continentale sous ses ordres.

Quand Bianchi revient à Vélez, début 1993, le club s’use depuis vingt-cinq ans à essayer de trouver un successeur au seul titre de poids de son histoire : le Nacional 1968. Les déceptions à répétition ont même fait entrer l’institution dans un certain fatalisme. Le retour du prodige de la maison n’émoustille d’ailleurs pas plus que ça les hinchas. Bianchi est, certes, l’historique goleador du Fortín (324 matchs, 206 buts), il a bien été trois fois meilleur buteur du championnat d’Argentine – et cinq du championnat de France –, mais cela fait bientôt dix ans qu’il a quitté son pays de naissance. Pour ses joueurs, il est même « un inconnu » comme le confiera Omar Asad, à El Grafico. « Il parlait même en français au début, il avait un accent » , ironisait aussi l’ex-corpulent attaquant. Six mois suffiront pourtant à Bianchi pour convaincre tout un effectif, mais aussi tout un pays. Au mois de juin, Vélez remporte le Clausura 1993, le deuxième titre tant désiré de son histoire.

« Écoutez, ça va pas être long, ce soir je suis à l’ANPE… »

Si Bianchi n’a pas été accueilli comme le Messie au sein du Fortín, c’est aussi que ses états de service en France, où il avait débuté sa carrière sur les bancs, n’avaient rien d’affolant. Pendant quatre ans (1984-1988), l’Argentin entraîne Reims, un club pour lequel il avait multiplié les buts : 115 en 144 matchs. Un club qui végète alors en D2 et que Bianchi échouera à ramener dans l’élite. Le jeune entraîneur fait toutefois vivre deux belles épopées au club où il a terminé sa carrière, à trente-cinq ans, en hissant Reims dans le dernier carré de la Coupe de France (1987 et 1988). Bianchi serait-il « copero » , ce mot sud-américain qui désigne un savoir-faire certain d’équipes, joueurs ou entraîneurs, au moment de disputer un match de coupe ? L’homme sait, en tout cas, choisir ses mots. Ex-défenseur de l’OGC Nice, Jean-Philippe Mattio se souvient de la dernière causerie en français de Carlos Bianchi. C’était un jour de barrage retour entre Strasbourg et les Aiglons, en mai 1990. Une sorte de match de coupe… « Tous les joueurs qui étaient là s’en souviennent encore, introduit Mattio, on est arrivés dans la salle de conférence et le tableau était blanc, vierge d’indications. Carlos nous a dit : « Écoutez, ça va pas être long, ce soir je suis à l’ANPE, mais la question est de savoir ce que vous voulez pour votre futur. C’est entre vos mains. Bon match. » » La courte causerie fera visiblement son effet. Battu à l’aller (3-1), Nice mène 4-0 après 35 minutes, et mettra finalement un set vierge aux Alsaciens. « Bianchi était un type simple, qui parle peu, mais toujours avec clarté » , selon les mots d’Hector Almandoz, défenseur de Vélez de 1990 à 1995.

En Argentine, Bianchi débarque après avoir occupé brièvement la direction sportive du Paris FC. Il a quarante-trois ans, et encore tout à prouver. Avec Vélez, l’alliance va s’avérer fructueuse : son palmarès va décoller en même temps que celui de son club formateur. Après le premier titre de champion d’Argentine vient donc la Copa Libertadores. El Fortín tombe pourtant dans un groupe aussi relevé qu’une sauce mexicaine : Cruzeiro, Palmeiras et Boca Juniors. Injouable ? Vélez en sort en tête, ne perd qu’un seul match. Quand la pression devient étouffante, Bianchi a les mots pour rassurer et sait faire des choix forts. Lors du match décisif du Clausura 1993, il avait ainsi ordonné à son gardien, José Luis Chilavert, d’aller tirer un penalty qui pouvait être synonyme de titre. Jamais le portier guarani ne s’était pourtant encore présenté aux onze mètres en cours de match. Ce sera le premier coup de pied arrêté primé d’une longue série pour Chilavert. Bianchi l’avait vu travailler l’exercice à l’entraînement, et avait choisi ce moment ô combien crucial pour un club privé de titre depuis vingt-cinq ans, pour l’investir d’une nouvelle responsabilité.

Vidéo

Après sa remarquable phase de groupes, le club du quartier Liniers va toutefois souffrir pour se hisser en finale de la Libertadores. Deux fois, José Luis Chilavert et consorts arrachent leur qualification aux tirs au but : en huitièmes, face au Defensor, en demi-finales, face au Junior Barranquilla de Carlos Valderrama. Lors de la finale aller, Vélez l’emporte 1-0. Pour Bianchi, cela suffit. C’est serein qu’il se rend à São Paulo, bien décidé à défendre son bien en misant sur une défense à cinq. Les hommes de Telê Santana vont toutefois trouver l’ouverture (penalty de Müller, 33e), mais Vélez saura résister jusqu’à la séance de tirs au but. Bianchi est-il un entraîneur conservateur ? « Avec nous, il fallait surtout qu’on s’applique à ne pas prendre de but, se rappelle Mattio, aujourd’hui recruteur pour l’OGC Nice, mais c’est la situation qui l’exigeait, car on se battait pour le maintien, je ne crois pas que ce soit un entraîneur défensif. » Plus sûrement, un pragmatique. À Vélez, Bianchi interdisait ainsi les sodas, tandis qu’à Nice, il autorisait les frites les veilles de match. « Il voulait qu’on se sente bien » , nous confie Mattio. Qu’en pense l’intéressé ? « Moi, cela me rend fier quand Menotti dit que je suis un entraîneur ordonné, quand il dit que je suis un entraîneur qui mettait le lit dans la chambre, la glacière dans la cuisine, et la cuvette des WC dans la salle de bain, avait-il modestement assuré en 1998, ce fut mon plus bel éloge, car, en réalité, je suis ainsi. »

Le téléphone de Dieu

Le Vélez de Bianchi ne faisait donc pas dans le baroque, mais formait un ensemble équilibré, compact, uni. Chilavert : « Avec Vélez, on aurait pu jouer au Vietnam et on s’en serait sorti. » C’est, en tout cas, au Japon, que les Argentins s’offriront l’AC Milan de Fabio Capello, en Coupe intercontinentale (0-2). L’apothéose d’une année définitivement faste pour ce groupe au sein duquel commençait à s’épanouir le jeune défenseur Mauricio Pellegrino, futur pilier du grand Valence du tournant du siècle. Le Vélez de Bianchi ne s’arrêtera pas là : deux nouveaux titres de champion (Apertura 1995 et Clausura 1996), avant de passer le flambeau à un coach d’une tout autre école : Marcelo Bielsa. Avec l’ex-grand goleador à sa tête, Vélez a appris à gagner : depuis 1993, le club bleu et blanc a ainsi remporté neuf titres de champion d’Argentine. Seul River Plate dit mieux. Bianchi, lui, exportera ensuite sa solide recette à Boca Juniors : quatre titres de champion entre 1998 et 2003, trois nouvelles Libertadores (2000, 2001, 2003) et deux Intercontinentales face au Real Madrid, et au Milan, encore une fois (2000 et 2003). « Ne pas s’embourgeoiser » était l’un des leitmotiv de ce grand travailleur, fils d’un vendeur de journaux, mais dont le profil aristocratique lui a valu d’hériter du surnom de Virrey, clin d’œil historique au vice-roi du Rio de la Plata, Jacques de Liniers (1753-1810), qui a donné son nom au quartier que représente Vélez Sársfield.

En Argentine, on prête à Bianchi d’avoir « le téléphone de Dieu » . Trop de succès avec une certaine baraka pour que cela ne relève que de ce monde. Mais en Europe, son aura reste avant tout confinée à son glorieux passé de buteur, la faute à de nouvelles expériences malheureuses. Appelé au chevet de la Roma (1996-1997), puis de l’Atlético de Madrid (2005-2006), celui qui a été élu cinq fois meilleur entraîneur d’Amérique du Sud – personne ne dit mieux – échoue à chaque fois. « C’est difficile à expliquer, estime Mattio, peut-être que son côté affectif a eu davantage de prise sur ses joueurs dans son pays qu’en Europe… » Idole suprême à Vélez Sársfield, Dieu à Boca, Carlos Bianchi, soixante-sept ans, dont le nom est souvent revenu pour prendre en main l’Albiceleste, mais aussi le PSG d’avant Nasser El-Khelaifi, en a fini avec sa carrière d’entraîneur depuis l’été 2014, le terme d’un énième mandat chez les Xeneizes. Aujourd’hui, El Virrey assure ne vouloir s’occuper que de sa famille. Et plus de supporters bourrés un soir de victoire en Copa Libertadores.

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