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- 10 ans de Balotelli
Quand Balotelli faisait ses débuts pros
C’était en 2006, un attaquant de 15 ans de la petite équipe de Lumezzane foulait les pelouses de la troisième division italienne. Deux entrées en jeu et trois mois dans le groupe suffisent pour faire étalage de son talent et de sa personnalité.
On l’appelle la Val Gobbia, elle relie les plus connues Valtrompia et Valsabbia et accueille cette ville de 23 000 habitants à 500 mètres d’altitude. Brescia n’est qu’à 30 km plus bas, mais l’AC Lumezzane a décidé de mener son chemin avec une présence ininterrompue chez les pros depuis la première obtention de ce statut en 1993. Les play-offs pour accéder à la Serie B ont même été atteints à plusieurs occasions, mais au printemps 2006, les rossoblù jouent leur place en Serie C1. Marco Rossi a été remercié pour laisser place à Sandro Salvioni, un gars qui a ramené l’OGC Nice parmi l’élite en 2002 et qui a eu l’intuition de reconvertir Patrice Évra au poste d’arrière gauche. Son aventure débute par un revers 3-0 à Pizzighettone et une victoire 1-0 contre la Pro Patria. Il reste cinq journées pour se sortir des play-out, le « Mister » cherche activement un petit club local pour le traditionnel amical du jeudi, afin de bien faire intégrer ses instructions tactiques. Personne n’est dispo, ce sera donc une opposition face aux équipes de jeunes.
Sombrero au 1er entraînement, virgule au 1er ballon touché
« J’étais arrivé depuis peu, donc je n’étais pas au courant de ce qui se passait dans le centre de formation. Il y a cet amical en interne, d’abord une mi-temps face à la Beretti qui sont les U19, puis la seconde face aux Allievi, c’est-à-dire les U16 » , retrace Salvioni. Précision importante, son secteur offensif est décimé, Carlo Taldo et un certain Alessandro Matri pointant à l’infirmerie. « La seconde période débute et je stoppe le jeu après à peine trois minutes. Il y avait ce petit black qui avait fait passer le ballon au-dessus de mon défenseur avant de partir en vitesse. Il n’avait pas peur et cherchait le un-contre-un, il jouait comme un trentenaire. C’est son coach qui faisait l’arbitre, je lui ai dit de suite : « Celui-là, il monte avec nous et je veux qu’il joue dimanche. » » C’est ce qu’on appelle une fulgurance. Seul problème, Balotelli n’a pas 16 ans et il faut une dérogation pour le faire évoluer chez les pros : « J’ai insisté auprès du directeur sportif, le médecin a rédigé une attestation et le tour était joué. » Dans les cages, Luca Brignoli découvre aussi le phénomène au même moment : « Il avait le sens du but, la malice des attaquants et un physique au-dessus de la moyenne. »
C’est le samedi que la Fédération donne son aval, soit la veille d’un délicat déplacement à Padoue, l’un des gros morceaux de la poule A : « Le score était de 0-0 à la mi-temps, je lui ai demandé de s’échauffer avec deux, trois autres gars. Puis, vu que la rencontre ne se débloquait pas, je l’ai fait entrer en jeu, j’ai même dû m’excuser auprès d’un U19 qui aurait dû avoir la priorité dans la hiérarchie » , continue Salvioni. 63e minute, Paghera sort, Barwuah Balotelli entre et devient le plus jeune débutant de l’histoire de la Serie C1 à 15 ans, 7 mois et 10 jours : « Et vous savez quoi ? Son premier ballon touché, il fait une virgule à la Ronaldinho ! » , révèle son coéquipier gardien de but. Un excès de zèle qui n’échappe à pas quelques mous du bulbe présents dans les travées de l’Euganeo, puisque le juge sportif relèvera des cris racistes et Padova passera tout près d’une amende. Cinq minutes se sont écoulées, Mario hérite d’un ballon côté droit, cherche à passer son vis-à-vis et obtient un corner sur lequel Morini inscrit le seul but de la rencontre.
Foots risqués entre potes et séjour à la Cantera
Ceux qui avaient encore des doutes sur l’intérêt de faire débuter un joueur aussi jeune sont servis : « Mais pas le groupe, on soutenait le choix du coach, quand il y a un talent de ce genre, il n’y a rien à redire, d’ailleurs, il a été très bien géré et préservé, ils l’ont économisé et ne l’ont pas chargé de responsabilités » , relate Brignoli. Balotelli fait donc partie intégrante de l’effectif pro pour les deux derniers mois de la saison : « À l’entraînement, il était au-dessus et essayait de marquer de toutes les façons, il ne se gênait pas de ridiculiser les plus anciens en leur passant des petits ponts et ces derniers lui faisaient payer, j’étais obligé de leur dire d’y aller mollo » , poursuit-il. Le staff suit attentivement la progression et remarque cependant que Mario est le premier à sortir du vestiaire à la fin de chaque : « Je lui ai demandé la raison, il me répondait que c’était pour aller faire ses devoirs, mais j’avais de gros doutes. J’insiste et là il avoue qu’il va faire des foots avec ses potes sur le petit terrain à côté de l’église ! Je lui ai dit : « Mais si tu prends un coup de latte, ça peut ruiner ton éventuelle carrière pro ! » Il me répond : « Ne vous inquiétez pas, ils le savent et font attention. » »
Une naïveté qui le distingue encore aujourd’hui, Brignoli complète le portrait : « C’était un garçon jovial qui blaguait sans problèmes avec les plus vieux. Oui, il faisait un peu de conneries, mais comme tous les gamins de 15 ans » , et d’ajouter amusé, « il portait des chaussettes de tennis avec ses pompes Gucci comme quoi il était loin de piger les codes de la mode ! » Après un petit quart d’heure face au Genoa le match suivant, Mario ne revoit plus les terrains suite au retour des blessés, mais reste avec l’équipe une jusqu’aux play-out perdus face à la Sambenedettese. « Lors du goûter de la mise au vert, il avait mangé genre 20-30 biscuits, on lui disait que ce n’était pas une façon de s’alimenter pour un athlète, mais lui s’en foutait et d’ailleurs ça n’influait pas sur son rendement sur le terrain » , enchaîne l’ancien portier. On reconnaît bien le Balo qui s’absente juste une semaine, le temps de faire un essai à Barcelone : « Il m’avait envoyé une carte postale avec les terrains de la cantera et avait écrit « Coach, ça me plaît ici, j’aimerais bien rester » » , se remémore Salvioni. Ce sera finalement l’Inter qui remportera la mise quelques semaines plus tard. « Récemment il m’a raconté que sa mère lui a dit que j’étais le seul coach à avoir pris soin de lui expliquer les choses de la vie. Les autres se contentaient de ses buts. Je ne l’ai eu que deux mois et demi, mais si j’avais pu l’entraîner un an, je l’aurais mis dans le droit chemin. » Dixit un coach qui a transformé la carrière d’Évra, on peut donc lui faire confiance.
Par Valentin Pauluzzi