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Quand Arsenal venait enseigner le foot à Paris…
Pour la première fois, le PSG va croiser le fer avec Arsenal en Ligue des champions. Nos amis londoniens ont pourtant déjà posé les pieds et foulé les pelouses françaises en de nombreuses occasions. Et au cours des années trente, ils vinrent même tous les ans, en novembre, affronter le Racing Club de Paris, juste histoire de dispenser une petite leçon de football et d'humilité aux Froogies qui s'essayaient à « leur sport ». Une tradition qui a laissé quelques traces dans les mémoires...
Le contexte a son importance. Nous sommes dix ans après la Première Guerre mondiale qui a saigné à blanc l’Hexagone. Les anciens combattants représentent une force importante, y compris politique, mais aussi un souci de santé qui pèse gravement sur la (mauvaise) conscience nationale, avec près de trois millions de « blessés » qui ont survécu aux tranchées. Le football tricolore, alors très modeste, se devait de participer à la solidarité envers ceux qui avaient tant sacrifié à Verdun ou dans la Somme. Le Racing Club de Paris, une des institutions du championnat, alors sur le point de basculer enfin dans le professionnalisme, décide de proposer dans ce but, tous les ans, sous le parrainage du « Journal » (l’imagination n’était pas au pouvoir dans la presse), une rencontre début novembre contre Arsenal, la mythique formation anglaise. L’idée de se mesurer à nos précieux alliés est évidemment alléchante. L’Angleterre reste encore perçue chez nous comme une sorte de Mecque du ballon rond où l’on va recruter des maîtres en la matière, même s’il ne s’agit alors que de seconds couteaux ayant raté leur grande carrière at home, tel l’entraîneur anglais du Racing, George Kimpton, adepte d’un WM sobre et efficace, auquel les Racingmen devront sans conteste leurs plus belles années.
Une grande rasade de foot british
Le fossé semble en effet à ce moment irrémédiablement abyssal entre les deux rives de la Manche. Y compris entre les deux équipes qui se confrontent pour les bonnes œuvres. Alors que le Racing ne décroche qu’un seule titre de champion en 1936 – juste couronnement pour sa mythique formation dite des « Pingouins » et son irremplaçable Raoul Diagne (premier international noir en bleu) –, les Gunners profitent de la décennie pour empocher cinq trophées et disputent le titre le reste du temps. Pour résumer, tout le monde n’est pas assis à la table des hautes instances… D’ailleurs, personne n’est dupe et la foule qui se presse alternativement au Parc des Princes (première version) ou à Colombes désire avant tout s’abreuver d’une grande rasade de foot british. Un bonheur trop rare à une époque où la chance de voir un tel niveau de jeu s’avère extrêmement peu fréquent. Il faut dire que les absences de télé et de compétitions internationales n’aident pas. Quel que soit son bord politique – et Dieu sait que la France est alors divisée idéologiquement –, on court profiter de l’aubaine, ou au pire on écoute la retransmission radiophonique.
Neuf matchs : deux nuls et sept victoires pour les Gunners
En 1938, L’Humanité de Thorez vante à ses lecteurs avec emphase « le véritable tripotage de balle » des Gunners. Le 26 novembre de la même année, La Voix du combattant, journal situé plutôt à droite, décrit très objectivement l’affaire, sans chauvinisme aucun : « Les Parisiens vont être gratifiés dimanche d’une rencontre qui suscite un grand intérêt. C’est le match annuel entre l’équipe française du Racing club de Paris et l’équipe anglaise d’Arsenal. La rencontre est disputée au profit d’une œuvre charitable pour les combattants. Jusqu’à maintenant, l’équipe d’Arsenal avait toujours fait preuve d’une assez nette supériorité sur le Racing en raison de ses qualités techniques et athlétiques supérieures. Il en sera encore probablement de même cette fois-ci, mais attendons-nous à voir le Racing se défendre courageusement et même attaquer si l’occasion lui en est offert. »
Toutefois, en novembre 1932, Le Petit Parisien, un des quotidiens les plus populaires à Paname et dans sa banlieue, résumait bien mieux encore ce qui se passait dans les tribunes : « Le public enthousiaste ne ménagea pas ses applaudissements à la splendide démonstration de football faite par la célèbre équipe professionnelle de Londres. » Le bilan se révèle en effet sans appel avec sept victoire sur neuf rencontres, avec parfois des airs de raclée comme l’édition initiale en 1930 et son cinglant 7-2. La légère montée en puissance des Parisiens leur permettra cependant de venir au moins chercher des nuls honorables en 1935 et 1938.
Au-delà même de l’enjeu sportif, de par sa nature caritative en faveur d’une cause assez consensuelle – les anciens combattants sont de droite et de gauche –, l’événement se transforma également en un rendez-vous mondain qui parvint à rassembler à la même table, en plein Front Populaire, ministres socialistes, élus communistes, sénateurs de droite et notables des beaux quartiers, comme nous le conte Le Temps : « À l’occasion de ce match, les dirigeants du club ont offert hier un déjeuner que présidait M. Rivière, ministre des Pensions, auquel avait pris place M. Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs, Jean-Bernard Lévy, président du Racing Club de Paris, Marrane, président du conseil général, Bour, vice-président du conseil municipal, Villey préfet de la Seine, Jules Rimet, président du conseil national des sports, des fédérations internationale et française de football. »
L’appétit financier des professionnels anglais
Il n’est qu’un domaine où le doute s’installe : la véritable finalité altruiste de la chose. L’hebdomadaire Marianne (rien à voir avec celui d’aujourd’hui) s’interroge dès 1932 : « Le match ne rapporta presque rien – tout juste la quinzaine de milliers de francs que le fisc a bien voulu ristourner aux dites œuvres – tout bonnement parce que les frais exagérés et aveuglement consentis ont absorbé, et même dépassé, les 200 000 francs de recettes. » Les appétits des professionnels britanniques semblent avoir lourdement entamé la cagnotte finale. Les négociations se transformèrent souvent vite en rounds commerciaux. « Le change ne facilite pas les choses, mais il faut souhaiter que les dirigeants parisiens et londoniens se mettent d’accord et qu’une fois encore, nous ayons le plaisir de voir évoluer dans nos murs la belle équipe anglaise de football » , espère L’Homme libre en 1937, alors que la date tarde à être annoncée.
Ce « Clásico » du cœur entre Paris et Londres laissa finalement une étrange leçon dont les enseignements sont peut-être encore d’actualité. « On sait la similitude qui existe entre les deux grands clubs des capitales anglaise et française qui vivent généralement ensemble les heures de gloire et les jours néfastes » , peut-on lire dans le Paris-soir du 28 novembre 1937. Il faudra en toucher deux mots à Unai Emery et Arsène Wenger.
Par Nicolas Kssis-Martov