- Mondial 2022
- Qatar
La Coupe du monde au Qatar n’est pas vraiment finie
La France est loin d’en avoir terminé avec la Coupe du monde au Qatar. Cette fois, il ne s’agit pas de ruminer une finale perdue ou de juger de la méforme de Lionel Messi depuis son sacre. La justice continue en effet à son rythme d'explorer le rôle de notre gouvernement dans l’attribution de la compétition à l’émirat.
Le Mondial 2022 a été un succès. Pour le Qatar d’abord, qui a clairement remporté son pari – guère risqué – en récoltant les fruits diplomatiques de ses 220 milliards d’investissement. La FIFA et Gianni Infantino triomphent pour leur part, assis sur un imposant magot, et continuent sans frein leur course folle vers l’indécence. Les défenseurs du « foot d’abord » enfin peuvent clouer au pilori les vilains esprits critiques et autres défenseurs des droits humains qui voulaient gâcher la fête. Seulement de petites secousses continuent de faire trembler l’édifice. En France surtout, où la machine judiciaire a été enclenchée avant même le match inaugural. Le Parquet national financier avait ainsi ouvert en 2016 une enquête pour « corruption privée », « association de malfaiteurs » et « trafic d’influence et recel de trafic d’influence », devenue depuis une information judiciaire.
À table !
Au générique de cette saga, des noms prestigieux : le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, et la gloire nationale Michel Platini. Et au milieu, un dîner à l’Élysée le 23 novembre 2010 avec en invité d’honneur le prince héritier Tamim Ben Hamad Al-Thani (aujourd’hui émir), au cours duquel aurait été obtenu le ralliement du boss de l’UEFA à la candidature du pays du Golfe. Un arrangement pour le plus grand bonheur des échanges commerciaux entre la France et l’émirat (prolongés par François Hollande, atteint d’amnésie entre-temps). Davantage que d’enrichissement personnel, le cœur du dossier éclaire les enjeux de fonds, souvent occultés, qui décident de l’attribution d’une Coupe du monde.
Un nouvel épisode est toutefois en cours de tournage. Comme l’a révélé Le Monde, l’association Anticor établit, dans la foulée de révélations de Mediapart, un lien avec la campagne présidentielle de 2007, via le rôle trouble de François de La Brosse, alors un proche du président de la République. Le publicitaire aurait bénéficié en 2011-2012 de largesses contractuelles de la part de la société qatarie Q.Media, tout en oubliant de facturer donc des prestations réalisées pour la campagne présidentielle de 2007 et une partie de son travail en tant que conseiller à l’Élysée. Le quotidien explique de la sorte que la structure qui lutte contre la corruption en politique a déposé plainte, le 7 avril, auprès du PNF, pour des délits présumés de « trafic passif et actif d’influence », de « corruption active et passive d’un agent public étranger », d’« association de malfaiteurs », de « financement illégal de campagne électorale » et de « recel de ce délit ». De nouveau, les personnes citées touchent alors au plus haut sommet de l’État : Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, ainsi que l’ancien Premier ministre qatari Hamad Ben Jassem Al-Thani.
Sarkozy champion ?
Pour le coup, nous sortons de la zone grise de ce qui est permis ou toléré au nom de l’intérêt supérieur du pays. Michel Platini, qui a nié avoir reçu l’ordre de voter pour le Qatar, avait admis néanmoins avoir parfaitement saisi le message subliminal du chef de l’État durant ce fameux souper entre gens de bonne compagnie. Cette fois, il est aussi question de corruption individuelle, presque bas de gamme. Cependant, les faits ont également une portée politique angoissante. Du point de vue de la morale civique et de l’intégrité de nos institutions, l’attribution de la Coupe du monde aurait finalement, même légèrement et indirectement, influé sur le cours d’une campagne électorale. Certes, Nicolas Sarkozy doit avoir l’habitude de ce genre d’accusation, pour peu qu’on se souvienne des documents sur un possible financement par la Libye de Kadhafi. Ce dernier soubresaut illustre aussi la place qu’occupe désormais le football dans l’économie capitaliste mondiale et la façon dont cette dernière interfère dans la vie politique d’une démocratie telle que la France. Libre aux zélotes du ballon rond de ressasser qu’on ne peut rien y changer…
Par Nicolas Kssis-Martov