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Qatar : vive la Coupe des travailleurs !

Par Chérif Ghemmour
Qatar : vive la Coupe des travailleurs !

N'écoutez pas les rapports alarmants qui dénoncent les conditions de travail épouvantables sur les chantiers de la Coupe du monde 2022 au Qatar ! Car les ouvriers locaux ont le loisir de s'éclater en disputant un tournoi de foot appelé Workers Cup (« Coupe des travailleurs »). La deuxième édition se dispute actuellement. Elle est pas belle, la vie ?

La Workers Cup, c’est quoi ?

À la vérité, on ne sait pas exactement si les organisateurs de la Workers Cup ont lancé la première édition de cette compétition singulière en mars 2013 en contre-feu des révélations explosives à venir de l’été 2013 sur les « chantiers de la mort » au Qatar… D’abord, la Workers Cup, qu’est-ce que c’est ? C’est un tournoi multisports créé conjointement par une société privée qatarienne (Qsports), par la Ligue de football qatarie (Qatar Stars League) et par le comité d’organisation de la Coupe du monde. Le foot, le basket-ball, le cricket et le volleyball sont au programme. L’immense masse des travailleurs vient d’Asie (Inde, Népal, Pakistan), d’où un tournoi de cricket. Le premier tournoi de foot de l’an passé (du 29 mars au 14 avril 2013) a engagé 16 équipes, représentatives de 16 sociétés parmi d’autres innombrables travaillant à la construction des infrastructures de Qatar 2022. Cette compétition passée un peu inaperçue a été reconduite cette année (du 21 mars au 25 avril) avec force médiatisation. Comme la devise de Qsports est « Have fun, get fit, make friends » ( « Éclatez-vous, gardez la forme et faîtes-vous des potes » ), ce tournoi passé cette année à 24 équipes respire la joie et la bonne humeur. La compète se dispute sur de vrais terrains de foot, souvent dans les stades des clubs qatariens basés à Doha.

Dans Libération du 19 mars dernier, Adil Ahmed, directeur de Qsports, explique : « Cette coupe est strictement réservée aux ouvriers. La majorité travaillant dans le bâtiment. » Son collègue Adil Ahmed, autre responsable de l’organisation QSports, est tout miel : « Nous voulions lancer un projet sportif que les ouvriers s’approprient vraiment. » Le Facebook dédié à la compète, en rendant compte du calendrier et des résultats, affiche les photos très brothers and brothers de travailleurs-footballeurs heureux de jouer au ballon. « Ethniquement parlant » , ce sont surtout des travailleurs venus d’Afrique et du sous-continent indien qui composent très majoritairement ces équipes. Aujourd’hui, 18 avril, on dispute les quarts. La finale aura lieu vendredi prochain et l’équipe gagnante remportera une jolie coupe évasée et 18 000 rials (près de 5 000 dollars). Pas terrible pour un Émirat aussi fortuné… En tout cas, Nasser Kuwari, un autre promoteur de la Workers Cup, se réjouit du lancement de cette deuxième édition en pensant lui aussi très fort aux joueurs-ouvriers : « Nous nous soucions beaucoup du bien-être de ces travailleurs parce que ce sont eux qui construisent les stades et autres infrastructures de Qatar 2022. » Une belle déclaration en mars dernier qui se veut comme un déni aux accusations de « mauvais traitements » des travailleurs migrants présents sur les chantiers du Mondial 2022…

Mortels chantiers…

Parce que cette Workers Cup vraiment très sympa masque bien évidemment la réalité atroce des chantiers de la Coupe du monde 2002, révélée l’été dernier par divers reportages et enquêtes… En février 2013, un mois avant la première édition de la Workers Cup, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), Sharan Burrow, tire déjà le signal d’alarme. Dans L’Équipe, elle révèle le sort de ces ouvriers immigrés qui risquaient la mort en raison des conditions de travail difficiles sur les chantiers : « Plus de travailleurs vont mourir pendant la construction des stades que de footballeurs fouleront les terrains. (…) Le Qatar est un État esclavagiste du XXIe siècle. » Sharan Burrow fit état des températures pouvant grimper jusqu’à 50°C pendant l’été ( « Ils risquent les crises cardiaques et la déshydratation… Beaucoup meurent la nuit, de coups de chaud » ) et avança le nombre de 191 décès d’ouvriers népalais pour la seule année 2010. La syndicaliste australienne insiste sur le fait que les ouvriers sont pieds et poings liés à leurs employeurs qui confisquent leurs passeports à leur entrée au Qatar. Voilà pourquoi la CSI a lancé en novembre 2011 une campagne contre la tenue de la compétition dans le petit État du Golfe, un an environ après l’attribution de la compétition, le 2 décembre 2010.

En septembre 2013, le Guardian (rapporté par Le Monde du 23 septembre 2013) confirme le sort tragique des ouvriers népalais sur la base de documents fournis par l’ambassade du Népal à Doha : au moins 44 ouvriers népalais employés sur des chantiers de construction des sites de la Coupe du monde 2022 au Qatar ont trouvé la mort entre le 4 juin et le 8 août. Le Guardian estime que « 1,5 million d’ouvriers supplémentaires doivent être recrutés pour construire les stades, les routes, les ports et les hôtels nécessaires au bon déroulement du tournoi. » Dans les mêmes colonnes du quotidien britannique, la Confédération internationale des syndicats (CIS) prévoit qu’au rythme actuel des décès sur les chantiers au Qatar, au moins 4 000 ouvriers pourraient mourir dans l’Émirat avant même le coup d’envoi du Mondial 2022… En février dernier, le Qatar a bien publié une charte destinée à améliorer les droits des quelque 1,4 million de travailleurs étrangers (la plupart originaires d’Inde, du Sri Lanka, du Népal et du Bangladesh). Mais sur les chantiers, l’hécatombe continue comme le rapporte encore le Guardian qui lance le chiffre de 400 morts rien que chez les travailleurs népalais… À la mi-mars, le Qatar s’est dit « déçu » (sic) par le nouveau rapport de la CSI dénonçant à nouveau des conditions « inhumaines » des travailleurs immigrés employés sur les chantiers du Mondial 2022. C’est dans ce contexte international d’indignation, ajouté aux différents scandales du Qatargate (accusations de corruption de Jack Warner, ex-boss de la Concacaf) et au choix encore incertain de la saison adéquate (été ou hiver ?) que l’éventualité de voir le Qatar « dessaisi » de sa Coupe du monde est apparue. Au vu de l’avancée des travaux et des fonds déjà engagés, cette éventualité paraît certes très peu probable. Ceci dit, comme le rapportait TF1.fr le 18 février dernier, Tim Noonan (directeur de campagne et de communication de la CSI) a affirmé sur TV5 : « Certains hauts responsables de la FIFA ont évoqué un possible revote en 2015. » Un possible revote en 2015, d’accord. Mais avant ou après la Workers Cup ?

Par Chérif Ghemmour

PS : le lien Facebook de la Workers Cup 2014

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