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Qatar : une défaite sur le terrain, mais une victoire diplomatique
Non, le Qatar n’a pas fait que se ridiculiser dimanche au stade Al Bayt. Le match d’ouverture a permis au pays hôte d’afficher en tribunes son unité avec son voisin saoudien, Mohammed ben Salmane accompagnant le monarque Tamim ben Hamad Al Thani sur la photo. Le jeu du Qatar est avant tout diplomatique, et il s’est félicité de son coup.
À cet instant, la nuit est tombée sur la péninsule. Le stade Al Bayt est plongé dans l’obscurité, et le visage de l’Emir du Qatar, le cheik Tamim ben Hamad Al Thani, apparaît soudainement sur l’écran géant. Un rugissement s’empare des tribunes. Celui que l’on présente comme le nouveau père de la nation qatarienne doit prononcer quelques mots en ouverture de la Coupe du monde 2022. Micro en main, la thobe sur les épaules, Al Thani se réjouit de la tenue de ce premier Mondial dans un pays arabe et promet le respect des « personnes de races, de nationalités, de croyances et d’orientations différentes qui se réuniront ici au Qatar et autour d’écrans sur tous les continents ». Proposée à des millions de téléspectateurs, l’image est léchée. À l’instar de ses buildings, le Qatar ne lésine pas sur la forme. Dans le cadre, au premier plan, s’exhibe un autre poids lourd de la région : Mohammed ben Salmane, régent de l’Arabie saoudite. Depuis qu’il dirige l’une des principales puissances du Moyen-Orient, il n’est pas vraiment le meilleur ami du Qatar. Un peu de jalousie s’est insérée dans la relation, avec les réussites successives du Qatar lors de la dernière décennie : le PSG, son gaz ou son leadership croissant sur la scène internationale.
Eau dans le gaz
Dès son arrivée au pouvoir à l’été 2017, MBS a imposé un embargo à son voisin et a rompu ses relations diplomatiques. « C’était une décision avant tout visant à mettre la pression sur le Qatar et le faire rentrer dans le rang », rappelle David Rigoulet-Roze, chercheur et universitaire spécialiste des équilibres géopolitiques au Moyen-Orient. Jusqu’aux années 2000, l’usage voulait que le Qatar s’aligne sur la politique étrangère de l’Arabie saoudite. Pourtant, la péninsule grande comme la Corse n’a pas vraiment suivi la consigne en postulant l’organisation de la grand-messe du football. « Quand le Qatar a décroché l’organisation de la Coupe du monde 2022, les autres pétromonarchies ont fait grise mine », détaillent Georges Malbrunot et Christian Chesnot, dans l’un de leurs nombreux livres consacrés au Qatar, Les Secrets du coffre-fort. À tel point que l’Arabie saoudite avait réfléchi, au point culminant du blocus, à verser ses déchets nucléaires au fond du sous-sol qatarien. Ambiance.
Tamim-MBS-Coupe du monde: ennemis, amis, cousins,voisins. pic.twitter.com/NRo2gBlfAR
— Georges Malbrunot (@Malbrunot) November 21, 2022
« Cette image des deux monarques du Qatar et de l’Arabie saoudite réunis confirme une forme de réconciliation, sinon de coopération des pays du Golfe », remarque David Rigoulet-Roze. Ce n’est que la deuxième fois que les deux pays s’affichent publiquement depuis la reprise de leurs relations diplomatiques en janvier 2021. Le rapprochement est surtout lié au contexte international. « Avec les manifestations qui se déroulent à Téhéran, les pétromonarchies se montrent inquiètes et préfèrent être unies en cas d’embrasement », pointe le chercheur. Le rapprochement s’explique aussi par un mouvement de solidarité. Ébranlé par les critiques répétées sur les questions écologiques et les droits humains, le Qatar a eu le sentiment d’être la cible d’une forme d’islamophobie. « Il nous a vite semblé clair que la campagne persiste, s’étend, qu’il y a des calomnies et du deux poids, deux mesures », s’émouvait Tamin ben Hamad Al-Thani devant le Parlement le 25 octobre. Son ministre du Travail employant même l’idée d’un « racisme » déployé contre les pays du Golfe. Mot gaiement repris par Gianni Infantino lors d’une conférence de presse en marge de la Coupe du monde, vendredi, quelque peu lunaire.
Diplomatie de la corbeille
À l’heure d’un certain déclin américain, du repli chinois et de la folie Russie, l’image vise à prouver que les pétromonarchies peuvent être aux manettes de l’ordre mondial. L’organisation de ce Mondial répond toujours à une logique d’image et de softpower, la soirée de dimanche soir en est encore l’incarnation. La défaite nette encaissée sur la pelouse face à l’Équateur n’est finalement que secondaire : le Qatar voulait surtout gagner en tribunes. En loges, même. Déjà rompues à la diplomatie de la corbeille au Parc des Princes, les autorités qatariennes ont répété l’exercice. La composition de la tribune d’honneur est toujours un choix scruté, presque autant que les onze qui démarrent le tournoi. Un président ami un peu trop bas dans la corbeille, et c’est le début des problèmes. Un allié mis à son poste préférentiel, et vous gagnez son soutien, au moins le temps du tournoi. Si le Qatar a été plombé par ses joueurs et trahi par le manque de ferveur de ses supporters, il ne s’est pas trompé sur les petits fours et le choix de ses invités de marque.
Par Hugo Lallier, à Doha