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Qatar-Manchester United : un rachat en questions

Par Kévin Veyssiere
9 minutes
Qatar-Manchester United : un rachat en questions

La vente de Manchester United cristallise toutes les passions. En particulier parce que l’un des repreneurs potentiels vient du Qatar. Une éventuelle collusion de cette offre avec les arcanes du pouvoir qatarien ne serait peut-être pas sans conséquences pour le club phare du projet "sport power" de l’émirat, le PSG. Décryptage.

Quelles sont les offres officiellement déclarées pour le rachat de Manchester United ?

En novembre dernier, la famille Glazer, à la tête de Manchester United depuis 17 ans, a annoncé qu’elle allait considérer « toutes les alternatives stratégiques, y compris l’arrivée d’un nouvel investisseur, une vente, ou d’autres transactions ». Depuis, la banque d’affaires internationale Raine Group, déjà derrière la vente de Chelsea pour 2,5 milliards de livres sterling en mai 2022, a été nommée « conseiller financier exclusif » de cette opération. Manchester United a ainsi été évalué à 6 milliards de livres sterling.

C’est la semaine dernière que tout s’est accéléré, puisque Raine Group avait fixé au vendredi 17 février une date limite souple pour que des repreneurs déposent une éventuelle offre. C’est finalement ce qui est advenu de la part du Qatarien Jassim bin Hamad Al Thani avec une offre s’élevant à environ 4,5 milliards de livres sterling. Le groupe INEOS du milliardaire britannique Jim Ratcliffe, également propriétaire de l’OGC Nice, a lui aussi déposé une offre. D’autres intérêts de la part de fonds saoudiens et américains ont aussi été révélés par la presse britannique, mais sans confirmation pour le moment.


Qui est Jassim bin Hamad Al Thani, l’homme derrière l’offre qatarie ?

Il est le président de la Qatar Islamic Bank (QIB), l’une des principales banques du Qatar, et l’un des nombreux fils de l’ancien Premier ministre du Qatar Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani. Ce dernier n’est pas n’importe qui au sein du pouvoir qatari. Surnommé « HBJ », il est l’une des principales têtes pensantes et le chef de la diplomatie du Qatar moderne. C’est lui qui est derrière les nombreux investissements pour développer le « soft power » du petit émirat du Golfe, notamment : le réseau de chaînes qataries Al Jazeera, le développement de la compagnie aérienne Qatar Airways, la structuration des investissements sportifs… Il a été aussi aux responsabilités du pays en étant Premier ministre (2007-2013) et ministre des Affaires étrangères du pays (1992-2013) et aurait œuvré en coulisses en 1995 lors du coup d’État de Hamad bin Khalifa Al Thani, le père de l’émir actuel Tamim.

HBJ est aussi à l’origine du fonds d’investissement souverain Qatar Investment Authority (QIA), créé en 2005 pour renforcer la modernisation du pays et sa diversification économique. Un temps pressenti pour être l’entité derrière l’offre qatarie pour le rachat du club mancunien, QIA détient aujourd’hui environ 450 milliards de dollars d’actifs.

En d’autres termes, le père de Jassim est une personnalité incontournable de l’organigramme étatique qatari. Et aussi un homme aux puissants leviers financiers. Il n’a pas hésité à investir massivement au Royaume-Uni, à tel point que la presse britannique l’a surnommé « l’homme qui a acheté Londres ». Sa fortune serait estimée à 50 milliards de dollars. Son fils, moins médiatique, a aussi de forts liens avec le Royaume-Uni puisqu’il a été formé à l’Académie royale militaire britannique de Sandhurst, soit le même cursus que l’émir du Qatar actuel Tamim bin Hamad Al Thani.


Quels sont les liens entre Jassim bin Hamad Al Thani et la famille régnante qatarie actuelle ?

Jassim, potentiel acquéreur de Manchester United, et Tamim, l’émir du Qatar, ont certes le même nom, sont issus de la même famille, mais ne sont pas de la même branche. En effet, la famille Al Thani serait estimée à environ 20 000 membres. Elle est la famille la plus puissante parmi celles qui composent les 300 000 ressortissants nationaux des 2,8 millions d’habitants du Qatar.

Son origine remonte à la confédération tribale Banu Tamim, qui s’est installée sur le territoire du Qatar au XVIIIe siècle. C’est à partir de là que la famille Al Thani se forme, que cheikh Mohamed bin Thani devient le premier émir et que la famille Al Thani règne depuis sans discontinuer sur l’émirat. La famille est toutefois divisée en plusieurs ramifications : Tamim est issue de la branche Hamad alors que Jassim est issue de la branche Jabor. Pour Christian Chesnot, auteur du livre Le Qatar en 100 questions (éditions Tallandier), « les membres les plus influents des Al Thani sont ceux qui sont directement liés à l’émir ».


L’offre qatarie pour le rachat de Manchester United est-elle déconnectée de l’État du Qatar ?

D’après le communiqué de l’offre qatarie publié vendredi dernier, elle « sera entièrement exempte de dettes via la Fondation Nine Two de Cheikh Jassim, qui cherchera à investir dans les équipes de football, le centre d’entraînement, le stade et les infrastructures plus larges, l’expérience des fans et les communautés que le club soutient ».

Qu’est-ce que la fondation Nine Two ? Il s’agit d’un véhicule financier créé par Jassim bin Hamad Al Thani afin de rassembler les fonds autour d’un consortium d’acteurs et de fonds privés pour acheter le club. Selon The Guardian, il se nomme ainsi, car Jassim serait devenu fan de United en 1992 et que le nom fait aussi fait référence à la génération 1992 du club, celle de Ryan Giggs et David Beckham. De quoi rajouter du storytelling dans l’offre qatarie pour séduire les supporters et la Premier League face à l’offre de Jim Ratcliffe, originaire de Manchester.

Malgré des fonds « privés », et bien que l’offre n’émane pas de la société QSI, propriétaire du PSG et étroitement liée au fonds souverain QIA, difficile de ne pas voir l’État du Qatar tirer les ficelles de cette offre. Le petit émirat a investi dans le sport ces dernières décennies pour exister aux yeux du monde, se protéger de ses voisins et attirer les investisseurs pour diversifier son économie. Entreprise par l’émir Hamad Al-Thani, cette politique d’investissements sportifs s’est accélérée dans les années 2000 afin d’accompagner le plan de modernisation du pays, Qatar Vision 2030. Avec en point d’orgue de cette stratégie l’attribution surprise en 2010 de la Coupe du monde 2022, la création du réseau de chaînes sportives beIN Sports et le rachat du PSG pour 70 millions d’euros en 2011. Une offre d’une telle envergure pour Manchester United nécessiterait donc a minima l’approbation de l’État. Surtout quand on sait que le principal actionnaire de la Qatar Islamic Bank de Jassim bin Hamad Al Thani n’est autre que le fonds souverain QIA lui-même.


Pourquoi l’offre qatarie pose question, notamment au niveau du règlement de l’UEFA ?

Toute la problématique de ce rachat, si l’offre qatarie aboutit, est donc de savoir s’il y a une collusion d’intérêts du Qatar au niveau de deux tops clubs européens, en l’occurrence Manchester United et le PSG. Là-dessus, le règlement de l’UEFA est clair : les équipes avec le même propriétaire majoritaire ne peuvent pas participer aux mêmes compétitions européennes. C’est notamment le problème qui s’était posé pour les clubs détenus par Red Bull (Leipzig et Salzbourg) lors de la Ligue des champions 2017-2018. Finalement, le groupe Red Bull avait réussi à convaincre l’UEFA qu’il n’était plus propriétaire de Salzbourg.

La problématique sera tout autre avec deux clubs de l’envergure du PSG et de Manchester United. Si l’UEFA sera obligé de prendre position, il faudra aussi prendre en considération l’influence toujours plus grandissante du Qatar au sein de l’institution européenne du football. Notamment depuis que Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG et de QSI, siège au comité exécutif de l’UEFA, en tant que représentant de l’ECA, l’Association européenne des clubs, et qu’il s’est érigé en principal opposant au projet de Superligue. L’UEFA d’Aleksander Čeferin est consciente de la dynamique actuelle puisqu’elle a récemment déclaré que « l’augmentation des investissements multiclubs a le potentiel de constituer une menace importante pour l’intégrité des compétitions interclubs européennes, avec un risque croissant de voir deux clubs avec le même propriétaire ou investisseur se faire face sur le terrain ». Reste à savoir comment l’institution statuera en cas d’un éventuel conflit d’intérêts.


Pourquoi le Qatar investit-il maintenant en Premier League ?

La Premier League n’est pas une inconnue pour le Qatar. beIN Sports est le principal diffuseur de la ligue anglaise à l’international. Pour autant, les intérêts qataris pour le rachat d‘un club se sont manifestés plus tard, le temps notamment d’asseoir le PSG sur la scène européenne et d’en faire une marque sportive mondiale. En 2019, QSI avait envisagé le rachat de Leeds United. Le processus s’accélère désormais du fait que le Qatar sort plutôt « victorieux » de sa Coupe du monde, malgré les nombreuses controverses autour du coût écologique et des conditions des travailleurs migrants. C’est pourquoi l’émirat décide de maintenir cet élan et de poursuivre ses investissements dans le sport. Notamment dans la ligue de football la plus riche et la plus regardée au monde. Déjà au mois de janvier, la presse britannique révélait des discussions provisoires entre QSI et Tottenham Hotspur. C’est finalement une autre opportunité de marché qui s’est présentée avec le club de Manchester United et ses 150 millions d’abonnés à travers le monde.


Quelle concurrence avec les autres clubs détenus par des fonds venus du golfe Persique ?

Les voisins (et rivaux) du Qatar ont eux aussi investi en Premier League. Les Émirats arabes unis tout d’abord. Le club de Manchester City a été racheté en 2007 par le fonds d’investissement ADUG, fondé par le cheikh Mansour, membre de la famille royale de l’émirat d’Abu Dhabi. Désormais devenu le City Football Group, cette entité est propriétaire du club mancunien et d’une myriade d’autres clubs. En 2021, la levée du blocus de l’Arabie saoudite vis-à-vis du Qatar et la fin du piratage de beIN Sports ont permis au fonds d’investissement saoudien (PIF) de débloquer la situation pour acquérir le club de Newcastle pour 300 millions de livres sterling. De quoi également réveiller les ambitions du Qatar en terre britannique. Pour faire de la ligue anglaise un nouveau terrain de jeu de pouvoir et d’influence entre des puissances concurrentes du golfe Persique.


Quel impact sur le PSG si Manchester United venait à être racheté par le Qatar ?

Les investissements qataris ont été nombreux dans le PSG : près de 1,5 milliard dépensé, pour tenter de remporter la Ligue des champions. Pour l’instant, rien n’y a fait. De quoi susciter un temps la crainte d’un départ du Qatar en 2019. Pourtant, le PSG n’en demeure pas moins la meilleure vitrine du volet sportif du « soft power » qatari, avec ses stars Kylian Mbappé, Leo Messi et Neymar. En novembre dernier, le président du PSG Nasser Al-Khelaïfi avait coupé court à un éventuel désengagement en déclarant au Financial Times avoir un projet à long terme ​à Paris, tout en faisant part de sa volonté d’ouvrir 15 % du capital. Il est donc trop tôt pour dire si un éventuel rachat de Manchester United par le Qatar signifierait la fin de l’aventure QSI au PSG. Surtout si le Qatar se doit d’être prudent vis-à-vis de l’UEFA pour montrer qu’il n’y a pas de connexions économiques fortes entre les deux clubs. L’éventuel rachat de Manchester United doit être plus vu comme une démonstration de puissance du Qatar dans la continuité de l’organisation de sa Coupe du monde de football. Et ce n’est pas les accusations de « sportwashing » d’Amnesty International UK qui calmeront les ardeurs du Qatar.

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