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Qatar, le printemps des doutes
Mis au ban par les autres grandes monarchies du Golfe en raison de son supposé soutien à des groupes terroristes, le Qatar voit sa gestion de l'organisation du Mondial 2022 largement perturbée, voire menacée. Un vrai coup dur pour la stratégie jusqu'ici savamment huilée que l'émirat avait déployée dans le monde du ballon rond, qui a semblé s'étioler en 2017.
Il y a encore deux ans, cela ressemblait presque à une lune de miel. L’argent qatari continuait de remplir les caisses du Paris Saint-Germain, beIN Sports dominait de la tête et des épaules le paysage audiovisuel sportif français et la FIFA fermait les yeux sur les conditions de travail controversées des ouvriers œuvrant à la construction des stades de la Coupe du monde 2022 dans l’émirat. Puis, ce lundi, l’Arabie saoudite, le Yémen, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont décidé d’envoyer un uppercut colossal qui a subitement fait chanceler Doha. Persuadées que le Qatar finance diverses organisations terroristes, les autres monarchies du Golfe ont suspendu leurs liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec Doha. De quoi sérieusement perturber la logistique complexe liée à l’organisation du Mondial qatari.
Autarcie
Pour comprendre l’ampleur du problème qui se pose désormais à Doha, il faut d’abord évoquer la situation géographique qatarie. L’émirat ne partage de frontières qu’avec un seul État, l’Arabie saoudite, ce qui bloque d’emblée toute importation de biens par voie terrestre. L’équation se complexifie encore plus avec la fermeture de l’espace aérien orchestrée par les États voisins de Doha, qui a conduit les compagnies aériennes émiraties Etihad, Emirates, Flydubai et Air Arabia, ainsi que Saudia et Gulf Air (Bahreïn) à suspendre lundi tous leurs vols vers ou depuis le Qatar. De quoi tarir le flux logistique – humain comme matériel – primordial à l’organisation d’un événement de l’ampleur d’une Coupe du monde. « Une fermeture des frontières et des restrictions de l’espace aérien pourraient avoir des conséquences très importantes dans les délais de livraison des stades pour la Coupe du monde 2022 » , analysait pour l’agence Reuters Kristian Ulrichsen, un expert des pays du Golfe. Pour l’instant, l’émirat est largement dans les temps, avec déjà un stade dont la rénovation est achevée depuis la mi-mai (le Khalifa International Stadium), mais la livraison des matériaux nécessaires à la construction des sept autres enceintes pourrait s’avérer plus problématique.
Série noire
Une complication majeure qui vient s’ajouter aux autres revers cinglants encaissés cette année par l’émirat dans le monde du ballon rond. L’échec le plus médiatisé reste bien sûr celui du PSG, humilié par le FC Barcelone et sa remuntadaeffectuée cette folle nuit du 8 mars dans un Camp Nou incandescent. De quoi faire du PSG version qatari l’avatar ultime de la loseaux yeux de l’Europe toute entière. Mais insuffisant pour perturber sur le long terme le club francilien, dont la valeur a été récemment évaluée à 998 millions d’euros par le cabinet d’audit KPMG, une progression de 18% par rapport à celle estimée l’année dernière. L’impasse diplomatique à laquelle le Qatar doit faire face avec ses pays voisins devrait en revanche impacter plus durablement l’un des pivots de la stratégie de valorisation de l’image du pays à travers le sport : beIN Sports. Les canaux arabes de la chaîne sont déjà touchés, le réseau de beIN Sports n’étant plus accessible via le câble aux Émirats arabes unis. En Égypte, où l’on participe aussi au boycott de l’État qatari, les clubs d’Al-Ahly et Zamalek ont eux annoncé la fin de « toute collaboration » avec les correspondants de la chaîne. Une déconvenue de plus pour beIN, qui semble également dans une phase descendante dans l’Hexagone, après avoir perdu mi-mai les droits de diffusion de la Ligue des champions, acquis par SFR Sport jusqu’en 2021. Une bataille que ne s’imaginait pas perdre Youssef Al-Obaidly, le président de beIN Sports France, qui s’était dit en interne « surpris des conditions dans lesquelles ces droits ont été concédés » . Un échec de taille qui vient donc pourrir un peu plus l’année noire des Qataris dans la sphère footballistique. Même si les difficultés autour de l’organisation du Mondial 2022, elles, ne sont pas insurmontables, à en croire le politologue Hasni Abidi : « Je ne pense pas qu’on ait atteint le point de non-retour. Riyad et Doha partagent une histoire tribale. Il n’est pas dans l’intérêt des monarchies du Golfe d’arriver à une rupture totale. » La FIFA, elle, s’est contentée de déclarer « être en contact régulier avec le comité local d’organisation » . Une façon comme une autre de temporiser, en attendant d’observer les évolutions et les conséquences d’une crise encore complexe à cerner et à anticiper.
Par Adrien Candau
Propos de Hasni Abidi issus de Jeuneafrique.com