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Qatar, le cauchemar commence
La FIFA vient de clôturer une édition plutôt réussie – selon ses critères évidemment - de son produit phare : la Coupe du monde masculine de football. Loin de toutes les inquiétudes économiques et nuages diplomatiques qui s'accumulaient au-dessus de la Russie, Gianni Infantino peut se frotter les mains. Il peut surtout continuer de prétendre tourner la page Blatter et redonner au ballon ses lettres de noblesse. Seul petit problème, l'Italo-suisse a laissé derrière lui une petite bombe à retardement. Une Coupe du monde au Qatar dont tout le monde se demande maintenant le pourquoi du comment.
« Il y a quelques années, j’avais dit que ce Mondial serait le meilleur de l’histoire et je peux aujourd’hui le dire avec conviction : c’est la meilleure Coupe du monde de tous les temps » . Gianni Infantino ne finira pas prof d’histoire, c’est certain. Mais d’une certaine façon, son emphase très soviétique se révèle à la mesure du bonheur qu’il doit ressentir et du petit sentiment de revanche qu’il éprouve envers ceux qui l’attendaient au tournant de cette première grande épreuve de son règne. En effet, point de hordes de hooligans semant la désolation dans les rues de Moscou. Des millions de touristes satisfaits. Aucune polémique politique – une opposition bâillonnée n’a, il est vrai, jamais gêné la FIFA – et le tsar Poutine fut même d’une discrétion peu habituelle, sûrement divinement étonné du parcours de sa sélection nationale. Sans oublier que l’élimination précoce des Allemands a évité d’avoir à gérer les relations houleuses entre Angela Merkel et son hôte potentiel. Les Britanniques ont eu le bon goût de leur coté de ne pas gâcher la fête avec leur imbroglio d’espions mode guerre froide. Le foot a primé. Personne n’est venu rompre le charme.
CIA, corruption et trafic d’influence
Seulement, il faut maintenant se projeter. Si en 2019, la version féminine dans l’Hexagone s’avèrera sûrement tout aussi paisible, la suite des festivités risque de laisser un arrière-goût amer après pareille fête. Dans quatre ans en effet, le Mondial atterrira au Qatar, un joyeux cadeau légué par Sepp Blatter et son ami d’alors Michel Platini. Un choix qui demeurera sûrement dans les annales comme l’une des plus lourdes erreur jamais commise par l’institution sise à Zurich. Et ce pour de multiples raisons qui vont progressivement véroler le monde du foot jusqu’en 2022. À peine avait-on débarrassé les bouteilles de champagne en Russie que la presse anglaise sortait un énième dossier à charge, affirmant que l’émirat n’avait pas hésité à recruter d’ancien agents de la CIA pour miner la candidature de ses adversaires dont les États-Unis…
Si ces faits méritent d’être corroborés, ils s’inscrivent dans un flux tendu de révélations, entre corruption et trafic d’influence, qui entachent depuis des années cette étrange désignation. Rien de très nouveau diraient les sceptiques, qui pensent qu’au bord des lacs helvètes, la probité a toujours été un concept à géométrie variable, mâtinée d’enjeux diplomatiques. À l’instar de toute multinationale, les actionnaires s’achètent, et les états les soudoient. Sinon comment expliquer qu’en dépit de la raison éthique et de l’évidence culturelle, le Qatar ait pu recevoir ce cadeau inattendu ? Si la Russie de Poutine s’avérait aussi une décision stratégique et le fruit de rapport de force entre nations, sa légitimité en matière de football était sans commune mesure avec celle de Doha. Certes les Qataris avaient depuis longtemps appuyé leur soft power sur la conquête du sport. Mais on ne pensait pas que la FIFA puisse y succomber. Quant à l’argument d’enfin débarquer dans un pays arabe, on doit surtout penser du coté de Rabat que le vert du pétrodollar pèse davantage que celui du drapeau.
Des centaines de cadavres de travailleurs
Rien d’insurmontable pourtant, pour Gianni Infantino. Presque la routine. Toutefois, les temps changent aussi. Le Qatar est par exemple la cible permanente des organisations des droits de l’homme et des travailleurs, des syndicats et autres ONG, au sujet du sort, morbide, réservé aux travailleurs immigrés qui « disparaissent » pour que tout soit prêt en temps et en heure. Des centaines de cadavres, népalais, indiens ou autres (leur nombre reste encore impossible à connaître) qui vont continuer à en hanter les préparatifs. Certes l’OIT (Organisation Internationale du Travail) prétend avoir obtenu des concessions importantes et elle a assuré que l’an prochain la terrible kafala, régime de quasi-esclavage imposé aus ouvriers étrangers, serait abolie. Une promesse qui tarde à se concrétiser pendant que les consulats signent les actes de rapatriement des corps.
Enfin, dernier point noir : le décalage de la compétition, pour des raisons climatiques évidentes (qui veut jouer quand le thermomètre flirte avec les 50 degrés ?) en automne va inaugurer des phases de négociations et de conflits avec les grands championnats et gros clubs, essentiellement européens et pour le moins tendus. Il faudra ensuite se demander qui ira se faire rôtir, même dans des stades climatisés (bonjour les compétitions écoresponsables), dans un pays où ni l’alcool ni les réjouissances habituelles du supporter en goguettes ne sont en odeur de sainteté. N’oublions pas, aussi, les tensions extrêmement vives entre le Qatar et ses voisins, surtout l’Arabie Saoudite, avec pas très loin l’Iran dans le viseur US. Bref un faisceau de suspicions, d’indignations et de rapports de force qui peuvent entraîner des campagnes de boycott, citoyennes ou étatiques, autrement plus virulentes et argumentées que par le passé, notamment en Europe.
Le triptyque Canada-USA-Mexique comme médicament
Depuis lors, toutes les décisions prises par la FIFA semble des tentatives maladroites pour rattraper le coup. Une Ligue des nations aux allures de dédommagement financier pour l’UEFA. Une coupe à 48 dès 2026 pour élargir un peu le quota de l’Afrique sans entamer les positions du vieux continent. L’attribution de cette même édition à un triptyque Canada-USA-Mexique, qui permet à la fois de se faire pardonner la précédente éviction en 2022, de donner l’impression d’un pied de nez « chicano » à l’internationalement impopulaire Donald Trump, et en même temps de revenir dérouler l’événement phare du trademark FIFA en des terres plus accueillantes et sûres. D’ici là, Gianni Infantino aura le sommeil agité à chaque fois que son alerte Google tirera une occurence « Qatar/Mondial » de son chapeau.
Par Nicolas Kssis-Martov