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Qatar-Émirats arabes unis, la guerre du Golfe
Après avoir respectivement éliminé l'Australie et la Corée du Sud au tour précédent, les Émirats arabes unis et le Qatar se retrouvent en demi-finales de la Coupe d'Asie, ce mardi à Abou Dhabi (15h), pour un choc qui s'annonce bouillant, au regard des tensions géopolitiques qui opposent les deux pays.
Auparavant, ils s’étaient affrontés par clubs interposés. Avec Manchester City d’un côté, champion du soft power déployé par Abou Dhabi, et le PSG de l’autre, fer de lance de la percée XXL de Doha dans les industries sportives et culturelles. Mais ce mardi, c’est bien sur le terrain, à la régulière, qu’Émiratis et Qataris se donneront le change, pour ces demi-finales de la Coupe d’Asie. Une baston qui s’annonce forcément chargée idéologiquement.
La loi du blocus
Petit topo géopolitique en guise d’échauffement : en juin 2017, le Qatar est accusé par ses États voisins – et notamment l’Arabie saoudite – de soutenir en sous-main le terrorisme. S’ensuit un blocus piloté par la monarchie saoudienne et ses trois alliés régionaux, à savoir les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn. Depuis, Doha doit faire face à la fermeture de ses frontières terrestres et maritimes avec les États en question, comme à l’interdiction de survol de l’espace aérien de ces derniers. Pas de quoi mettre dans ses petits chaussons l’équipe de football qatarie, à l’heure de se rendre aux Émirats arabes unis, organisateurs de la Coupe d’Asie 2019. Si les joueurs qataris ont bien veillé à mettre à l’écart toute considération politique, leur avion pour se rendre au tournoi n’en a pas moins dû faire un détour par le Koweït, en raison de l’interdiction des vols directs imposée par les Émirats aux Qataris. Une complication qui touche aussi les supporters de la sélection qatarie, pour qui il est extrêmement complexe de se rendre au stade pour encourager leur équipe.
Les ressortissants de Doha doivent en effet d’abord obtenir une autorisation spéciale s’ils veulent se rendre aux Émirats. En outre, il n’y a plus de moyens de transport entre les deux pays et les Qataris doivent passer par un pays tiers avant de pouvoir entrer aux Émirats arabes unis. Pour ne rien arranger, la commission des sports d’Abou Dhabi ne fait pas mystère de sa volonté de prioriser les supporters émiratis, alors qu’une défaite de la sélection face au Qatar à domicile serait vécue comme un revers symbolique majeur. Cette dernière avait ainsi annoncé sur les réseaux sociaux que les billets restants pour le match seront donnés à « des fans loyaux des Émirats arabes unis » . Personne ne devrait ainsi s’étonner de voir les 42 000 supporters du stade Mohamed Bin Zayed d’Abou Dhabi soutenir le camp émirati ce mardi.
Le vilain petit Qatar
De quoi achever de retranscrire à travers le football l’isolation croissante de Doha sur la scène politique régionale. En juin, le procureur général des Émirats arabes unis avait même annoncé que toute personne qui montrerait de la sympathie à l’égard du Qatar s’exposerait à 15 ans de prison et une amende, rappelait même récemment Amnesty International. Pour comprendre pourquoi les Émirats arabes unis ont la dent aussi dure contre le Qatar, il faut néanmoins laisser le football loin derrière. Et rembobiner les bandes jusqu’en 1971. À l’époque, plusieurs petits émirats du Golfe, qui étaient sous protectorat du Royaume-Uni depuis 1892, voient les Britanniques se retirer du Moyen-Orient. Ils décident alors de s’unir sous la bannière d’une seule nation, les Émirats arabes unis. Ces émirats qui fusionnent se comptent alors au nombre de sept : Abou Dabi, Dubaï, Sharjah, Ras-Al-Khaimah, Ajman, Oum Al-Quaïwaïn et Fujairah. Mais deux autres ex-protectorats britanniques refusent d’intégrer leur territoire à celui du nouveau pays et préfèrent faire cavalier seul : il s’agit de Bahreïn et bien sûr du Qatar, qui déclarent leur indépendance, respectivement en août et en septembre 1971.
Rivalité exacerbée
Le refus du Qatar participera dans une certaine mesure à le marginaliser, alors que les Émirats arabes unis se rapprochent progressivement de l’Arabie saoudite, notamment dans l’optique de préserver une forme de statu quo politique au Moyen-Orient. Illustration directe en 1995 : cette année-là, au Qatar, l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani destitue son père, l’émir Khalifa ben Hamad Al Thani, pour prendre le pouvoir à Doha. Un putsch perçu par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite comme une menace pour la stabilité des régimes autoritaires régionaux. Quelques mois plus tard, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et Bahreïn participent même à la mise en place d’un contre-coup d’État – qui échoue – afin de rétablir l’ancien émir.
Enfin, Saoudiens comme Émiratis sont complètement opposés à la mise en place de régimes parfois qualifiés d’ « islamo-démocratiques » , un modèle politique qui a inspiré un nombre non négligeable de manifestants lors des Printemps arabes en 2011. Soit tout le contraire du Qatar, alors que le prince qatari Hamad Al-Thani affirmait dans une interview au Financial Times, en avril 2012, que « les islamistes modérés peuvent aider à combattre les idéologies extrémistes.(…)Il ne faut pas en avoir peur, mieux vaut coopérer avec eux. » Une addition de contentieux historiques et politiques qui permet d’émettre un léger doute, quand le gardien qatari Saad al-Sheeb avance « qu’à la fin, ce n’est qu’un match de football » . Symboliquement, il s’agira sans doute d’un peu plus que cela.
Par Adrien Candau