- International – Matchs amicaux – Qatar/Slovénie
Qatar : compte à rebours enclenché
Le pays hôte du Mondial 2022 sort d'une Coupe d'Asie désastreuse, mais vient de surprendre l'Algérie, pour le premier de ses deux matchs amicaux de mars. La sélection emmenée par Djamel Belmadi affronte la Slovénie en fin d'après-midi (17h, heure française) avec l'objectif de préparer les éliminatoires de la Coupe du monde 2018, une compétition qu'elle aimerait découvrir une fois avant de l'organiser, question de fierté. Ses deux moyens pour y parvenir : naturalisation et formation.
En janvier dernier, le Qatar a débarqué à la Coupe d’Asie en qualité d’ambitieux outsider, après une convaincante année 2014. Il a terminé la compétition après trois matchs seulement, pour autant de défaites : 1-4 contre les Émirats arabes unis, 0-1 contre l’Iran et 1-2 pour finir face au Bahreïn. Son pire bilan sur la scène continentale en neuf participations. Si le pays hôte de la Coupe du monde 2022 voulait montrer qu’il avait progressé, c’est pour le moins raté. Empêtré dans les polémiques entourant sa désignation par la FIFA et la manière dont il claque des fortunes et harasse des milliers d’ouvriers sur de pharaoniques chantiers, l’émirat du golfe aimerait pourtant vraiment qu’au moins sur le plan sportif, l’opinion publique finisse par s’incliner devant le travail abattu pour se montrer à la hauteur du tournoi. Un peu comme ce qui a été accompli en handball, avec l’équipe nationale qui s’est hissée chez elle jusqu’en finale du dernier Mondial, à la surprise générale, récoltant certes un peu de scepticisme et même des critiques concernant la méthode – en naturalisant à tout va et en profitant à excès des largesses de la réglementation internationale –, mais aussi en recevant quelques félicitations sincères de la part de beaucoup d’observateurs.
Dans la tentaculaire stratégie des dirigeants qatariens d’avoir une emprise sur le sport international, ça ferait mauvais effet que son équipe de football ne fasse que de la figuration lors de sa Coupe du monde. Sauf qu’on ne devient pas compétitif dans le sport roi, le plus disputé de la planète, en seulement quelques années, d’autant plus lorsqu’on est un pays de petite taille avec un vivier de joueurs locaux très léger. Le flop de la dernière Coupe d’Asie est là pour le rappeler. Si même dans la modeste zone Asie (dont aucun représentant n’a passé la phase de poules du Mondial brésilien l’an dernier), le Qatar galère, comment espérer faire honneur à sa participation au Mondial dans sept ans ? La réponse, espèrent les stratèges du football qatarien, tient en deux mots : naturalisation et formation.
Deux Français dans la sélection actuelle
Pour ce qui est de la naturalisation, il faut tout de même préciser que le Qatar ne peut pas abuser de ce moyen comme il l’a fait en handball, car le règlement de la FIFA est bien plus strict. En football, il n’est pas possible qu’un joueur qui a déjà disputé des compétitions internationales avec une nation soit « recruté » par une autre nation. Il faut choisir une bonne fois pour toute une sélection A et le Qatar, tout fortuné qu’il est, ne peut donc pas inviter des internationaux ou anciens internationaux d’autres pays à se joindre à lui. Il doit donc pour l’instant se contenter de seconds couteaux qui ont d’abord été attirés par les mirobolants salaires proposés par les clubs du championnat domestique avant d’accepter le passeport et la sélection qui va avec au bout de quelques années.
Parmi les 23 joueurs convoqués par Djamel Belmadi pour les deux rencontres amicales contre l’Algérie (victoire 1-0 jeudi) et la Slovénie ce soir, près de la moitié n’ont acquis que récemment la nationalité qatarienne. Ces binationaux viennent principalement d’Afrique (un Sénégalais, un Congolais, un Algérien, un Égyptien, un Soudanais, un Ghanéen), de pays voisins (un Koweïtien, un Bahreïnien), mais aussi de France. Ils sont deux dans ce cas : Dame Traoré, né à Metz, passé par Valenciennes, évoluant depuis 2010 au Qatar, et Karim Boudiaf, natif de Rueil-Malmaison, formé à Lorient puis Nancy, arrivé au pays lui aussi en 2010. Au niveau du staff également, les francophones sont appréciés, Belmadi occupant un poste occupé par le passé par Lechantre, Troussier et Metsu, et étant assisté par pas mal de Français, dont son adjoint Serge Romano, ancien entraîneur de Sedan. Ces joueurs et techniciens venus de l’étranger doivent permettre à l’équipe nationale d’élever son niveau de jeu, même si les bénéfices ne sont pas encore très visibles…
Formés au Qatar, couvés en Belgique
La formation est le deuxième axe de la stratégie des Qatariens. Il s’agit là d’un moyen dont les effets sont attendus sur le long terme. En 2004, l’académie Aspire a vu le jour, avec pour mission d’accueillir dans des conditions d’entraînement au top la crème des enfants footballeurs, en provenance d’Afrique notamment, pour leur donner les moyens de devenir pro et de réussir dans les plus grands championnats. Ils sont actuellement environ 200 ados venus du monde entier à être inscrits dans ce centre de formation de pointe, et parmi eux très certainement la plupart des joueurs qui formeront la sélection du Qatar en 2022. Les premiers effets de cette audacieuse stratégie sont déjà visibles : en octobre dernier, les U19 du Qatar ont été sacrés champions d’Asie, une grande première qui permettra à cette classe d’âge de disputer la Coupe du monde U20 en juin prochain.
Dans cette sélection de jeunes, on retrouve d’anciens pensionnaires d’Aspire qui poursuivent pour certains leur formation en Europe : en Espagne, en France (AJ Auxerre pour trois d’entre eux) et en Belgique, dans le club partenaire d’Eupen, qui joue la montée en D1 cette saison. En effet, depuis 2012, le KAS Eupen est propriété des Qatariens et l’effectif actuel comporte cinq joueurs venus du golfe, tous âgés de moins de 20 ans, tous là pour engranger de l’expérience et se frotter à d’autres joueurs dans un championnat étranger. Car c’est aussi ce qui manque à la sélection actuelle : Djamel Belmadi doit pour l’instant composer avec des joueurs qui évoluent dans le championnat local, la Qatar Stars League, d’un niveau que les observateurs comparent au National français…
Objectif 2018, question de crédibilité
Voici donc où en est la sélection du Qatar actuellement : sportivement toujours dans le dur – même si la victoire face à l’Algérie a rassuré après le fiasco de la Coupe d’Asie –, mais semblant se donner les moyens d’obtenir de meilleurs résultats dans les années à venir, avec cet objectif de 2022 encore lointain, mais qui se rapproche, inexorablement… D’ici là, la fédé locale aimerait voir l’équipe nationale réussir à se qualifier pour le Mondial 2018 en Russie, la campagne débutant en juin avec un Djamel Belmadi sous pression aux commandes. Il devrait petit à petit pouvoir intégrer à la fois des joueurs étrangers du championnat du Qatar obtenant la nationalité, ainsi que des jeunes formés à Aspire et allant gratter de l’expérience en Europe. À voir si la Coupe du monde 2018 n’arrive pas un peu tôt pour ce Qatar plus programmé pour performer quatre ans après. S’il échoue à aller en Russie dans trois ans, le Qatar sera la première nation à organiser une Coupe du monde de football sans jamais l’avoir disputée auparavant. Ça ferait quand même assez mauvais effet.
Par Régis Delanoë