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Qatar 2022 : Quand Amnesty International passe à l’offensive

Par Eric Carpentier
5 minutes
Qatar 2022 : Quand Amnesty International passe à l’offensive

Fin mai, alors que le monde du football s'impatientait à l'approche du dénouement de la saison des clubs, Amnesty International dévoilait un rapport très critique envers le Qatar, suite d'un travail de sape entamé il y a près de deux ans. Amnesty va-t-elle finir par marquer le but de l'année ?

Nombreuses sont les formes de protestation contre les conditions de travail des ouvriers de construction au Qatar : révélations du Guardian, décomptes de la Confédération syndicale internationale, ou graphistes détournant les logos des sponsors de la FIFA à base de « make.slavery » – « sponsorise avec fierté les violations des droits humains au Qatar » . Évidemment, le monde associatif ne reste pas les bras croisés. Ainsi, l’association française Sherpa porte plainte pour travail forcé et réduction en servitude contre Vinci Construction Grands Projets, associée à 49 % dans le joint-venture Qatari Diar Vinci Construction (QDVC), montée avec l’État du Golfe. Plainte qui a donné lieu à l’ouverture, le 25 avril, d’une enquête préliminaire, mais aussi a une contre-action de Vinci, présentée par Sherpa comme une poursuite bâillon (menaces ou plaintes déposées par une partie visée par une action, souvent puissante, dans le but d’intimider et d’épuiser financièrement l’autre partie). Vinci a ainsi amorcé le 14 avril dernier des procédures en diffamation contre l’association et contre ses membres pris individuellement, assorties à des demandes de dommages et intérêts de plusieurs centaines de milliers d’euros. Aurait-elle osé en faire autant contre Amnesty International ?

Abdeslam Ouaddou et 1,5 million de travailleurs

Jusqu’ici, la puissante ONG, lauréate du prix Nobel et titulaire d’une voix consultative au sein de l’Union européenne ou à l’ONU, n’a jamais attaqué directement l’entreprise française : ici, la cible du « mouvement mondial de personnes qui luttent pour le respect des droits humains » est l’État qatari et surtout ses lois. Ce n’est pas anodin pour un pays qui entend, par le biais du sport et du soft power, jouer dans la cour des grands. En novembre 2013, soit moins de trois ans après l’attribution du Mondial 2022 au Qatar, Amnesty dévoile un premier rapport de 166 pages sur les conditions de travail des travailleurs immigrés, qui représentent alors 94 % de la main-d’œuvre de l’émirat. Le directeur général de l’ONG, Salil Shetty, déplore « un niveau alarmant d’exploitation dans le secteur de la construction au Qatar » . L’impact du rapport est fort, une délégation d’Amnesty est reçue par le cheikh Al Thani, et le Supreme Committee for Delivery and Legacy (le comité d’organisation du Mondial 2022) promet, après un « dialogue constructif » avec Amnesty International, de « publier à la fin de l’année des normes de protection des travailleurs » .

Ce projet de « Normes de protection » est finalement publié avec quelques mois de retard, le 14 mai 2014. Certains points sont intéressants (assurer le paiement des salaires par les employeurs), d’autres ignorés (le droit de se constituer en syndicats), d’autres encore timidement abordés, comme le système très controversé de la kafala. Ce système, porté par la loi qatari n°4 de 2009, oblige en effet un travailleur à avoir un sponsor – dans les faits, son employeur – pour venir travailler sur le territoire. Or, ce sponsor doit délivrer un certificat de non-objection pour permettre au travailleur de changer d’employeur, ainsi qu’un visa de sortie pour l’autoriser à quitter le territoire. Ces prérogatives du sponsor sont discrétionnaires et les abus fréquents. Ainsi les exemples des footballeurs français, Zahir Belounis et Abdeslam Ouaddou, entre autres, à qui il a été imposé de renoncer aux salaires non-payés pour obtenir le précieux sésame. Cette situation pousse Amnesty à considérer que le Qatar ne respecte pas ses obligations en tant que signataire de la convention 29 de l’Organisation internationale du travail condamnant le travail forcé. Synonyme : esclavagisme.

« Promettre peu, réaliser moins »

C’est la timidité des réformes qui est visée par un nouveau rapport d’Amnesty International, qui, en ce qui concerne le football, s’était jusqu’ici cantonnée à une campagne de communication contre les violences policières pré-Mondial 2014 au Brésil. Publié le 20 mai 2015, le rapport « Promettre peu, réaliser moins » ouvre sur un témoignage simple et percutant : « Mon entreprise ne m’a jamais rendu mon passeport, donc à tout moment la police peut m’arrêter et me mettre en prison. À cause de cela, je quitte rarement le camp. Ma vie se limite au site de construction et aux chambres sales. Je changerais de travail si je pouvais, mais je ne peux pas, car mon employeur détient mon passeport et ne me laissera pas travailler pour une autre compagnie. » Il est à noter qu’une entreprise n’a, normalement, pas le droit de conserver les passeports. Montant de l’amende si elle se fait pincer : 2 700 dollars (augmentée à 13 700 dollars dans le projet de réforme)… À noter également que QDVC affirmait, en réponse à Sherpa, avoir abandonné cette pratique en… janvier 2015. Bel effort. Mais l’objectif d’Amnesty n’est pas tant les pratiques privées que les règles étatiques (et par extension, donc, les pratiques privées).

Amnesty International prend donc note des timides réformes, mais remarque surtout qu’aucune mise en place effective n’a été réalisée à ce jour. Et conclut en émettant « des doutes sérieux » sur l’implication du Qatar dans la modification du droit du travail concernant, actuellement, 1,5 million de travailleurs immigrés. La FIFA n’évite pas le tacle d’Amnesty. Non seulement l’ONG rappelle en détails la situation en cours quant aux allégations de corruption, mais place aussi l’organisation patronne du football mondial en face de ses responsabilités, tout en rappelant son influence et son pouvoir. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’amener une multitude d’acteurs à s’accorder sur un changement majeur de calendrier avec la Coupe du monde au cœur de l’hiver occidental. Puisse-t-elle faire preuve d’autant de persuasion sur le sujet des conditions de travail…

Preuve de l’influence de ces rapports, le Qatar a jugé nécessaire d’affirmer publiquement son « désaccord sur un nombre d’allégations » , tout en reconnaissant que « beaucoup reste à faire » . Et ajoute que les transferts d’argent des migrants vers leurs pays d’origine ont été supérieurs à douze milliards de dollars en 2014, « beaucoup plus que ce qu’ils peuvent gagner dans leur pays » . Argument financier donc imparable, visiblement. Faudra-t-il que des partenaires comme Coca-Cola et Visa s’énervent autrement que dans les mots pour que finalement la situation change ? Reste que c’est bien la mise en marche d’un « mouvement mondial de personnes » qui a amorcé des actions. Et ça, c’est football.

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Par Eric Carpentier

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