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Qatar 2022 : l’ombre d’un doute
Le congrès de la FIFA qui se tient actuellement à Doha s’avère un grand show, d’abord destiné à lancer la future Coupe du monde sur place en novembre prochain avec le tirage au sort des groupes. Il s’agit également de tenter de mettre sous le tapis les polémiques, en particulier en matière de coûts humains, liées à l’organisation de cette compétition dans l’émirat. Mais il est déjà trop tard pour imposer une chape de plomb.
Lise Klaveness, présidente de la fédération norvégienne, n’a pas tremblé avant de s’exprimer devant les 210 autres membres représentés au congrès : « La décision d’accorder le Mondial au Qatar a été prise de manière inacceptable. Il n’y a pas de place pour des employeurs qui ne veillent pas à la liberté et la sécurité des ouvriers du Mondial. Pas de place pour des dirigeants qui n’accueillent pas le football féminin. Pas de place pour des pays hôtes qui ne peuvent pas garantir légalement la sécurité et le respect des personnes LGBT. » Un tel discours s’avère rare lors des grand-messes de la FIFA, plutôt habituée aux logorrhées autosatisfaites et aux tractations dans les couloirs. Évidemment, personne n’a été surpris que cette prise de position provienne d’un pays où cette question a déjà secoué le petit monde du ballon rond. Les plus sarcastiques expliqueront par ailleurs qu’éliminée, la Norvège peut facilement s’indigner et donner des leçons. Pas besoin d’en rajouter, le boycott n’a jamais été un projet sérieux pour qui que ce soit. Surtout dans un « Occident » qui mange dans la main, surtout en ce moment, de ce grand producteur de gaz naturel.
Le dur apprentissage de la démocratie
Toutefois, cette audace, normalement logique dans n’importe quel espace démocratique, a été fort peu apprécié, entre petits fours et siestes dans les hôtels de luxe. Gianni Infantino, qui avait au préalable nié dans une merveilleuse prose stalinienne avoir désiré promouvoir une coupe biennale, s’est fendu d’une réplique très irritée auprès des journalistes tendant leurs micros : « Si vous avez aussi des questions sur le football, ce ne serait pas si mal. » Terrifiant, n’est-ce pas, une presse qui fait son boulot, y compris les médias les plus consensuels. Surtout, qu’il le veuille ou non, et le cas russe l’a récemment illustré, la FIFA ne pourra plus ignorer les douleurs de ce monde ou prétendre s’en tenir à l’écart. Les propos de la présidente norvégienne n’en constituent qu’une petite illustration. Heureusement, il reste des dirigeants à l’ancienne pour sauver l’honneur de l’institution. En première ligne notre Noël Le Graët national qui s’est immédiatement porté au secours d’un hôte si généreux : « On constate que la Coupe du monde au Qatar va faire progresser les droits humains de façon très rapide et très importante. Le Qatar s’ouvre sur le monde. Les progrès sont immenses depuis trois ans, […] bon nombre de décisions ont été prises dans le sens du social. Ceux qui visitent de façon très neutre savent que ce n’est pas encore la même chose qu’en Europe, car c’est un pays en voie de développement. »
C’est l’argument massue du moment. Oublions le passé, désormais que tout est construit et qu’il s’apprête à accueillir le monde, le Qatar accepte d’amender son droit du travail, qui pèse d’abord sur les travailleurs immigrés, et laisse enquêter, en choisissant qui (l’OIT en l’occurrence). Peut-être que les autorités locales commencent aussi à comprendre que l’arrivée massive de reporters et de touristes rendra difficile de tout camoufler. Les instances du foot se réfugient donc désormais derrière les « progrès » récents, y compris en revendiquant, sans pudeur, d’y avoir contribué. Qui oserait prétendre que sans le boulot de fond et de longue durée des ONG (entre autres Amnesty International), des syndicats ou de la presse, la FIFA se serait souciée une seconde des conditions de vie et de mort des ouvriers népalais ? À quelques heures du tirage au sort de la Coupe du monde 2022, rappelons que le véritable groupe de la mort restera celui du BTP.
Par Nicolas Kssis-Martov