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Pythium, le champignon atomique ?
Retour de la Ligue 1, des déplacements interdits et des pelouses pourries. Dernier coupable en date, le pythium, visé de Bordeaux à Bastia en passant par Sainté. Mais le pythium n'est-il pas le champignon qui cache le changement ?
C’était il y a trois semaines. Les dirigeants et supporters de Bordeaux, Bastia, Montpellier et Saint-Étienne rient jaune en voyant leurs pelouses de la même couleur. Sur Twitter, Didier Quillot, directeur général de la LFP, a les mots du dirigeant-qui-agit-parce-que-les-Français-sont-inquiets : « Je suis d accord avec les twittos sur pelouses @SCBastia et @girondins , il faut agir vite! @LFPfr va intervenir via barème licence clubs! » Pendant ce temps-là, à Toulouse, on pavane. Oublié, « le désert de Gobi » métaphorisé par Pascal Dupraz, fin août. Pour recevoir les princes parisiens, les Violets ont déroulé un nouveau tapis vert. Oublié, du même coup, le pythium, du nom de ce champignon ravageant sournoisement les pelouses de France. Nouveau gazon pour nouvelle vie au Stadium. Et du côté d’Armand-Cesari, de la Mosson ou de Geoffroy-Guichard, pourra-t-on espérer trouver une bonne herbe ce week-end ?
Classement des pelouses et droits télés
La chose n’est pas simple, le sujet « sensible » selon un acteur concerné. Un autre décide « de ne plus accorder d’interview » , quand un troisième « préfère ne pas être cité » . À en croire les mains vertes du football hexagonal, les Français auraient donc toutes les raisons d’êtres inquiets. La Ligue avait pourtant pris quelques mesures, en créant une sous-commission Surfaces de jeu ainsi qu’un classement des pelouses en 2013. Surtout, la qualité du terrain est désormais un critère de la précieuse Licence Club, indispensable pour récupérer une partie des non moins précieux droits TV. Le DG de la Ligue a d’ailleurs évoqué des « sanctions financières en cas de pelouses insuffisantes » à compter de la saison prochaine. L’Euro a laissé des traces que le jaune actuel des gazons, alors que l’hiver n’est même pas encore arrivé, n’efface pas.
Après les intermèdes synthétiques de Lorient et Nancy (qui abandonnera ses brins en plastique en 2017), la technologie hybride, développée par les Hollandais de Desso et les Français de Natural Grass, a été présentée comme la panacée. C’est d’ailleurs elle qui remplace les synthétiques de Bretagne et de Lorraine. Las, c’est elle aussi qui équipe une bonne partie des clubs touchés par la dégradation automnale des surfaces. La technologie hybride n’a pas encore vaincu la nature. Reste que le vrai point commun des dégâts, c’est qu’ils sont situés au sud de la Loire. Et qu’ils vont peut-être entraîner une refonte profonde de la façon de penser la culture et l’entretien de nos terrain. En attendant, le pythium est montré du doigt, coupable à chaque fois.
Cold season grass vs Bermuda grass
Si le micro-organisme est présent partout, il ne se montre pas toujours virulent au point d’entraîner la « fonte des semis » . Mais, cette année, des températures exceptionnelles lui ont fourni un terreau propice au réveil. Même les fongicides habituels, dont l’utilisation est par ailleurs réglementée (pas plus de deux utilisations par an, au grand dam des vendeurs de produits phytosanitaires), ont vu leur efficacité limitée. Car son alliée naturelle, la pelouse, n’était pas de taille : en France est traditionnellement semée de la cold season grass, des graines de gazon d’hiver. Problème, le réchauffement climatique latent la rend moins apte aux conditions. Ce même réchauffement qui permet au chancre coloré, le champignon à l’origine de l’abattage des platanes du Canal du Midi, de remonter progressivement vers le nord de la France. Dès lors, c’est l’approche qui serait à revoir. Quitter la sacro-sainte méthode anglaise pour se tourner vers l’Espagne ou Monaco, où il faut resemer deux fois par an, alternativement de la cold season grass et de la bermuda grass.
En attendant le changement de paradigme, il y a les solutions transitoires, notamment souffleries et voiles d’ombrage. Si le Bayern Munich, victime de la même dégradation, peut lâcher sans sourciller les euros nécessaires à de telles opérations, la donne est différente en France, royaume des montages administratifs complexes où le budget alloué aux aires de jeu est un sujet de débats éternels entre les différents acteurs associés aux stades. Pendant l’Euro, Elisa, filiale d’Eiffage en charge de l’exploitation du stade Pierre-Mauroy, avait fustigé l’UEFA pour sa gestion hasardeuse de la pelouse. Cette fois, c’est Toulouse Métropole qui a signé un chèque de 460 000 euros pour replaquer un nouveau gazon. Sans oublier la Licence Club et d’éventuelles sanctions financières. À ce prix-là, on comprend que l’herbe ne fasse plus rire.
Par Eric Carpentier