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Puerta, la mort plus forte que la haine
Une fois de plus, le derby sévillan sera l’occasion de voir en action la rivalité la plus bouillante d’Espagne. Si le climat entre le FC Séville et le Betis reste toujours électrique, un événement avait pacifié les tensions durant une saison : le décès d’Antonio Puerta. Retour sur une union sacrée.
La rivalité existe depuis le 5 février 1910 et elle perdure, encore et toujours. Dans Séville, un choix fatidique est à faire pour tout citoyen. Dès la tendre enfance, c’est soit le vert du Betis Séville, soit le rouge du FC Séville. L’association des deux couleurs est prohibée, sous peine de passer pour un traître, voire un fou. D’un côté, le Bétis est le premier club à avoir connu le plaisir d’être sacré champion d’Espagne et peut se vanter d’avoir acheté Denilson pour 30 millions d’euros en 1998, soit le transfert le plus cher de l’histoire à l’époque. De l’autre, le FC Séville possède un palmarès plus important avec, entre autres, quatre C3 remportées dans son histoire. Lors de son premier parcours européen victorieux en 2006, le FC Séville souffre pour se défaire de Schalke 04, et doit attendre la prolongation pour marquer la seule réalisation de cette double confrontation. Le buteur ? Antonio Puerta. Mis en avant grâce à cet acte salvateur, le Sevillista devient adoré par tout le peuple rouge, puis détesté par toute la famille verte. Les Nervionenses filent vers leur premier titre sur le Vieux Continent, le second vient même la saison suivante. Déclic des récents succès du club, Puerta met tout son cœur dans le FC Séville, son idylle semble parfaite. Trop parfaite.
« Antonio chantait du flamenco, il aimait ça »
Forts de deux titres continentaux consécutifs, les hommes de Juande Ramos démarrent, comme à l’accoutumée, leur pré-saison par les traditionnels exercices physiques. Membre influent au sein du groupe, Julien Escudé garde des souvenirs de cette période. « Quand on faisait un gros travail physique, qu’on était tous un peu carbo, j’avais le souvenir qu’il mangeait pas mal de sucre, détaille l’ancien défenseur. Il venait près du docteur, et il lui donnait des forces pour éviter des chutes de tension régulières. Bon, j’avais déjà vu ça avec Bafé Gomis en équipe nationale par exemple, donc ce n’était pas la première fois. Pour être franc, je ne sais pas si cela avait une réelle influence. Mais voilà, c’était une barre de céréales, pour retrouver la forme. » Malgré cette carence, Puerta commence à prendre de l’ampleur dans le collectif sévillan. Sa sélection pour l’équipe d’Espagne date d’octobre 2006, mais son talent reste réel. Logiquement donc, Puerta démarre la saison titulaire en latéral gauche pour la réception de Getafe, le 25 août 2007. Lors de cette rencontre, le gamin du coin retrouve son pote Kepa Blanco, acheté par Getafe à l’intersaison. « Ils étaient très proches tous les deux, à repartir ensemble après l’entraînement, tout en musique, se rappelle Escudé. Antonio chantait du flamenco, il aimait ça… Il venait du sud de l’Andalousie, toujours prêt à lancer un air. »
La partition se lance, Getafe démarre mieux son récital. Après une demi-heure, les Madrilènes mènent au score. Un ballon sort en six mètres, Andrés Palop vient récupérer la balle derrière sa cage. Sur le terrain au moment des faits, Fabio Celestini raconte. « Puerta met ses mains sur les genoux, un geste plutôt habituel. Et puis il tombe. Là, tu penses qu’il est tombé dans les pommes, mais tu ne fais pas trop attention, tu restes concentré. Il faisait très, très chaud, tu te dis qu’un petit coup de chaleur, ça peut arriver. » Privé de match à cause d’une blessure et spectateur au Sánchez-Pizjuán, Escudé renchérit. « Je me trouvais du côté où il est tombé, dans l’angle en haut. D’abord, tu penses que c’est un coup de fatigue, mais très vite, Dragutinović se retrouve à côté et fait signe aux médecins, car Antonio venait de perdre connaissance… Quand j’ai vu Drago avec des yeux de panique, j’ai commencé à m’alerter. Tu te dis : « Qu’est-ce qu’il se passe ? » » Personne ne le sait encore, mais Puerta vient de subir un premier arrêt cardiaque sur la pelouse. Dans le vestiaire à la pause, le mystère perdure. « Il y avait une atmosphère un peu bizarre, rembobine Celestini. On se doutait bien que durant ces minutes de pause et au regard du délégué, l’atmosphère n’était pas saine. On avait compris qu’il s’était à nouveau évanoui, qu’il était parti à l’hôpital… Ce n’était pas très clair. » Getafe se prend une volée en deuxième période, et subira de plein fouet quatre buts des Palanganas. Quatre, c’est aussi le nombre d’arrêts cardiaques successifs de Puerta entre l’ambulance et l’hôpital Virgen del Rocio de Séville. L’espoir s’envole.
« Le Bétis et Séville souhaitaient s’unifier pour cet enfant du pays »
Sans être réellement informés de la situation, les joueurs rentrent aux vestiaires et le silence s’allonge. Pour Kepa Blanco, remplacé lui aussi après que son ami s’est allongé sur la pelouse, le temps semble trop long. « Après la rencontre, il avait eu des nouvelles inquiétantes de la famille, se souvient Celestini. Le lendemain du match, il nous a dit que c’était grave. En réalité, il y avait un espoir de le sauver, mais cela commençait à tenir du miracle. » Pour le FC Séville, le déplacement en Grèce pour rencontrer l’AEK Athènes passe d’important à secondaire. « Après la promenade lors de la mise au vert, l’entraîneur est venu nous annoncer le décès d’Antonio, révèle Escudé. On n’y croit pas, on se dit que c’est impossible… Ce sont des cas rarissimes. On cherche à savoir pourquoi… Il y avait de l’incompréhension, à savoir comment à notre époque, cela pouvait être encore possible. Et bien sûr, on ressent la tristesse d’avoir perdu un partenaire. » La nouvelle touche le club, Séville, l’Espagne entière. Et malgré une rivalité éternelle, le Real Bétis Balompié manifeste son soutien face au choc. « Dans ce genre de choses, on touche la qualité humaine des gens, résume Escudé. Quand son décès avait été annoncé, on parlait d’un jeune joueur de Séville. Cela comprenait la ville dans son ensemble, peu importait son équipe. Le Bétis et Séville souhaitaient s’unifier pour cet enfant du pays, c’était fédérateur. »
En pleurs, des coéquipiers comme Jesús Navas ou Juande Ramos soulèvent le cercueil de leur ancien compagnon lors de ses funérailles. De quoi détruire toute tension à Séville, une poignée de mois après que Juande Ramos avait reçu une bouteille sur la tête depuis les tribunes, en plein match au Benito-Villamarin du Betis. « Avec l’accident et après sa mort, les informations montraient beaucoup de personnes devant le stade à mettre des bougies, qu’ils soient rouges ou verts, explique Celestini. Puerta devait inspirer le respect pour tout le monde. » Dans la douleur, Puerta réussit l’impensable, à savoir unir Séville par le biais du football. Plus tard dans la saison 2007-2008, le derby sévillan se jouera par deux fois avec des hommages appuyés envers l’enfant du cru. « C’était tout frais, évoque Escudé. Le Betis était venu au Sánchez-Pizjuán avec beaucoup de respect, par rapport à Antonio et sa famille. Sur le terrain en revanche, on essayait de passer au-dessus, de rester dans la compétition. Mais pour le coup, c’était des derbys moins chauds que les autres. » Pour répondre à sa manière à cette tragédie, Séville s’offre les deux oppositions de la saison sans encaisser le moindre but. « Dans chacun des matchs de cette saison, il y avait toujours une pensée pour Antonio, derby ou pas, avoue Escudé. On vivait une saison difficile, et chaque victoire lui était dédiée. Même si gagner les deux derbys, cela reste important au sein de la ville. La culture foot à Séville, c’est quelque chose… » Aujourd’hui, ce derby est toujours le plus chaud d’Espagne. Mais lorsque certaines banderoles seront brandies en l’hommage de Puerta ce dimanche soir, l’apparition de son nom donnera au Bétis un élan d’amour dans sa haine.
Par Antoine Donnarieix